L’Assomption, dogme récent, foi ancienne

Un article de Jeanne Smits

Si la définition du dogme de l’Assomption de la Très Sainte Vierge Marie remonte seulement à 1950, date à laquelle Pie XII proclama que la Vierge Immaculée « fut élevée corps et âme à la gloire du ciel et exaltée par le Seigneur comme Reine de l’univers », cela fait de très longs siècles que les Eglises d’Orient et d’Occident célèbrent la fête de cette glorification. En France, elle a pris la dimension particulière que l’on sait avec le vœu de Louis XIII qui de Marie honorée en son Assomption obtint la naissance d’un héritier, le futur Louis XIV. Elle reste patronne principale de la France de telle sorte que la « fête nationale » religieuse demeure celle du royaume de France. S’il y a un salut pour la patrie, c’est assurément auprès de la Vierge couronnée qu’il faut le chercher. Continuité, stabilité, justice, paix sont les dons temporels qu’elle peut procurer, en montrant toujours que rien ne se construit de solide qui ne soit enraciné dans le Ciel et orienté vers lui. Puisqu’elle est Reine de l’univers et de toute beauté que nous contemplons ici-bas – l’harmonie des choses, dans l’infiniment grand, l’infiniment petit et dans tout ce qui est si merveilleusement à la mesure de l’homme sur notre planète aux couleurs de Marie – le Créateur n’a-t-Il pas voulu lui offrir toute cette splendeur comme un époux prépare une demeure pour sa bien-aimée ? Avant de l’enlever vers la gloire infinie et la joie de sa propre présence où la Mère de Dieu veut attirer tous ses enfants…

Le dogme de l’Assomption se réfère à l’Immaculée Conception de la Vierge ; l’une ne va pas sans l’autre, en quelque sorte : celle qui ne porte pas la plus infime marque de péché ne peut avoir connu la corruption du corps qui est le salaire du péché. Pour les orthodoxes, cette affirmation est insupportable, même si elle était présente chez de nombreux pères de l’Eglise dès les IIIe, IVe et Ve siècles, mais ils fêtent néanmoins, le 15 août, l’événement de la Dormition de la Vierge : sa mort, puis son enlèvement au Ciel, faisant même précéder la fête (tout comme le font les catholiques orientaux) d’un jeûne de 15 jours.

C’est que la tradition est fort ancienne : outre qu’il n’existe ni tombeau ni relique de la Bienheureuse Vierge Marie, la fête de la Dormition était célébrée en Syrie dès le Ve siècle et en Occident, Grégoire de Tours citait comme une vieille tradition le récit de l’enlèvement du corps de Marie du tombeau où la veillaient les apôtres par son Divin Fils. La fête de l’Assomption est célébrée en Espagne depuis le IXe siècle, en France au XIIe.

Saint Jean Damascène lui consacra de belles homélies, disant par exemple :
"Il fallait que celle qui dans l’enfantement avait gardé intacte sa virginité, conservât son corps sans corruption, même après sa mort.
Il fallait que celle qui avait porté petit enfant son Créateur dans son sein, vécût dans les tabernacles divins.
Il fallait que l’épouse que le Père s’était choisie vînt habiter au ciel la demeure nuptiale.
Il fallait que celle qui avait contemplé son Fils en Croix et reçu alors au cœur le glaive de douleur qui l’avait épargnée dans son enfantement, le contemplât assis auprès de son Père."

Les offices de l’Assomption comprennent depuis les origines connues de la célébration de la fête le texte sur l’Arche d’Alliance, de bois pur et incorruptible, du Livre des Chroniques : celle qui dans l’Apocalypse apparaît à saint Jean à sa place auprès de Dieu, dans le Saint des saints célestes ; la vision qui suit, sans coupure ni interruption, montre la Femme revêtue du soleil… Ainsi le dogme de l’Eglise, que ses adversaires rejettent au motif qu’il ne serait qu’invention de théologiens, trouve un écho resplendissant dans l’Ecriture Sainte.

Jeanne Smits


Evoquant l’Assomption de la Vierge Marie, Benoît XVI a tenu à souligner qu’elle est notre proximité avec Elle, et avec son divin Fils.

Marie a été élevée au ciel corps et âme : même pour le corps, il y a une place en Dieu. Le ciel n’est plus pour nous un domaine très éloigné et inconnu. Dans le ciel, nous avons une mère. C’est la Mère de Dieu, la Mère du Fils de Dieu, c’est notre Mère. Lui-même l’a dit. Il en a fait notre Mère, lorsqu’il a dit au disciple et à nous tous : « Voici ta Mère ! » Dans le ciel, nous avons une Mère. Le ciel s’est ouvert, le ciel a un cœur.
(…) Marie désire que Dieu soit grand dans le monde, soit grand dans sa vie, soit présent parmi nous tous. Elle n’a pas peur que Dieu puisse être un « concurrent » dans notre vie, qu’il puisse ôter quelque chose de notre liberté, de notre espace vital, par sa grandeur. Elle sait que si Dieu est grand, nous aussi, nous sommes grands. Notre vie n’est pas opprimée, mais est élevée et élargie : ce n’est qu’alors qu’elle devient grande dans la splendeur de Dieu.
Le fait que nos ancêtres pensaient le contraire, constitua le noyau du péché originel. Ils craignaient que si Dieu avait été trop grand, il aurait ôté quelque chose à leur vie. Ils pensaient devoir mettre Dieu de côté pour avoir de la place pour eux-mêmes. Telle a été également la grande tentation de l’époque moderne, des trois ou quatre derniers siècles. On a toujours plus pensé et dit : « Mais ce Dieu ne nous laisse pas notre liberté, il rend étroit l’espace de notre vie avec tous ses commandements. Dieu doit donc disparaître ; nous voulons être autonomes, indépendants. Sans ce Dieu, nous serons nous-mêmes des dieux, et nous ferons ce que nous voulons. » Telle était également la pensée du fils prodigue, qui ne comprit pas que, précisément en vertu du fait d’être dans la maison du père, il était « libre ». Il partit dans des pays lointains et consuma la substance de sa vie. A la fin, il comprit que, précisément parce qu’il s’était éloigné du père, au lieu d’être libre, il était devenu esclave ; il comprit que ce n’est qu’en retournant à la maison du Père qu’il pouvait être véritablement libre, dans toute la splendeur de la vie. Il en est de même à l’époque moderne. Avant, on pensait et on croyait que, ayant mis Dieu de côté et étant autonomes, en suivant uniquement nos idées, notre volonté, nous serions devenus réellement libres, nous aurions pu faire ce que nous voulions sans que personne ne nous donne aucun ordre. Mais là où Dieu disparaît, l’homme ne devient pas plus grand ; il perd au contraire sa dignité divine, il perd la splendeur de Dieu sur son visage. A la fin, il n’apparaît plus que le produit d’une évolution aveugle, et, en tant que tel, il peut être usé et abusé. C’est précisément ce que l’expérience de notre époque a confirmé.
Ce n’est que si Dieu est grand que l’homme est également grand. Avec Marie, nous devons commencer à comprendre cela. Nous ne devons pas nous éloigner de Dieu, mais rendre Dieu présent ; faire en sorte qu’Il soit grand dans notre vie ; ainsi, nous aussi, nous devenons divins ; toute la splendeur de la dignité divine nous appartient alors. Appliquons cela à notre vie. Il est important que Dieu soit grand parmi nous, dans la vie publique et dans la vie privée.(…)
Marie est élevée corps et âme à la gloire du ciel et avec Dieu et en Dieu, elle est Reine du ciel et de la terre. Est-elle si éloignée de nous ? Bien au contraire. Précisément parce qu’elle est avec Dieu et en Dieu, elle est très proche de chacun de nous. Lorsqu’elle était sur terre, elle ne pouvait être proche que de quelques personnes. Etant en Dieu, qui est proche de nous, qui est même « à l’intérieur » de nous tous, Marie participe à cette proximité de Dieu. Etant en Dieu et avec Dieu, elle est proche de chacun de nous, elle connaît notre cœur, elle peut entendre nos prières, elle peut nous aider par sa bonté maternelle et elle nous est donnée – comme le dit le Seigneur – précisément comme « mère », à laquelle nous pouvons nous adresser à tout moment. Elle nous écoute toujours, elle est toujours proche de nous, et, étant la Mère du Fils, elle participe de la puissance du Fils, de sa bonté. Nous pouvons toujours confier toute notre vie à cette Mère, qui est proche de tous.

Article extrait du n° 7411 de "Présent" daté du samedi 13 août 2011