Jean Madiran : l'hommage de Rémi Fontaine

« Comme un scout»

Jean Madiran : "Comme un scout…"


Fais-nous quitter l’existence
Joyeux et pleins d’abandon
Comme un scout après les vacances
S’en retourne à la maison.

P. Sevin

Il a déjà été beaucoup écrit sur le maître et l’ami, le chantre de la loi naturelle et de la piété filiale, l’apôtre de la chrétienté, de l’alliance (sans confusion) du temporel et du spirituel… Au risque d’en surprendre certains, je voudrais revenir sur un aspect moins connu, mais non le moindre, de Jean Madiran : son esprit scout.

Il avait été louveteau, scout et routier pendant douze ans aux Scouts de France d’avant la guerre, y obtenant même, je crois, la plus haute distinction d’alors de ce mouvement cofondé et « baptisé » par le P. Sevin : celle de « chevalier de France ». Peu disert sur son passé scout, il se confiait pourtant quelquefois par bribes avec nostalgie et émotion, ne cachant pas ce que lui avait apporté cette belle institution au plan éducatif.

Il aimait rappeler le texte de sa « promesse » : « Sur mon honneur, avec la grâce de Dieu, je m’engage à servir de mon mieux Dieu, l’Eglise et la patrie, à aider mon prochain en toutes circonstances, à observer la loi scoute. » Il alla même jusqu’à écrire un jour : « S’il me fallait résumer le sens que j’ai voulu donner à ma vie, il me suffirait d’indiquer ces deux engagements (avec celui, ultérieur, de l’Ordre de la Francisque). Dans le cérémonial de la promesse scoute, on vous posait la question : – Combien de temps ? La réponse était : – S’il plaît à Dieu, toujours. » Et de préciser pour ceux qui douteraient du sérieux de cet engagement d’adolescent : « C’est la grâce que je demande aujourd’hui encore, comme lorsque j’avais douze ans. » C’était en 1990 : il avait alors 70 ans.

Pour tracer son sillon droit devant lui, malgré l’orage, Jean Madiran a su en effet, selon le proverbe, « accrocher sa charrue à une étoile » : celle proposée dans le scoutisme catholique. Par elle et avec elle, il a même « accroché » son itinéraire à une véritable « voie lactée » : cette lignée de saints et de maîtres auxquels il se référait si souvent, serviteurs, à leurs manières différentes, de l’Eglise et du vrai premier de cordée : Notre Seigneur Jésus-Christ. « En vérité, disait-il, nous ne sommes pas isolés… quand nous professons la foi catholique, quand nous enseignons le catéchisme romain, quand nous défendons la messe de toujours, nous sommes soutenus par tous les saints du paradis, et nous sommes formidablement retranchés, autant qu’il est possible à notre infirmité, dans l’éternel. »

En dépit de ce qu’en disent ses détracteurs et au contraire de beaucoup, dans la crise de l’Eglise et l’orage sur le monde, Madiran est demeuré exactement sur son champ, dans son azimut, comme on le lui avait appris physiquement et moralement aux scouts. Souriant et chantant même dans les difficultés, son action, il l’a menée selon son devoir d’état, à sa place et sans en sortir (sinon pour assurer une fonction vicariante), se donnant à cette tâche autant qu’il le pouvait, se souvenant toujours de sa condition de baptisé et « laïc du rang », évitant de prendre les initiatives qui ne lui appartenaient pas.

La biographie intellectuelle que lui a consacrée Danièle Masson est un hommage à cette adéquation de l’homme avec sa vocation. En l’occurrence, celle d’un publiciste catholique, laïc mais oblat bénédictin, héritier exceptionnel, par sa situation et ses talents, d’une tradition spirituelle et réaliste : « Madiran est l’héritier qui garde et sauve l’héritage et le fait fructifier, qui n’enfouit pas le talent mais lui fait donner cent pour un. Ses mots sont lourds d’héritage, sa pensée porte l’empreinte des choses léguées et maintient vivante la tradition, car il n’existe pas de tradition morte. »

Depuis l’aiguillon de cette promesse scoute, la plume de Madiran a donc tracé sur l’imprimé, avec rythme et patience, piété et prudence, et des recommencements de laboureur soumis au réel, un double sillon politique et religieux pour disposer au mieux le sol français à la semaison qui annonce la résurrection printanière. Sillon politique envers et contre le cataclysme de la Révolution qui va des prétendues « Lumières » au communisme et à la dictature du relativisme, avec tous leurs monstrueux avatars. Sillon religieux envers et contre la tornade (de « l’esprit ») de Vatican II avec ses prémisses philosophiques et ses prémices d’autodestruction…

Démasquant l’imposture conjointe : « La vieillesse du monde » et « L’hérésie du XXe siècle », Jean Madiran a délaissé les discours trop systématiques et abstraits, ne relevant pas de sa modeste juridiction, pour simplement constater les dégâts et proposer sa riposte immédiate, proportionnée et concrète. Au pape et aux évêques, par exemple, il ne fait pas une longue théorie sur la liberté religieuse : pour aider son prochain en toutes circonstances, il réclame le pain de la vie et de la survie pour les fidèles du bout du banc : « Rendez-nous l’Ecriture, le catéchisme et la messe »…

Il le demande avec cette pertinence et ce ton propre, souvent incisif il est vrai, mais l’heure n’était pas aux ronds de jambe, il y avait urgence, péril en la demeure. Sur les champs dévastés de la patrie et de l’Eglise, vent debout contre les vents contraires du monde, Madiran marchait à l’étoile comme on marche au feu, accomplissant au premier rang « le devoir de charité qui est celui du soldat contre le barbare ». Son labeur était, par la force des choses, un combat et sa plume, pour autant qu’elle le puisse, un paratonnerre…

Comme un scout après les vacances, il est donc rentré à la Maison du Père, joyeux et plein d’abandon, après avoir bellement servi « l’Eglise et la patrie », selon sa promesse. Il dépend de nous maintenant, malgré nos faiblesses, de mettre nos pas (et nos plumes !) dans ce double sillon si droitement tracé pour poursuivre dignement son œuvre et cheminer encore avec ce père spirituel et ce frère scout dans la communion des saints qui est la vraie communion catholique, à la grâce de Dieu.

REMI FONTAINE

"Présent" - n°720 du mercredi 21 août 2013