CINÉMA : "DES HOMMES ET DES DIEUX"

L'avis de Caroline Parmentier dans "Présent" : Remarquable

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La montée vers le martyre des moines de Tibéhirine

"Présent" daté de jeudi 16 septembre



Allez voir ce film. Vous en sortirez meilleur. Submergé par une émotion qui n’a rien à voir avec de la sensiblerie. Vous y repenserez après. Chose que l’on ne peut plus dire d’aucun film de nos jours quelle que soit sa surenchère dans la violence ou les effets spéciaux. Le film marque. La première bonne surprise de ce long-métrage français signé Xavier Beauvois (Le petit lieutenant) et primé à Cannes, c’est qu’il va être vu par des millions de gens et qu’ils vont en être marqués.
Le film surprend. Il défie les attentes. Ni politique, ni historique, même s’il l’est aussi. Et surtout pas documentaire. Xavier Beauvois nous emmène ailleurs. Sans grandiloquence aucune, avec beaucoup de dépouillement et par touches. Avec une extraordinaire intensité.
Le réalisateur privilégie le point de vue des moines, celui d’un ordre cistercien qui vit dans le silence et la contemplation, mais aussi le chant, le travail de la terre, l’aide aux plus démunis, les soins aux malades, l’amour du prochain. En l’occurrence tous les villageois algériens, à majorité musulmane, qui vivent heureux et en bonne harmonie au pied du monastère. Les frères de Tibéhirine sont particulièrement ouverts, ils ne font pas spécialement de prosélytisme, leurs actes et leur foi parlent à leur place. Mais même cela c’est trop. C’est trop pour un pays qui est gagné par la terreur islamique.
Xavier Beauvois ne fait pas l’impasse sur l’exigence spirituelle. Nous suivons une partie des offices, des rites (rite ordinaire, ce qui est fidèle à la réalité) dans leur solennité et leur lenteur. Il approche le mystère de la foi avec ses moyens de cinéaste. Mais c’est dans la montée des périls qu’il y parvient le mieux.
Nous sommes en 1996, une actualité par conséquent très proche, ce que le film a aussi le mérite de rappeler. L’Algérie est ensanglantée par le conflit qui oppose l’Etat algérien à la guérilla islamiste. Le gouvernement algérien est violent et corrompu, on sent à l’une des phrases d’un de ses fonctionnaires qu’il hait la France. Les moines dérangent. Les militaires algériens ne les aiment pas. Un signe de croix déclenche la fureur de l’un d’eux. Les terroristes islamiques les menacent aussi à chaque instant mais, lors d’une scène capitale, on sentira que l’un d’eux a du respect pour le prieur de la communauté et qu’il est impressionné. La haine et la terreur des fanatiques islamiques de plus en plus dangereux, de plus en plus violents, se rapprochent du monastère.
Certains des moines parlent alors de partir. Les autres disent qu’il faut rester. Les mots et les arguments sont très importants. On n’en perd pas une miette. Finalement ils resteront tous.
Les acteurs qui incarnent les frères sont tous formidables, la réussite du film passait de façon incontournable par eux. Même Lambert Wilson, que je craignais de ne pas trouver crédible, est comme il faut. Leur extrême densité, leur visage qui se marque petit à petit des traits de la sainteté comme transfigurés à la veille de leur sacrifice. Les regards, les silences, la peur, leur combat intérieur. Superbe figure du frère Christophe (Olivier Rabourdin), celui qui a peur, plus que tous les autres et qui triomphera, il y a du Blanche de la Force chez ce personnage si attachant. Le jeu de Michaël Lonsdale, intense et facétieux, est grandiose, le vieux frère Amédée, charmant, est plus vrai que nature.
Les tableaux sont inspirés, les idées parfois éblouissantes comme cette scène dans la chapelle où les moines commencent à chanter alors qu’un hélicoptère vrombissant les encercle. C’est édifiant mais c’est aussi du vrai cinéma. Avec cette lumière à la beauté déconcertante ou ces bouleversants travellings sur les visages des moines dans ce qui représente leur dernière « cène », sur les accents de Tchaïkovski, alors qu’ils sont désormais sûrs de la décision qui va les conduire au martyre. Il fallait oser le filmer comme ça. C’est juste magnifique.
Encore un mot : la grande grâce de ce film est aussi de nous montrer en 2010, alors que les médias sont majoritairement anticatholiques et que l’image globalement la plus répandue par leurs soins sur les prêtres ou les moines est celle de jouisseurs pervers ou pédophiles façon Le nom de la rose, que la religion catholique c’est celle de ces sept moines propres à forcer l’admiration de ceux qui croient en Dieu mais aussi de ceux qui ne croient qu’en l’homme.

CAROLINE PARMENTIER

Article extrait du n° 7180 du Jeudi 16 septembre 2010