Benoît XVI : Discours à la Curie romaine

Le discours de Benoît XVI analysé par Jeanne Smits :
un très grand cru ...

Benoît XVI : pour sortir du déclin…

Le texte intégral du Pape. Ci-dessous l'analyse de Jeanne Smits

Le pape Benoît XVI a prononcé devant la Curie romaine, à l’occasion des vœux de Noël, un de ces discours capitaux qu’il réserve à cette rencontre depuis son élection à la chaire de Pierre. Un texte dense et profond construit autour de l’attente de Dieu à qui notre peu de foi ne permet pas de sauver nos jours infortunés. Tout part d’une évocation du déclin de l’Empire romain où l’Eglise, déjà, disait ces mots de l’Avent : « Excita, Domine, potentiam tuam, et veni ! »

Car le monde romain s’écroulait. « La décomposition des systèmes porteurs du droit et des attitudes morales de fond, qui leur donnaient force, provoquaient la rupture des digues qui, jusqu’à ce moment, avaient protégé la cohabitation pacifique entre les hommes. Un monde était en train de décliner. De fréquents cataclysmes naturels augmentaient encore cette expérience d’insécurité. On ne voyait aucune force qui aurait pu mettre un frein à ce déclin », rappelle le Pape. Seule la puissance de Dieu – comme sur le lac de Génésareth – peut apaiser la tempête et réveiller la foi endormie des hommes, pour redonner corps à ces « remparts » qui rendent possible la vie en société.

L’essentiel du discours de Benoît XVI est construit autour de la notion de l’indispensable « consensus moral », et de cette impression de monde qui s’écroule. « Le monde, avec toutes ses nouvelles espérances et possibilités, est, en même temps, tourmenté par l’impression que le consensus moral est en train de se dissoudre, un consensus sans lequel les structures juridiques et politiques ne fonctionnent pas ; en conséquence, les forces mobilisées pour la défense de ces structures semblent être destinées à l’échec. »

C’est par ce biais que le Pape revient sur la crise des prêtres pédophiles qui a donné à l’année du sacerdoce, achevée en juin, la tournure inattendue d’une attaque en règle contre l’Eglise. Citant intégralement la vision de sainte Hildegarde d’une Eglise aux vêtements somptueux, mais sales et déchirés, Benoît XVI explique que ce sont les infidélités de prêtres qui sont la cause de ces souillures. Mais il n’omet pas de dire que l’une des causes en est le relativisme moral : « la pornographie concernant les enfants, (…) en quelque façon, semble être considérée toujours plus par la société comme une chose normale ». Et il précise : « Dans les années soixante-dix, la pédophilie fut théorisée comme une chose complètement conforme à l’homme et aussi à l’enfant. Cependant, cela faisait partie d’une perversion de fond du concept d’ethos. On affirmait – jusque dans le cadre de la théologie catholique – que n’existerait ni le mal en soi, ni le bien en soi. Existerait seulement un « mieux que » et un « pire que ». Rien ne serait en soi-même bien ou mal. Tout dépendrait des circonstances et de la fin entendue. Selon les buts et les circonstances, tout pourrait être bien ou aussi mal. La morale est substituée par un calcul des conséquences et avec cela cesse d’exister. Les effets de ces théories sont aujourd’hui évidents. Contre elles le Pape Jean-Paul II, dans son encyclique Veritatis splendor de 1993, a indiqué avec une force prophétique, dans la grande tradition rationnelle de l’ethos chrétien, les bases essentielles et permanentes de l’agir moral. Ce texte doit aujourd’hui être mis de nouveau au centre comme parcours dans la formation de la conscience. »

Autrement dit, il nous faut d’abord rompre avec le subjectivisme moral, après quoi tout sera possible. Qu’est-ce que cela veut dire, et implique ? Le Pape y répond en revenant sur la béatification, cette année, du cardinal John Henry Newman, qui a su discerner que l’invisible, le transcendant est plus réel que le visible et le matériel, et s’est tourné alors vers la vérité. C’est en effet la grande absente de notre époque qui glorifie une fausse « conscience » à la Rousseau : « Dans la pensée moderne, la parole “conscience” signifie qu’en matière de morale et de religion, la dimension subjective, l’individu, constitue l’ultime instance de la décision », souligne Benoît XVI. Et de rappeler que l’on comprend trop souvent la glorification par le cardinal Newman comme celle de ce subjectivisme. « La conception que Newman a de la conscience est diamétralement opposée. Pour lui “conscience” signifie la capacité de vérité de l’homme : la capacité de reconnaître justement dans les domaines décisifs de son existence – religion et morale – une vérité, la vérité », répond le Pape.

« La conscience est capacité de vérité et obéissance à l’égard de la vérité, qui se montre à l’homme qui cherche avec le cœur ouvert », poursuit-il, et lorsque Newman porte son premier toast à la conscience, et son second, seulement, au Pape, il n’affirme surtout pas le caractère obligatoire ultime de l’intuition subjective : « C’est l’expression de l’accessibilité et de la force contraignante de la vérité : en cela se fonde son primat. Au Pape, peut être dédié le second toast, parce que c’est son devoir d’exiger l’obéissance à l’égard de la vérité. »

Voilà des paroles de feu. Et du très grand « Benoît XVI ».

JEANNE SMITS - "Présent", n° 7247 du mercredi 22 décembre 2010