La reconstruction de La Chapelle-Basse-Mer, lieu de souvenir vendéen

Un camp d’été extraordinaire pour l’esprit, le coeur et les mains

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"Présent" rend hommage à Reynald Secher et à son équipe

La reconstruction de La Chapelle-Basse-Mer
Un camp d’été extraordinaire pour l’esprit, le coeur et les mains !


On connaît tous Reynald Secher, l’historien, le conservateur de musée, le conférencier, l’éditeur à succès. Mais Reynald Secher est aussi, ce que nous avons découvert, un amoureux des vieilles pierres. Scolaire, puis étudiant, il a ainsi travaillé sur un certain nombre de sites archéologiques notamment sur la Cité d’Alet, à Saint-Malo, un fort en Ecosse, une villa gallo-romaine en Bretagne. Depuis 1993, chaque été, il consacre un mois à la restauration d’une chapelle des XIe et XVIe siècles à La Chapelle-Basse-Mer, son village natal, en Loire-Atlantique.
En fait cette aventure a commencé alors qu’il avait 17 ans. En se promenant dans la campagne avec un vieil ami de sa grand-mère, un prêtre du diocèse, l’abbé Henri Maisonneuve, celui-ci lui montre un bosquet en lui disant qu’il contient une ancienne chapelle et qu’un jour il la restaurerait. Surpris, il se glisse à travers les ronces, les arbres et le lierre et découvre une addition de murs délabrés et un dépotoir. Quelques années plus tard, il l’achète pour la donner au diocèse en demandant qu’il fasse les travaux nécessaires pour la réhabiliter, ce que ce dernier ne peut réaliser en raison des coûts.
Reynald Secher décide alors d’entreprendre lui-même les travaux. Après avoir sollicité en vain la population locale, il crée une association « Mémoire du futur » dont la finalité est de collecter les fonds et de réaliser les travaux. A cette fin, il multiplie les conférences à travers toute l’Europe, persuade des amis et des entrepreneurs de participer à l’aventure en faisant des dons en nature (nourriture, véhicules, échafaudage, outillage…), crée un groupe d’adhérents qui chaque année verse une cotisation, et fait appel à des bénévoles. Les premiers à répondre sont cinquante membres de l’association Saint Pierre Chanel dirigée par un futur religieux de l’abbaye de Lagrasse, le père Jean-Baptiste, et une femme énergique, Coralie Ouazana. « En 4 semaines, se rappelle-t-elle, nous avons nettoyé la Chapelle, coupé les arbres, arraché le lierre, écrêté les murs, cicatrisé les fissures. La nuit, à la lueur des phares des voitures, Reynald et son frère Thierry parachevaient le travail de la journée pour pouvoir le lendemain matin transférer les échafaudages et gagner ainsi une journée. »
Un maçon rennais, Etienne Fontaine, les initie à l’art du travail de la pierre. « On lui doit beaucoup, explique un des anciens, Adrien Trucas. C’était un vieil employé d’un ami de Reynald, Alain Bouchard, chef d’entreprise. Nous avons réussi à le persuader de passer sa première journée de retraite avec nous. « Rien qu’une », nous avait-il précisé. Il est resté 15 ans. Il nous a tout appris : la lecture du bâtiment, l’amour de la pierre et du travail bien fait, la gestion de l’effort physique par rapport au travail à fournir, la notion de flux des matériaux, etc. ». « L’homme était hors du commun et un véritable compagnon dans les deux sens du terme et si gentil avec nous qui étions des intellectuels si loin du travail manuel », se rappelle Clotilde Freté, chef de chantier durant 6 campagnes.
Mais la charte de Saint Pierre Chanel exige que chaque année l’association change de chantier. Il faut donc trouver de nouveaux bénévoles. « J’avais rencontré, explique Reynald Secher, lors d’une exposition à Paris sur les guerres de l’Ouest, une descendante de Cathelineau, Michelle, qui avait épousé Paul Malmezat, fils du doyen. Un de leurs enfants, âgé de 15 ans, Dominique, s’engage à prendre le relais en rameutant ses cousins et ses amis. Cette étape a été déterminante pour l’avenir et a marqué le début d’une aventure extraordinaire qui ne s’est jamais arrêtée. »
Incroyablement dynamique et astucieuse, dès la première année, la nouvelle équipe réalise la charpente et la toiture. En 4 ans, le dallage et le plancher de la voûte sont posés, la sacristie, qui avait été entièrement démolie à la Révolution, reconstruite. « On ne peut s’imaginer, explique Dominique Malmezat, l’incroyable enthousiasme qui nous animait. Scolaire, puis universitaire, on parlait tout le temps de cette chapelle. Chaque jour j’y pense encore avec un pincement au cœur. J’y ai rencontré des gens hors du commun avec lesquels je suis d’ailleurs toujours en contact, la plupart étant devenus des amis. Ce qui était formidable, c’est que Reynald nous faisait confiance et nous responsabilisait malgré notre jeune âge. Avec lui, on a découvert les notions d’équipe, de respect et de travail bien fait, notions qui me servent au quotidien. Et que dire de l’ambiance : on riait, on chantait, on se taquinait tout le temps. »
En 1999, la chapelle est achevée. « Contrairement à ce que nous pourrions imaginer, poursuit Reynald Secher, cette finition a été vécue très douloureusement par tous y compris les parents et les adhérents. Un soir, alors que nous faisions le bilan définitif, Dominique éclata en sanglots dans mes bras. Il voulait poursuivre l’œuvre et toute l’équipe suivait. Que faire ? Les idées fusent dans toutes les directions : reconstruction en dur de l’ancien cloître des moines de Marmoutier, fondateurs de la paroisse, crypte, puits, etc. Le plus surprenant est que tout a été retenu et mis en plan par un ami architecte, Jean-Marie Luthringer.
Une nouvelle étape commençait avec un problème majeur explique Guillaume Freté devenu ingénieur en BTP : « Si nous obtenions aisément les autorisations de travaux, il en allait tout autrement du permis de construire, le terrain étant en zone agricole, de surcroît en zone AOC. On a tout conçu comme si un jour, on aurait ce sésame. »
En 10 ans, tout prend forme : mur d’enceinte, cloître du XVIe, crypte du Moyen-Age, salle des généraux… L’ensemble est magnifique et harmonieux. Pour faire vivre à long terme cette réalisation, elle est destinée à devenir un mémorial des guerres et du génocide de la Vendée.
L’aumônerie du camp est confiée aux chanoines réguliers de Lagrasse et notamment au futur Abbé, le père Emmanuel, lequel, malgré ses fonctions, réussit à être présent chaque année au moins quelques jours. « J’étais là le premier jour avec les Chanéliens, nous explique le religieux, et je dois dire que je suis attaché à ce camp. Au-delà de cette aventure humaine hors du commun, il y a une autre dimension très spirituelle. Un certain nombre de vocations religieuses sont nées ici ou s’y sont épanouies dont celles de 3 de nos moines. Dominique Malmezat est, lui-même, entré au sein de la Communauté Saint-Martin. » Quant aux mariages, « nous sommes devenus agence matrimoniale, plaisante Jean de La Rousserie. A priori, c’est surprenant puisque à ce niveau tout est interdit. A posteriori, cela s’explique aisément. Les jeunes apprennent à se découvrir et à se connaître dans la difficulté et le travail bien fait. Cette expérience crée les premiers liens et l’amitié devient amour : rien de plus naturel et de plus sain. Je crois que nous en avons marié plus de 30. La surprise, la plus inattendue, a été lorsque notre chef de chantier, Clotilde de La Rousserie, m’a annoncé son mariage avec notre ingénieur, Guillaume Freté. Moi-même, j’y ai trouvé mon épouse et je viens d’avoir un premier enfant, Blanche ».
Pour bon nombre, cette expérience marque aussi un tournant professionnel. « Combien de jeunes sont venus ici avec des a priori sur les métiers manuels », commente Raoul de La Richerie, un ancien responsable de la logistique. « Sur le tas, ils en découvrent la beauté, poursuit Reynald Secher. Je pourrais raconter un certain nombre d’anecdotes à ce sujet. Une m’a particulièrement marqué. Une grand-mère, adhérente de l’association, me téléphone pour me demander de prendre son petit-fils et un de ses copains particulièrement désœuvrés pendant les vacances et loin d’être brillants à l’école. Elle prend toutes les précautions oratoires exigées vu la situation m’assurant que s’il y avait le moindre problème les parents viendraient les rechercher sur le champ, sans contestation. Sur nos gardes, je les reçois et vois… deux garçons exceptionnels. Le premier, qui a découvert grâce à ce séjour qu’il était surdoué, est devenu ingénieur, le second, incroyable, est devenu moine. »
Cette année 2010 a été consacrée à la finition de la crypte sous la chapelle, au parement de la galerie qui lie les deux cryptes, à la construction d’une crypte hexagonale et à la pose du tabernacle dit du recteur Pierre-Marie Robin. « C’est une pièce exceptionnelle, fait remarquer Ronan Trucas. Ce recteur clandestin disait sa messe un peu partout dans le pays : dans des bois, des caves, des fermes. Cet oratoire vient d’une grange qui était en train de s’effondrer. Nous sommes allés voir le propriétaire et moyennant la destruction du bâtiment, il acceptait que nous le prenions. L’opération a été une véritable prouesse technique car il a fallu dégager l’ensemble, le consolider par un manteau de béton, le dégager du mur, le transporter à la chapelle puis l’installer. Il a été brûlé le 10 mars 1794 et en porte encore les stigmates. »

Ce projet a fédéré plus de 800 jeunes et moins jeunes.

2011.07.01_Chapelle_Basse-Mer.jpeg Mais au-delà de cette œuvre, Reynald Secher veut faire de cet ensemble un lieu de réflexion, d’échange et de commémoration : « La Vendée est la matrice des génocides contemporains mais, aussi, d’un autre crime contre l’humanité, le crime de mémoricide. Je fais paraître un livre au Cerf sur ce sujet, Vendée : du génocide au mémoricide, dans lequel j’explique ce qu’il en est. On fait donc sur place un week-end, les 1er et 2 octobre 2011, consacré à tous les génocides. Nous avons choisi cette date pour marquer la loi d’anéantissement et d’extermination de la Vendée votée le 1er octobre 1793 par la Convention. A terme, j’espère que nous pourrons monter un musée consacré à ces crimes contre l’humanité. »
Le 15 décembre 2010, Reynald Secher, son association Mémoire du futur et son équipe de bénévoles étaient honorés par l’Association Notre-Dame de Chrétienté qui lui remettait solennellement le Prix. « Nous étions très touchés et honorés, commente Ronan Trucas, second de Reynald Secher. Personnellement je suis arrivé sur ce camp à 9 ans et j’en ai 25. J’ai connu toutes les étapes du chantier. Je crois que la plus marquante a été la pose de la toiture en trois jours. Un travail phénoménal et en hauteur. Lorsque, avec le recul, je vois tout ce que nous avons fait, je n’en reviens pas. Et au-delà de cette restauration, il y a toute la dimension humaine de cette œuvre, notamment spirituelle, artistique, relationnelle ».
Le prochain camp a lieu à partir du 8 juillet 2011 avec un pré-camp à partir du 4 juillet. « Il s’agit, continue Reynald Secher, de monter un mur de granit entre le cloître et la salle des généraux, d’achever le parement de pierres du couloir souterrain qui relie les deux cryptes et de poser la toiture du cloître ». Le coût d’achat des matériaux est conséquent : 19 000 euros pour le mur de granit taillé dans la masse, 12 000 euros pour la charpente du cloître, 18 000 euros pour le parement – soit un total de 49 000 euros. « Je profite de votre reportage, conclut Reynald Secher, pour solliciter des donateurs sous forme de dons en nature ou en argent. Si, par exemple, un lecteur a 100 m2 de pavement de granit, des tables de kermesse, des bancs, des ardoises en grosse quantité, que sais-je, je suis preneur. Je peux aussi faire des conférences pour expliquer ce que nous faisons et comment nous le faisons. Il suffit de me contacter par mail : reynald.secher@laposte.net, ou m’écrire : 3 rue de Rennes, 35690 Acigné. On peut aussi acheter le livre publié par l’association qui s’intitule Vendée 94 (30 euros) ou le DVD dans lequel on raconte toute cette aventure (20 euros). »
DVD superbe en vérité. Pour comprendre qu’il est encore des jeunes, aujourd’hui, qui pourraient dire avec Charrette : « Mais en face de ces démons qui renaissent de siècle en siècle, sommes une jeunesse, Messieurs ! Sommes la jeunesse de Dieu. La jeunesse de la fidélité ! »

Le camp d’été de La-Chapelle-Basse-Mer est strictement réservé aux personnes majeures.
On peut encore s’inscrire en téléphonant au 33 (0)2 99 62 29 90.


FRANCOIS FRANC
Article extrait du n° 7382 de "Présent" du samedi 2 juillet 2011