La liberté religieuse vue par Benoît XVI

Une analyse de Rémi Fontaine

Benoît XVI : Message pour la Journée mondiale pour la paix


Le Texte intégral du Pape. Ci-dessous l'analyse de Rémi Fontaine.

Avec son message pour la Journée mondiale de la paix du 1er janvier prochain (Présent du 18 décembre), Benoît XVI s’est engagé dans le labyrinthe intellectuel que constitue aujourd’hui la liberté religieuse pour l’Eglise, depuis la très controversée déclaration conciliaire Dignitatis humanae (DH). Sans faire l’exégèse de ce message très dense et qu’il faut lire avec attention, comme dit Daoudal, quelques réflexions peuvent servir de repères à un indispensable fil d’Ariane.

  • Dans un contexte de double persécution (islamiste et laïciste) des catholiques en un monde marqué par l’exculturation catholique, Benoît XVI s’adresse à tous les hommes de bonne ou moins bonne volonté d’aujourd’hui – à commencer par les chefs d’Etat et les chefs des autres religions – et non pas aux catholiques de la Chrétienté, encore moins aux catholiques de tradition. Son point de vue sur la liberté religieuse ne peut donc directement et totalement correspondre aux attentes de ces derniers. D’autant que :
  • Il dépend précisément d’une nouvelle « tradition » conciliaire avec un ensemble de discours et de textes consécutifs qu’il ne peut contredire frontalement en tant que successeur des papes précédents, selon son herméneutique de la continuité.
  • Néanmoins, il me semble prendre une certaine distance avec un point au moins de DH. Par cette citation : « Une liberté ennemie ou indifférente à l’égard de Dieu finit par se nier elle-même et ne garantit pas le plein respect de l’autre. Une volonté qui se croit radicalement incapable de rechercher la vérité et le bien n’a plus de raisons objectives ni de motifs pour agir, sinon ceux que lui imposent ses intérêts momentanés et contingents, elle n’a pas “une identité” à conserver et à construire en opérant des choix vraiment libres et conscients. Elle ne peut donc revendiquer le respect de la part d’autres “volontés”, elles aussi détachées de leur être plus profond et qui, de ce fait, peuvent faire valoir d’autres “raisons” ou même aucune “raison”. »
  • Rappelons que DH affirme notamment : « C’est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là même qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer. » (Ajoutant cependant : « Son exercice ne peut être entravé dès lors que demeure sauf un ordre public juste. ») « Ceux-là même » de la déclaration conciliaire ne s’apparentent-ils pas (au moins partiellement) aux « volontés » que décrit ici Benoît XVI et pour lesquelles se pose apparemment la question des limites d’un droit à la liberté religieuse qu’elles ne peuvent revendiquer ?
  • Du message du Pape, on croit comprendre en effet que, contrairement à la formule commune, la (vraie) liberté (religieuse) ne s’arrête pas où commence celle d’autrui, si cette dernière n’est pas fondée précisément sur certaines conditions morales et politiques. A la différence de DH, le fondement même du droit à l’immunité de contrainte, c’est-à-dire la réalité requise pour justifier l’existence de ce droit, ne serait plus alors dans la dignité radicale de l’homme, innée (commune à tous les hommes du fait de leur nature même, raisonnable et libre) mais dans sa dignité opérative qui s’acquiert et consiste dans le comportement raisonnable et honnête de son sujet : dignité formelle ou morale qui suppose l’autre (ontologique) et en est une exigence…
  • D’où l’appel religieux du Pape à l’autorité temporelle (étatique et internationale), envers laquelle il faut bien invoquer une raison supérieure et supposer ainsi une compétence relative en matière religieuse. Car ceux-là même qui se croient radicalement incapables de chercher la vérité et le bien peuvent être aussi bien des croyants relativistes (pratiquement athées) que des croyants fondamentalistes (religieusement incapables d’associer foi et raison). Ces deux catégories de « croyants » revendiquent finalement une liberté indifférente ou ennemie à l’égard du vrai Dieu, au risque d’imposer leur dictature respective (soit du relativisme libéral, soit du fondamentalisme théocratique). Pour préserver politiquement un vrai droit à l’immunité de contrainte en matière religieuse, une saine et légitime laïcité de l’Etat se doit de les empêcher autant que possible pour le bien commun d’une nation et des personnes…
  • Cela rejoint en outre ce que vient de dire le Saint-Père sur la conscience et le cardinal Newman dans son discours à la Curie romaine, dont nous parlait hier Jeanne Smits. A cette lumière, la déclaration conciliaire Dignitatis humanae prend en effet un autre éclairage. Sans le trancher brutalement, Benoît XVI ne tente-t-il pas de dénouer progressivement le nœud gordien de la liberté religieuse ?


REMI FONTAINE - "Présent" n° 7248 du jeudi 23 décembre 2010