"Nous sommes de Jésus"

Un article de Jacques Trémolet de villers dans "Présent"

Nous sommes de Jésus


Le vent tourne à la radicalisation. Il suffit d’écouter autour de soi, de faire un petit sondage personnel sur les marchés, dans les gares ou près du zinc pour en être persuadé. Ensuite, les radios et télévisions – ces instruments antiques que seuls les vieux utilisent encore – le disent à nouveau. Evoquerai-je les autres messageries ? C’est quasiment le déchaînement – Radicaliser, c’est retourner à la racine – C’est aussi, dit Larousse, devenir intransigeant. Les deux peuvent aller de pair, mais ce n’est pas obligatoire. Qui retourne à la racine pour prendre des forces peut se rendre plus apte à transiger intelligemment que celui, qui, dans sa faiblesse, a peur de tout, y compris du voisin qui pourrait devenir un ami.
Si nous, Français, nous poursuivons cette voie de la radicalisation, nous ne pouvons trouver autre chose que notre origine historique indiscutable, qui n’est pas une question de foi, mais un constat irrécusable, et qui nous dit « chrétiens ».
Mais « chrétien » ne suffit pas. Car ce peut-être – cela a été – une étiquette qui couvre une marchandise incertaine. Il faut aller plus loin dans cette démarche radicale et affirmer que, comme nation, nous sommes du Christ. Nous sommes aussi – et d’abord – comme personne de Jésus Christ.
Une sorte de réflexe de parole – presqu’un tic de langage – pourrait nous faire dire, machinalement, ah ! oui, c’est « la doctrine sociale de l’Eglise ». Ou c’est la Royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ et aussitôt, des livres, des encycliques, des thèses défilent dans notre mémoire, avec, en face, les oppositions, les distinguos, les conflits, à l’intérieur même du monde catholique, de l’Eglise, des conciles et de leur interprétation… Et si les choses étaient plus simples ? Si, comme nous y invite le pape François, il s’agissait d’une exigence radicale de notre conscience… qui veut trouver, non pas une idée, une doctrine, encore moins un système ou une idéologie, mais Quelqu’un.
Quelqu’un qui règne sur notre cœur… et qui règne aussi sur la société dont nous sommes issus et que nous formons, car aucun de nous ne peut dire « je suis moi et rien que moi ! » Déjà, il y a plus d’un siècle, le culte du Moi avait conduit Maurice Barrès à l’amour et à la défense de la nation, car je ne suis rien sans ceux dont je suis issu et ceux avec lesquels je vis. Les « liens qui de mon cœur aux autres vont » me fondent autant qu’ils fondent mes relations aux autres. Relié à mon Créateur, puisque je suis sa créature, je suis par là même dépendant de ceux par lesquels ou avec lesquels il m’a créé. Il n’y a pas de lien social qui soit purement horizontal. Tout lien social est, à la fois, vertical et horizontal, comme l’arbre de la Croix.
Nous ne pouvons pas affirmer que notre temps est mûr pour entendre le langage. Mais, mûr ou pas, c’est ce langage qu’il faut lui tenir.
Car la radicalisation, à laquelle nos gouvernements vont être conduits, ou acculés, est celle qui constitue leur seul refuge : la laïcisation, qui est, en réalité un laïcisme.
L’opposition radicale à cette monstruosité, c’est la plénitude de notre être historique.
Nous n’avons, pour y parvenir, aucun autre effort à faire que celui qui nous pousse à être nous-mêmes. Plus nous persévérons dans notre être personnel, et plus cette réalité sociale et nationale dont nous sommes issus se fait vivante, présente, explicite. Dans les moments de doute, de fatigue, de dépression, si fréquents aujourd’hui dans nos histoires personnelles, le remède le plus courant et le plus approprié est cette redécouverte de ce que nous sommes, que certains appellent savamment « résilience ». Ce qui est vrai à l’échelle des données personnelles l’est encore plus à la mesure des nations. Il n’y a rien d’agressif, d’exclusif ni de possessif dans ce mouvement qui est celui de la simple nature. Le retour vers l’être est toujours un instant de joie, et la joie est l’état qui déborde. Qui s’est pleinement trouvé lui-même se sent un cœur capable d’embrasser l’univers. Ce qui lui semblait, dans le moment de son incertitude, une muraille infranchissable ou un péril insurmontable, lui apparaît soudain comme un obstacle qu’un peu de bonne volonté surmonte. Cette paix intérieure et profonde est plus forte que tous les assauts extérieurs. C’est en elle que réside le secret de la victoire.
Les événements dont la France est le théâtre aujourd’hui ne laissent aucun d’entre nous à l’abri de la carapace que ses idées, ses opinions, ses lectures et sa gloriole personnelle ont pu lui construire. Tout est balayé et la remise en question n’affecte pas seulement les dépositaires actuels du pouvoir. Elle est générale et s’adresse à chacun d’entre nous, au plus profond de son être. Elle dit : qui es-tu ? Qui aimes-tu ? D’où viens-tu ? Que veux-tu ? Et plus encore : qui est ton maître ? Pour qui acceptes-tu de souffrir et de mourir ?
A l’aune de ces exigences, les théories, les doctrines et les idées, pour belles qu’elles soient, apparaissent dérisoires « mourons pour des idées, d’accord mais de mort lente » chantait Brassens. On ne cherche plus quelque chose, mais Quelqu’un.
Dans les flammes du bûcher de Rouen, Jeanne n’a eu qu’un mot, répété sept fois, le mot était un nom : Jésus.
Six siècles plus tard, le cœur de notre histoire personnelle et nationale n’a pas changé et ne changera pas, car c’est par ce Cœur que notre temps devient éternité.
Pourquoi ne pas le dire ? Pourquoi cacher que le seul grand dessein qui soit à la hauteur de la vocation à laquelle est appelée cette jeunesse qui s’est dressée spontanément et qui continue à veiller, à agir, à prier, est l’extension du Règne du Cœur de Jésus-Christ ?
Il faut dépoussiérer les mots, élaguer les excroissances des intellectuels et des phraseurs, mettre les arguties des clercs en ordre de bataille, bref, faire de la simplicité, politique et guerrière de Jeanne le modèle de cette génération dont les manifestations, le plus souvent, prennent le visage des jeunes filles.
La France est une jeune fille qui dit oui. Oui à la vie. Oui à la noblesse de son histoire, oui à aujourd’hui et à demain, au seul vrai roi d’hier, d’aujourd’hui, de demain et de toujours : Jésus-Christ.
Le bienheureux Rolando Rivi, dont parlait samedi dernier Yves Chiron, le disait dans la seule phrase qui nous reste de lui : Io sono di Gesu.

JACQUES TREMOLET DE VILLERS

Article extrait du n° 7960 de "Présent" (mercredi 16 octobre 2013)