DOSSIER : RÉVISION DES LOIS DE BIOÉTHIQUE

Un des aspects essentiels des points non-négociables sans cesse rappelés par Benoît XVI

Le refus des principes

On pourrait se réjouir – et après tout, faisons-le, mais sans illusions – devant certaines dispositions du projet de révision des lois bioéthiques tel qu’il a été présenté à la presse par le ministre de la Santé, mardi (voir notre présentation succincte dans Présent de jeudi). En maintenant un certain nombre d’interdits, comme celui de la « gestation pour autrui », de la procréation artificielle pour les couples homosexuels, de l’autorisation systématique de la recherche et de l’expérimentation sur les embryons humains « surnuméraires », la France se singularise par rapport à bien des pays où tout est permis, et elle passe dans ce domaine pour plutôt stricte dans ses choix et ses exigences. Et pour une fois, on ne brandit pas l’argument de la proximité de pays où ces interdits ne sont pas en vigueur pour tenter de les abolir ici : la procréation médicale assistée en Belgique, les mères porteuses aux Etats-Unis ou dans des pays pauvres, la fécondation in vitro sur catalogue…

Mais tous ces garde-fous, considérés malgré tout comme provisoires même si le principe de la révision quinquennale des lois bioéthiques ne devrait plus figurer dans la « mise à jour 2010 », ne changent rien à une situation doublement scandaleuse. D’une part, il n’est rien prévu pour protéger la vie humaine en tant que telle, dès sa conception et jusqu’à sa fin naturelle, ce qui permettrait d’un coup, par l’énonciation d’un principe général concis et complet qui est la marque des meilleurs textes juridiques français, de mettre fin à bien des pratiques destructrices d’êtres humains.

A commencer par l’avortement. Celui-ci n’est envisagé par les lois bioéthiques françaises que sous l’angle de l’avortement « médical » qui permet la mise à mort de l’enfant à naître jusqu’à la fin de la gestation : le projet de loi envisage « d’harmoniser » les pratiques en ce domaine. Les 200 000 morts et davantage par an de l’« interruption volontaire de grossesse » n’ont-elles donc rien à voir avec « l’éthique » ? Réponse : non. Car le mot « bioéthique » ne désigne pas en réalité une approche morale fondée sur le respect de la vie et de la personne humaine et les obligations qui en découlent, mais ce que les scientifiques considèrent comme « l’éthique du vivant », notion piégée qui sert à justifier tout ce qui peut promouvoir l’espèce humaine ou même toute forme de vie.

C’est que dans l’affaire des lois bioéthiques, on se refuse – par principe ! – à fonder la réflexion et l’élaboration des textes sur des principes clairement affirmés, le principe d’un fondement transcendant des lois en ce domaine étant le plus tabou de tous. D’où l’esprit de révision permanente, qu’elle soit programmée, comme jusqu’à présent, ou non ; d’où encore l’idée d’avoir organisé des « états généraux de la bioéthique » qui accentue l’aspect consensuel de la loi. C’est la volonté du plus grand nombre (ou du plus bavard, ou du plus audible) qui l’emporte, sans référence au critère du bien et du mal.

La presse a retenu deux aspects plus « vendeurs » du projet de loi – qui devrait être présenté avant la fin du mois en Conseil des ministres : la possibilité étendue de faire des dons d’organe du vivant « croisés » entre donneurs et receveurs compatibles, et la possibilité pour les personnes nées d’un don de gamète d’obtenir des informations sur le ou les donneurs.

On présente cela allègrement sans faire le constat qui s’impose : faire naître des enfants (1 300 par an en France environ) à partir de cellules sexuelles reproductrices qui ne sont pas celles de leurs parents apparents est en réalité une pratique d’une cruauté sans nom, et c’est elle qui devrait être interdite. Les témoignages de jeunes nés ainsi, et qui ont appris le mode de leur conception, ne sont pas rares ; ils font part de leur mal-être, de leur difficulté à savoir qui ils sont, de leurs interrogations sur leurs relations avec d’éventuels frères et sœurs, de « l’effondrement » de leur monde. Ils aspirent à s’inscrire dans leur lignée, leur lignée biologique, et pas seulement comme veut le prévoir la loi, à connaître la taille, l’origine, les caractéristiques générales de leur géniteur.

Dans certains cas, on pourrait aux termes du projet de loi aboutir à une levée complète de l’anonymat du donneur. Mais là encore des problèmes inextricables s’annoncent : que devient le lien de filiation, quelle sera la responsabilité du donneur à l’égard de son enfant – sinon juridiquement établie, au moins de fait –, combien de brouilles à prévoir entre la famille d’origine et les multiples familles fournies en enfants par un même donneur ?

Les lois bioéthiques sont en fait au service des apprentis sorciers…

JEANNE SMITS - Article extrait du n° 7172 du samedi 4 septembre 2010