Génocide vendéen : une histoire exemplaire

Reynald Secher parle des implications de sa découverte

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« Éradiquer du sol de la République cette race impure »
Reynald Secher parle à “Présent” des implications de sa découverte

Reynald Secher, le livre que vous proposez au public était déjà presque achevé lorsque vous avez fait une découverte que j’oserai qualifier de providentielle. Comment cela s’est-il passé ?

La découverte est fortuite. Je devais rendre mon manuscrit à Stéphane Courtois, mon directeur de collection, le vendredi 4 mars 2011. Arrivé la veille à Paris, je décide d’aller consulter, par pur plaisir, quelques dossiers aux Archives nationales où je n’étais plus allé depuis 1990. Au hasard, je commande 8 dossiers relatifs au Comité de salut public qui contiennent un bric-à-brac de documents de toutes sortes que je consulte avec un ami, Ronan Trucas, à la sauvette. A midi, j’en commande un dernier, le dernier, AFII/268. Après déjeuner, j’attends, en vain, et pour cause : la lampe qui devrait s’allumer à ma place pour m’indiquer que le carton est arrivé est grillée. Au moment de la fermeture, comme je suis interrogatif, la responsable de salle, gentiment m’explique la raison tout en s’excusant. Qu’importe après tout, il est trop tard. Elle me demande si je veux qu’elle conserve le carton pour le lendemain. J’ai un rendez-vous à 10 h 30 et n’ai pas le temps de revenir. Je quitte la salle, réfléchis, me ravise, reviens et le réserve pour 9 heures : j’aurai ainsi une petite heure pour le consulter. A 9 h 30, je suis là, prends le carton et l’ouvre. Rien ne retient spécialement mon attention. Pourtant une petite feuille m’intrigue en raison de son écriture illisible. J’aime ce genre de difficulté. Je déchiffre les mots les uns après les autres. Les phrases se succèdent, prennent corps, forme et sens. Je suis abasourdi. La lettre émane du Comité et c’est un original signé : elle commande l’extermination de la Vendée. J’en avais remarqué un certain nombre éparpillé dans le dossier. Je les lis les uns après les autres et découvre l’impensable. La veille, en feuilletant les 8 dossiers, j’en avais vu de similaires. Je demande à la fille de salle de me les redonner pour le lundi, ce qu’elle accepte. Pendant trois jours, Ronan Trucas et moi-même avons photographié ces dossiers. De retour chez moi, j’ai mis plus d’un mois à les déchiffrer, puis à les classer et là j’ai découvert que c’était le dossier original relatif à l’extermination et à l’anéantissement de la Vendée.

Ces archives explosives dormaient dans des cartons aux Archives nationales, soigneusement classées par des employés zélés il y a deux cents ans peut-être. Comment expliquez-vous que ces documents n’aient pas été découverts plus tôt ?

Je crois que l’explication est très simple : ils étaient invisibles et illisibles. Cette invisibilité est due à 2 causes : l’insignifiance des documents et leur éparpillement. Comment pouvions-nous imaginer que les membres du Comité de salut public rédigeaient personnellement leurs procès-verbaux et leurs ordres sur des petits bouts de papier ? Reste une deuxième question : comment se fait-il qu’ils aient été conservés ? Je crois que la réponse est simple. A la chute de Robespierre, les auteurs du coup d’Etat ont dû jeter tous ces documents qui se trouvaient au Pavillon de Flore dans des malles, lesquelles ont été déposées dans un recoin. Ce n’est que sous le Premier Empire qu’ils ont été classés par des fonctionnaires qui les ont collés dans des classeurs les uns après les autres sans aucun ordre. Ce n’est que grâce à la photographie qu’on a pu reconstituer cet ensemble de manière cohérente et lui redonner sa juste dimension.

Quel est l’apport nouveau de ces documents ?

Il faut distinguer deux parties : le génocide proprement dit, et le mémoricide. Au niveau du génocide, je vous rappelle que jusqu’à ma thèse soutenue en 1985 à Paris IV Sorbonne, personne n’avait réfléchi sur la nature exacte de la répression en Vendée et tout le monde s’accordait à ne voir dans cette affaire qu’une simple guerre civile. En partant de l’étude d’un petit village, La Chapelle-Basse-Mer, je constate qu’il perd durant ces événements 800 habitants sur 3 200 et 362 maisons sur 1 000. Tout naturellement j’essaie de comprendre la raison profonde qui anime l’armée à l’origine de cette horreur et découvre qu’elle a agi conformément à la loi qui est très explicite. Contrairement à ce qu’affirmaient certains, il ne s’agissait pas d’un dérapage mais bien de l’exécution d’un ordre, de surcroît légal. A l’époque de ces événements, certains, comme Babeuf, avaient déclaré que c’était le Comité de salut public qui était à l’origine de cet acte impensable. Deux cents plus tard, il était délicat de l’affirmer faute de preuve. Avec la découverte de ces documents, nous avons la preuve absolue puisque non seulement ces papiers émanent du Salut public mais ils sont signés par les membres dont Robespierre, Carnot, Barère. Qui plus est, ce génocide est conçu dès le 27 juillet 1793, c’est-à-dire le jour même de l’arrivée de Robespierre au Comité. Au-delà, nous nous apercevons que ce génocide ne dure pas 5 mois mais un an et qu’il est total car il s’agit, pour reprendre la terminologie de l’époque « d’éradiquer du sol de la République cette race impure ». Je pourrais multiplier les acquis. J’en retiens un : le refus de l’armée d’Ancien régime de mettre en œuvre ce crime ce qui soulève un énorme problème, car il faut l’épurer, ce qui va mettre un temps considérable. Les véritables héros ne sont donc pas les vainqueurs, qui en fait sont des bourreaux, mais ces hommes qui préfèrent mourir plutôt que de tuer leurs compatriotes.

Et pour ce qui est du « mémoricide » ? C’est vous qui avez conceptualisé cette notion et votre œuvre en a été la cible. De quoi s’agit-il précisément ?

J’ai toujours été surpris par le traitement médiatique et universitaire fait à ma thèse, de même que par celui réservé aux Vendéens qui sont devenus au fil du temps des bourreaux, et leurs tortionnaires des victimes. C’est un incroyable scandale. Nous retrouvons cette même situation en Turquie par rapport aux Arméniens. Il faut essayer de comprendre cette situation. En étudiant la Convention de Nuremberg, je m’aperçois que son domaine d’application exclut la mémoire, ce qui est très choquant car elle ne retient que la conception et la réalisation du crime. En fait, l’acte de mémoricide s’inscrit dans l’acte de génocide et ce qui est vrai pour la Vendée l’est pour tout génocide. J’ai donné une définition précise de ce mot qui correspond au quatrième crime de génocide. Il consiste à concevoir, réaliser, être complice tant dans la conception que la réalisation partielle ou totale d’une volonté ou d’un acte dont la finalité est de nier, de relativiser, justifier, partiellement ou totalement dans le temps un acte premier de génocide.

Votre nouveau livre apporte la preuve documentaire, irréfutable, de la volonté génocidaire du Comité de salut public – c’est même le seul « génocide légal » de l’histoire contemporaine ou en tout cas le seul dont on ait retrouvé les traces, d’ordre en ordre, de préparatif en préparatif. Quelles sont les implications de cela ?

A ma connaissance c’est la première fois et seule fois qu’un peuple souverain vote, planifie et met en œuvre l’extermination d’une partie de la population qu’il représente et son anéantissement et, le comble, au nom des Droits de l’homme et du citoyen. C’est le summum de la barbarie s’il y a un summum en la matière. Je rappelle que même les députés de la Vendée militaire ont voté ces lois. Il en découle plusieurs conséquences et implications. J’en retiendrai deux. Pour l’historien que je suis, la connaissance de ces lois a facilité ma recherche. Pour la reconnaissance de ce génocide par le Parlement c’est une difficulté énorme puisqu’il considère qu’il est le fils de la Révolution.

Vous évoquez bien sûr, avec Soljenitsyne, la filiation entre les grands génocides du XXe siècle et cette « matrice de tous les génocides » que fut la Vendée. Entre haine et utopie : on a voulu faire le bonheur des hommes malgré eux et contre eux. Ces actes froidement calculés ont-ils un lien nécessaire avec l’idéologie révolutionnaire qu’ils servent ?

Je suis de ceux qui pensent qu’elle est liée à la nature de la Révolution française qui se veut une, indivisible et universelle avec comme finalité la création de l’homme nouveau. Tous les régimes qui se sont inscrits dans cette perspective, la Turquie de Kemal, la Russie de Lénine et de ses successeurs, l’Allemagne nationale-socialiste d’Hitler, la Chine communiste de Mao, le Cambodge de Pol Pot… ont généré les mêmes crimes avec les mêmes symptômes. Ce n’est pas par hasard si tous se sont référés à Robespierre et ont utilisé la même arme, c’est-à-dire la terreur, comme le note si justement Gilles William Goldnadel dans l’introduction : « Les systèmes de même nature ont généré les mêmes drames, se sont appuyés sur le même mot : Terreur au nom de la Raison, Terreur au nom de la Race, Terreur au nom de la Classe. Nous retrouvons en permanence les mêmes éléments de langage, énoncés pour la première par le Comité de salut public, incroyablement synthétisés en quelques mots. »

Vous avez fait une œuvre universitaire, sans passion, sans commentaires qui dépasseraient le strict cadre du sujet que vous vous êtes fixé. Mais votre histoire personnelle s’inscrit dans celle d’une famille qui a payé un lourd tribut à la Révolution. D’aucuns vous reprocheront d’avoir voulu, en quelque sorte, régler des comptes. Ou d’avoir, par votre proximité avec ces horreurs, exagéré leur portée. Et de fait les massacres ne manquent pas dans l’histoire. Que leur répondriez-vous ?

Je pense que le massacre de l’élite vendéenne a eu de très lourdes conséquences à tous les niveaux et notamment, comme je l’explique dans le livre, au niveau de la réflexion. D’ailleurs tout ceci était mûrement réfléchi comme l’expliquent à maintes reprises les bourreaux. Nous retrouvons ce même phénomène là où a sévi la terreur. Regardez ce qui s’est passé à l’est, en Asie, etc. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, ces populations dont les élites ont été décimées, livrées à elles-mêmes, ne peuvent plus gérer leur présent et leur avenir. Prenons le cas précis de la marine royale, première marine au monde en 1789. Elle ne s’est jamais remise du massacre de ses cadres ou de leur exil. Me reprocher d’être un enfant de victime serait un comble. Il faudrait alors agir de la même manière avec les descendants des génocidés arméniens, juifs, cambodgien… Vous imaginez le scandale !

A la sortie de votre livre sur le génocide, vous avez eu les pires ennuis, comme vous l’avez raconté dans un livre paru chez Fol’Fer intitulé La désinformation autour des guerres de Vendée et du génocide des Vendéens. Avez-vous peur ?

Que voulez-vous que l’on me fasse maintenant ? On m’a viré de l’enseignement, déshonoré, conspué, dénoncé. Tout est possible, mais là n’est pas l’essentiel. Je pense qu’il est temps de réparer ce qui a été fait. Ce n’est pas seulement une question de justice mais aussi d’espérance. Reste le problème de la République française qui connaît maintenant la vérité. Si elle reste dans son attitude de non-reconnaissance, elle est désormais dans le déni. De ce fait, elle devient, en conscience, actrice de ce mémoricide et de ses conséquences multiples, entre autres psychiques et culturelles, sur ses descendants. Dès lors, à ce titre, elle se rend chaque jour coupable de complicité de crime contre l’humanité et de ce fait cautionne les négationnistes, entre autres ceux des génocides des Arméniens et des Juifs dont l’organisation a été la plus structurée et aboutie. Sont concernés notamment les politiques, les éducateurs au sens large, les hommes de média et tous ceux qui œuvrent individuellement dans ce sens.

Propos recueillis par Jeanne Smits
Article extrait du n° 7450 de "Présent" du samedi 8 octobre 2011