Le silence sur Dieu dans l'espace public

L'éditorial de Jean Madiran dans "Présent" du 27 novembre 2010

"Le silence sur Dieu dans l’espace public"

Jean Madiran


Benoît XVI avait, à Compostelle, déploré le silence public sur Dieu dans la société civile européenne. C’était peu avant de subir, à Barcelone, l’affront de la reine et du roi d’Espagne.

A Compostelle il avait dit : « Comment est-il possible que soit devenu public le silence sur la réalité première et essentielle de la vie humaine ? Comment se peut-il que ce qui est le plus déterminant en elle soit enfermé dans la sphère privée ou relégué dans la pénombre ? (…) Comment est-il possible que soit nié à Dieu, soleil des intelligences, force des volontés et boussole de notre cœur, le droit de proposer (sa) lumière ? »

C’est à toute l’Europe que le Pape disait : « Il est nécessaire que Dieu recommence à résonner joyeusement sous le ciel de l’Europe (…). L’Europe doit s’ouvrir à Dieu. »

Vu d’un côté, c’est tout simplement une évidence ; ou, pour parler ainsi, c’est une donnée immédiate de la conscience. Vu d’un autre côté, cela ne va pas de soi mais rencontre de gros problèmes.

Qui est visé ? Qui, en l’occurrence, est responsable du silence public sur Dieu ? Pour l’Europe, ce sont les institutions politiques européennes, émanation fédérale ou confédérale des Etats ; ce sont donc en définitive les Etats eux-mêmes. Or ils ont été frappés d’un interdit post-conciliaire partout répété et peu contredit, l’axiome énonçant la radicale incompétence de l’Etat en matière religieuse. D’où son absence de religion, sa neutralité « laïque », celle de l’instruction publique et de l’Education nationale, bref, la légitimité impérieuse de l’absence de Dieu, du silence public sur Dieu.

Les rares critiques élevées contre cette « laïcité » ont été violemment rejetées sans examen, pour le motif drastique et automatique de manifester une coupable hostilité au Concile.

Il va donc falloir, là comme ailleurs, à la suite de Benoît XVI, reprendre toute la question depuis les fondements.

On voudra bien se rappeler d’abord que Pie XII, souvent invoqué pour avoir parlé d’une « saine et légitime laïcité », parlait explicitement de la laïcité de l’Etat et non pas de la société. Et secondement, cette laïcité de l’Etat signifiait et doit signifier que le pouvoir temporel n’est pas, normalement, gouverné par des ecclésiastiques. Dans le cas exceptionnel d’un Richelieu, ce n’est pas en tant que cardinal ni en vertu de son ordination sacerdotale qu’il détient un pouvoir temporel.

La « saine et légitime laïcité de l’Etat » comporte bien une incompétence religieuse de l’Etat, mais une incompétence clairement limitée à la définition des dogmes, à l’administration des sacrements, à la promulgation de la loi morale, au gouvernement du clergé. Il n’appartient évidemment pas à l’Etat d’affirmer ou d’infirmer la médiation mariale ni de trancher un débat théologique sur la grâce efficace, la grâce suffisante, la grâce et la prédestination. Mais il appartient à l’Etat de ne pas oublier que la loi morale est supérieure à la loi civile, et de ne pas omettre de reconnaître à l’Eglise son pouvoir spirituel.

Emile Poulat a fort bien montré qu’en somme la principale victoire de la laïcité moderne est d’avoir obtenu que l’Eglise ne soit plus reconnue comme un pouvoir (spirituel), et qu’il n’y ait plus qu’un seul pouvoir (temporel) fondé sur la volonté générale manifestée par le suffrage universel.

Si bien que désormais nos évêques se présentent dans l’espace public au nom de la liberté religieuse, reconnue (on le suppose) comme l’un des Droits de l’Homme : elle est leur garantie, elle les autorise à apporter leur compétence psychologique, biologique, économique et sociale en contribution au débat démocratique. Telle est la belle théorie post-conciliaire.

L’Eglise a reçu de Dieu son pouvoir d’annoncer Jésus-Christ et la loi divine. C’est une réalité qui subsiste bien sûr même quand elle n’est pas reconnue par la démocratie moderne. Mais elle ne serait jamais plus reconnue dans l’espace public si elle continuait à n’y être jamais plus proclamée par les évêques ni surtout enseignée par eux à leur clergé et à leurs fidèles.

JEAN MADIRAN Article extrait du n° 7230 du samedi 27 novembre 2010