Redécouvrir Gustave Thibon

La jeunesse qui ne passe pas des propos du 'philosophe-paysan"

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On ne se lasse pas de redécouvrir Gustave Thibon (1903-2001). D'ailleurs, comme il le disait lui-même avec ironie, c'est plutôt "quand cela va mal" qu'on le redécouvre. Pour nous convaincre de la permanente fraîcheur de sa pensée et de son sens de la formule voici un court texte extrait de "L'échelle de Jacob" (Bruxelles, 1942).


Qui ne risque rien n'est rien !

L'être qui court le moins de risques est ici-bas l'être le plus voisin du néant : qui ne risque rien n'est rien.
Le risque est fait pour être couru : chaque être porte en lui de quoi surmonter les risques auxquels sa nature ou sa vocation l'exposent.
Le plus grand risque est fonction du plus haut destin. Socrate mourant s'enchante du ‘beau risque’ de l'immortalité, Blaise Pascal pousse l'homme au pari suprême. L'acceptation de la mort est le seul risque qui soit proportionné à la destinée surnaturelle de l'âme, et celui qui n'est pas prêt à le courir n’est pas vraiment chrétien. Où trouver la contrepartie de la vie éternelle, si ce n'est dans le total anéantissement de la vie temporelle: un seul risque est à la mesure de la promesse absolue de Dieu, c'est celui de la perte apparente de tout.
La destinée de chaque homme est commandée par la réponse intérieure qu'il fait à cette question : de l'amour ou de la mort, lequel est une illusion ? Le chrétien, lui joue sur l'amour, et, pour l'amour, il est prêt à risquer la mort. Il est de ceux qui, croyant en l'amour, ne peuvent plus croire en la mort. Le risque chrétien consiste, à la limite, à subordonner la mort à l'amour. Depuis le Calvaire, la mort ne travaille plus pour son compte : l'amour lui dérobe incessamment sa victoire. Le suprême risque est devenu le suprême espoir.
Chacun règle sa prudence d'après la nature de son trésor, de son cœur.
La vraie prudence a deux yeux : l'un est fixé sur le but à atteindre, l'autre sur le risque à courir ; elle voit jusqu'au but, et c'est pourquoi elle sait affronter le risque. La fausse prudence est en quelque sorte éborgnée, elle n'a qu'un œil braqué sur le risque, elle ne voit pas plus loin que le risque, et c'est pourquoi elle se refuse à le courir. Privée à la fois du sain regard qui voit le but et de la sainte tendance qui porte vers lui, elle n'a plus qu’un désir : celui d'échapper au risque à tout prix. L'homme est alors voué à la stagnation ou à la régression ; il ne rêve plus que de carapaces ou de garde-fous et la vie se transforme pour lui en une immense entreprise d' « assurances contre tous risques ».
Il n'est pas de pire imprudence que cette fausse prudence. À trop vouloir se préserver, on se détruit. L'être qui, pour mieux se conserver, se retranche dans les parties inférieures de lui-même, est l'artisan de sa propre ruine, car il agit contre une exigence centrale de la nature et de la vie, et il compromet irrémédiablement le bien inférieur qu'il prétend sauver...
Dans tous les domaines, l'homme doit choisir, non entre la sécurité et le risque, mais entre un risque ouvert, chargé de promesses, et un risque sans compensation, sans issue. Car il n'est pas ici-bas pour lui de palier stable, et le refus de monter accroît les chances de tomber. Au risque fécond de la vie et de l'amour, la fausse prudence substitue partout le risque stérile de l'égoïsme et de la mort.

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Pour tous ceux qui voudront aller plus loin nous conseillons fortement le livre que les éditions Mame viennent de publier :

"Les hommes de l'éternel : Conférences au grand public (1940-1985)" de Gustave Thibon