Et voilà pourquoi nous allons faire des efforts pendant le carême…

Une homélie du chanoine Alban Denis

Homélie du dimanche 2 mars 2014
prononcée en l’église Saint-Louis du Port-Marly par le chanoine Alban Denis


Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il !
Cher Monsieur le chanoine, Frères très aimés,
Chers amis du carême à venir, de ses rigueurs exquises et de ses renoncements joyeux !
Je suis… Je suis ton enfant, une chanson, un poème… un paysage !
Je suis le visage de ton épouse ou le coeur de ton mari. Je suis la tombe de tes ancêtres, le crucifix de ta chambre ou le tabernacle de ton église.
Ah mon ami ! Si tu savais comme je me sens seul, comme je guette ton arrivée, comme j’espère ta présence !
Tu me donnes bien quelques regards – de temps en temps – mais jamais bien en face, ni très longtemps.
Tu te laisses accaparer par des affaires dont tu prétends qu’elles sont plus sérieuses… Et tu essaies, après, de me convaincre, en me murmurant que tu manques de temps.
Je suis… Je suis un roman de Michel de Saint-Pierre ou de Michel Déon, Je suis un article de fond de L’Homme Nouveau ou du Figaro- Histoire. Je suis une homélie d’un souverain pontife, le Catéchisme de l’Eglise catholique ou la biographie d’un saint.
Ah mon ami ! Si tu savais comme je suis en mesure de te nourrir… de nourrir ton âme. D’illuminer ton intelligence. De structurer ton coeur. Mais… mais tu préfères papillonner sur internet, aller de brève en brève, d’information en information, tu préfères opter pour l’immédiat d’un clic. Jamais plus de dix lignes avalées sur un même sujet, car réfléchir te fait peur ou te fatigue. Alors laisse-moi te dire très doucement ce matin que tu manques de jugement.
Je suis… Je suis l’altitude au sommet de la montagne, la lumière au bout du tunnel, la miséricorde au travers de la grille d’un confessionnal.
Mais… mais cela fait bien longtemps que tu doutes de toi-même. Tu te sers de ta faiblesse pour te convaincre d’être destiné à la médiocrité. Tu oublies. Tu oublies que tu es fait pour l’incandescence, la beauté et l’absolu. Ah ! mon ami, comme tu manques d’enthousiasme !
Je suis… Je suis le dossier de ta chaise ou de ton banc. Je suis ton rasoir ou ton peigne. Je suis les bonnes manières de ta grand-mère. Je suis l’élégance du vêtement et de la langue française. Je suis le sens du sacré et la clarté d’un regard. Crois-moi, nous qui formons en cortège le patrimoine d’une civilisation bimillénaire, quelle tristesse, mon ami, de te voir parfois – trop souvent – à l’affût des modes passagères et prêt à succomber à un certain esprit mondain !
C’est regrettable, mais je te le dis sans fard : tu manques de tenue.
Je suis… je suis enfin… je suis… le panier de quête de ta messe dominicale. Depuis des années, je passe devant toi le plus lentement possible, bien que tu me presses souvent de filer vite chez ton voisin… Chaque dimanche – in-las-sa-ble-ment – je poursuis ma séduction. Parfois même, les jours de mariage ou de fête, je change mes atours : petits rubans bleus, pièces de velours. Pour mieux t’attendrir, certaines fois c’est un enfant ou le prêtre lui-même qui me promène dans la nef. Et pourtant… pourtant… combien de fois ne m’as-tu pas délaissé. Allez ! Avoue-le, mon ami : de ta part, trop souvent, je n’ai eu droit qu’à la flagellation des pièces quand j’espérais la douce caresse d’un billet.
Et rejoignant la sacristie, le ventre vide et le coeur lourd, j’ai du mal à ne pas me dire au fond de moi-même que, peut-être… peut-être tu manques de générosité.
Alors mes frères, mes frères très aimés, pour bien nous entendre, il faut nous arrêter quelques instants.
A nous tous, c’est bien clair, il nous est arrivé de manquer de temps, de jugement, d’enthousiasme, de tenue ou même de générosité.
Cela va de soi. Et, voyez-vous, je n’aurai pas la bêtise ni la prétention de ne pas me sentir concerné, et même de me croire au-dessus de vous.
Nous avons tous nos misères, nos parts d’ombre et nos petits égoïsmes. Mais il s’agit d’aller de l’avant, mes frères !
Ou pour mieux dire : de nous envoler, parce que vous le savez, dans la vie spirituelle, il s’agit moins d’un cheminement que d’une ascension. Vers ce Ciel. Où Dieu nous attend. Qu’il a préparé pour nous.
Alors, mes doux fidèles, pourquoi nous arrive-t-il d’être si lâches ? Pourquoi nous arrive-t-il de faire le mal ?
Et bien, écoutez maintenant. Ecoutez ce cri ultime. Ecoutez-le avec gravité, et puis avec tremblement, parce que celui qui pousse ce cri vous aime, très fort : Je suis ton Dieu, ton Créateur et ton Maître. Et plus encore, je veux être ton ami. Si tu savais ! Si tu savais comme j’ai soif de toi ! Je t’ai donné l’existence et la vie. Je t’ai donné l’être et l’agir. Je t’ai donné la vie sur cette terre, non pour ton malheur : je ne t’ai pas créé pour que tu sois triste, blafard ou grincheux. Je t’ai donné l’existence pour que tu connaisses un jour la vie éternelle de mon Paradis. La béatitude de mon Ciel. Le bonheur de la paix de mes amis les anges et les saints.
Crois-moi, mon frère, crois-moi de tout mon coeur ! Si tu manques de temps, si tu manques de jugement ou d’enthousiasme, de tenue ou de générosité, c’est d’abord, d’abord, parce que tu manques d’amour. C’est ça le drame, mes frères, et c’est pour ça qu’aujourd’hui nous avons entendu l’hymne à la charité avant le carême. C’est parce qu’on n’aime pas assez qu’on fait le mal. Ce n’est pas par devoir qu’il faut faire le bien, c’est par amour. Par charité. Parce que Dieu nous aime.
Il ne faut pas nous lasser de nous l’entendre dire. On n’aime pas assez. On peut toujours aimer davantage. C’est la charité notre principe d’action dans notre vie spirituelle et dans le combat des vertus. Ne pas subir notre foi. Ne subissez pas ce en quoi vous croyez ! Ne subissez pas votre foi, on n’a pas le droit, pas aujourd’hui, ce n’est pas possible ! Il faut aimer de tout votre coeur. Aimer davantage. Toujours mieux. Avec plus d’application. Regardez notre bon malade, notre aveugle de Jéricho sur le bord de la route. Il crie, il hurle, il mendie l’amour du Seigneur : « Sauvez-moi ! Faites que je voie. » Eh, mes amis ! Quand on voit Notre-Seigneur, c’est le coup de foudre assuré ! C’est impossible de ne pas résister à son regard et à son amour. Alors, essayez d’y penser de temps en temps. Dites-vous que vous n’avez pas assez de tenue et moi aussi. Que vous n’avez pas assez de générosité et moi aussi. Il faut se dire cela…
Et voilà pourquoi nous allons faire des efforts pendant le carême – ça aussi, il est important que vous l’entendiez. On ne fait pas des efforts tout d’abord parce qu’on aime souffrir, ou alors c’est qu’on est vraiment singulier et tordu. On ne fait pas des efforts ensuite pour aimer davantage Notre-Seigneur. C’est bien, peut-être. D’accord. Mais si on arrive à faire des efforts, c’est parce que d’abord on aime, parce qu’on est habité par l’amour de Dieu en nous. C’est l’amour qui va être le moteur encore une fois, le principe d’action de notre agir bon.
Donc, dans les efforts que vous allez faire essayez d’y penser dès maintenant, pendant cette messe – c’est pour ça que la liturgie de la Quinquagésime nous aide à mettre l’amour et la charité à la première place. Demandez cette grâce au Seigneur tout à l’heure pendant le silence du canon, et moi je le ferai aussi, d’aimer davantage notre bon Jésus, de l’aimer pour faire des efforts et pour le servir convenablement, et faire un bon carême. De l’aimer tout simplement.
Aimez-le de tout votre coeur, de toute votre âme et de tout votre esprit ! Et que votre carême n’ait pas la laideur d’un fardeau mais l’éclat d’un flambeau, ainsi soit-il !