Le témoignage ultime de Shahbaz Bhatti

L'amour du Christ jusqu'au martyr

Le témoignage de Shahbaz Bhatti


L'article de Caroline Parmentier dans "Présent"

« Shahbaz Bhatti aura suivi la volonté de Dieu jusqu’au bout », a déclaré Mgr Anthony Rufin, archevêque d’Islamabad en l’église Notre-Dame de Fatima, à l’intention du ministre pakistanais des Minorités mort en martyr de la foi (Présent du 4 mars). En présence de nombreux membres du gouvernement et d’hommes politiques ainsi que du nonce apostolique au Pakistan, Mgr Edgar Pena Parra, l’archevêque a dénoncé le manque de sécurité des chrétiens dont la faute incombait entièrement au gouvernement.
Plus de 10 000 personnes, certaines venues de très loin, de nombreux chrétiens, mais aussi des musulmans, des sikhs et des hindous, ont assisté à cette cérémonie. Œcuménique. Comme un écho aux paroles de l’évêque, des bannières avaient été déployées par les participants : « Bhatti, nous poursuivrons ta mission » ou encore « Ton sang marque le début de la révolution ».
La foule nombreuse qui se pressait à l’extérieur de l’église a été brutalement refoulée par les forces de l’ordre. Parmi ceux qui se sont vu refuser la possibilité de rendre un dernier hommage à celui qui fut l’unique ministre chrétien du gouvernement du Pakistan, se trouvaient les membres de la propre famille du défunt : « vous avez tué mon frère et maintenant vous m’empêchez d’approcher son corps », a lancé en larmes à la police Anila Bhatti, la sœur du défunt.
Le cercueil a ensuite été transporté en hélicoptère dans le Punjab pour l’inhumation au cimetière catholique de Kushpur, le village d’origine de Shahbaz Bhatti.
Initialement publié en 2008 dans un livre d’entretiens, le testament poignant de Shahbaz Bhatti est d’une acuité brûlante. Depuis Rome, Benoît XVI a salué « le sacrifice émouvant » de ce catholique qui a su s’imposer comme défenseur des minorités religieuses persécutées dans son pays en dépit des menaces de mort dont il était la cible.
« De hautes responsabilités au gouvernement m’ont été proposées et on m’a demandé d’abandonner ma bataille, mais j’ai toujours refusé, même si je sais que je risque ma vie. Ma réponse a toujours été la même : « Non, moi je veux servir Jésus en tant qu’homme du peuple. (…) Jusqu’à mon dernier soupir je continuerai à servir Jésus et cette pauvre humanité souffrante, les chrétiens, les nécessiteux, les pauvres. »
L’archevêque de Florence, Mgr Giuseppe Betori, a demandé par lettre au clergé de son diocèse de lire samedi 13 et dimanche 14 mars, au cours de la messe, le « Testament spirituel » du ministre pakistanais assassiné : « Très chers prêtres, écrit-il, je considère comme un devoir que dans nos communautés chrétiennes, on n’oublie pas le témoignage offert par le ministre pakistanais Shahbaz Bhatti. »
L’archevêque propose que la lecture ait lieu au terme de l’homélie ou de la célébration, avant la bénédiction finale, en hommage à une « figure aussi limpide de témoin de la foi » et comme une « contribution importante à la croissance » de l’Eglise « dans la fidélité à l’Evangile » et « à la personne de Jésus ».
Le ministre des Minorités a été assassiné à Islamabad par un groupe d’islamistes armés. 25 impacts de balles. Les tueurs ont laissé sur place avant de s’enfuir des tracts menaçant du même sort quiconque au Pakistan oserait encore critiquer la loi sur le blasphème. Au nom de laquelle encourt la mort celui qui émet un jugement négatif, voire une simple interrogation, sur Allah, le Coran ou son prophète…
Shahbazz Bhati avait accepté le poste le plus dangereux qui soit au Pakistan aujourd’hui. Celui de défendre les droits des minorités et notamment des chrétiens qui forment une toute petite part de la population : 2 % des 170 millions d’habitants.
Aujourd’hui c’est Paul Bhatti, le frère aîné de Shahbaz, qui semble sur le point de prendre la place de son frère en tant que nouveau ministre fédéral chargé des Minorités religieuses au Pakistan. Paul Bhatti, chirurgien, qui a vécu pendant six ans en Italie, est arrivé au Pakistan pour les obsèques de son frère et vient d’être élu nouveau directeur de la « All Pakistan Minorities Alliance » (APMA), le réseau fondé par Shahbaz Bhatti en 2002 pour la défense des minorités diverses. Les délégués de l’APMA se sont réunis d’urgence au lendemain de la mort du Ministre pour élire son frère, convaincus qu’il s’agit du meilleur successeur de Shahbaz Bhatti.
Depuis sa cellule d’isolement de la prison de Sheikpura au Punjab, Asia Bibi a exprimé « douleur et préoccupation pour la mort du Ministre Shahbaz Bhatti ». Elle s’est dite très attristée par la mort d’une personne qui, « comme le gouverneur Taseer, l’a défendue en s’exposant publiquement et en le payant de sa vie ». Asia déclare par la voix de son avocat qu’« une partie de ses espoirs est morte avec Bhatti mais qu’il existe d’autres éléments qui l’aident à espérer : le soutien de tous les chrétiens au Pakistan et dans le monde ainsi que la visite de ses enfants rendue possible au cours de ces derniers jours ». Elle déclare avoir peur de constituer le prochain objectif des groupes radicaux islamiques.
La Christian Lawyers Association in Pakistan (CLAP) a organisé une manifestation publique à Lahore, défilant de la Haute Cour jusqu’au Parlement du Punjab. Le Président de l’association, Akbar Munawar Durrani, a rappelé que l’assassinat de Bhatti constituait un témoignage tragique du terrorisme et de l’extrémisme qui sévissent dans le pays et a réclamé l’abolition de toutes les lois discriminatoires, l’interdiction des publications incitant à la haine contre les minorités religieuses, et la poursuite en justice des leaders islamiques qui ont invité publiquement à tuer les responsables des minorités religieuses en tant que favorables à une révision de la loi sur le blasphème.

CAROLINE PARMENTIER
Article extrait du n° 7304 du vendredi 11 mars 2011