Le débat sur la laïcité (suite) - Editorial de Jean Madiran

dans "Présent" du samedi 26 février 2011

Le débat sur la laïcité

Intervenant le 18 février dans le débat réouvert par le gouvernement, La Croix a fait sur « la laïcité » un numéro aussi important, pour connaître la pensée de la gouvernance épiscopale, que l’avait été sur le catéchisme son numéro du 22 septembre 2010.
Elle a envoyé Isabelle de Gaulmyn consulter un « spécialiste du droit des religions en Europe » pour savoir s’il faut modifier la « loi de 1905 » qui « régit la gestion des cultes en France ».
C’est avec quelque ironie pour cette ignorance (feinte ?) que le « spécialiste » Francis Messmer lui a répondu : « Mais le régime des cultes a été modifié à moult reprises depuis la loi de 1905 ! »
La même réponse avait été apportée, et publiée dans… La Croix, par Emile Poulat.
Outre huit modifications successives apportées au texte lui-même de la loi (1908, 1913, 1934, 1966, 1973, 1994, 1998, 2002), il y a eu l’évolution ou plutôt le développement dynamique du principe républicain de laïcité.

La Croix refuse d’en prendre acte et s’obstine à répéter que la laïcité c’est « la neutralité religieuse de l’Etat ». Contradiction intrinsèque, puisque la neutralité envers Dieu, on le vérifie d’ailleurs dans les faits, c’est déjà l’exclusion de Dieu.

L’inspiration maçonnique de l’actuelle République française lui a fait imaginer (au moins depuis que Chirac a été président et Sarkozy ministre des cultes) que la laïcité est le rempart contre l’islamisation progressive qui de plus en plus menace la France. Nos évêques sont parfaitement au courant depuis leur Assemblée plénière du 4 au 10 novembre 2003, comme nous le savons par l’intervention qu’y fit Mgr Joseph Doré (publiée dans La Documentation catholique du 18 janvier 2004). Ce qui menace l’Eglise y est clairement perçu : les limites que la République, au nom de la laïcité, espère imposer à l’islam, il lui faut bien commencer par les imposer aux religions préexistantes. Là-contre, plusieurs évêques ont souligné la nécessité vitale de « ne pas traiter des religions en général, mais de réclamer un traitement différentiel à chaque fois motivé ». C’est le thème que développera publiquement, le 17 décembre suivant, le cardinal Ricard, président de l’épiscopat, en demandant que l’on « tienne compte de la diversité des familles religieuses qui n’ont pas toutes la même histoire, la même conception de Dieu, de l’homme et de la femme, la même façon de vivre les rapports entre les lois religieuses et les lois de la société ». Les termes choisis expriment bien que c’est l’islam qui est visé, et que la religion catholique ne veut pas être assimilée à l’islam dans une même réglementation laïque.

Mais ce discernement est impossible parce qu’il serait une « discrimination », et que le principe de laïcité a désormais pour corollaire obligatoire la démocratie égalitaire et sa règle suprême de « lutte contre toute espèce de discrimination », formule dialectique qui a été imprudemment adoptée, professée, rabâchée par la hiérarchie ecclésiastique depuis la présidence Mitterrand.

D’où la capitulation de l’épiscopat. Deux mois seulement après l’Assemblée plénière, un mois après sa propre déclaration, le président Ricard prononçait la nécessaire profession de foi laïque et républicaine, le 30 janvier 2004 : « Toutes les composantes religieuses (sic) doivent avoir droit de cité publiquement, à condition de ne pas se mettre en contradiction avec les grands principes de la République. »
Cet acte d’allégeance doctrinale n’a publiquement fait l’objet d’aucune contradiction épiscopale. L’année 2004 qui s’est ainsi ouverte va devenir celle des deux nouvelles lois laïques, celle du 15 mars et celle du 31 décembre, qui enrichissent la substance du principe républicain de laïcité en y intégrant la généralisation obligatoire du métissage ethnico-culturel et la promotion juridique de l’homosexualité : il ne semble pas que l’épiscopat ni par suite La Croix aient aperçu l’importance de cette dernière nouveauté.
L’inspiration maçonnique veut que toutes les religions soient en théorie considérées comme des opinions également respectables, et soient en fait également placées sous le contrôle de la laïcité républicaine.

A un moment ou à un autre, on verra quand même, peut-être, se manifester une certaine opposition de l’épiscopat. Sauf imprévu, ce sera une opposition analogue à celle contre l’avortement.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 7295 du samedi 26 février 2011