Anniversaires : Jérôme Lejeune, Jean Ousset

Deux hommes, deux laïcs

Un article de Jacques Trémolet de Villers dans "Présent" daté du 23 avril 2014


Il y a tant d’anniversaires que je renonce à tous les célébrer. Mais puis-je laisser passer, sans en dire un mot pour la France qui vient, les vingt ans de l’entrée dans la vie, le 3 avril dernier, de Jérôme Lejeune, et le vingt de ce même mois de mon maître et ami Jean Ousset ?
Deux hommes, deux laïcs, ô combien différents et pourtant unis dans leur triple qualité de laïcs, de Français et de chrétiens.
Jérôme Lejeune était médecin, savant, orateur, poète, célèbre, simple, humble, délicat, je devrais même dire délicieux, et… sans aucune raison détesté, voire haï par les tenants du pouvoir culturel, médiatique et, par là même, politique.
Quand il a compris que la découverte qui avait fait sa célébrité mondiale allait se retourner contre ses malades et qu’on allait s’en servir pour les supprimer, il rompit, frontalement, avec les hommes, les prix, les décorations, les chaires et les titres, et il entra dans une guerre qu’il mena, inlassablement et sans aucune illusion, jusqu’au bout.
Je dis sans illusion car, dès 1971, au tout début des grandes offensives vers la légalisation de l’avortement, il avait prévu l’aboutissement que nous connaissons aujourd’hui, mais cette lucidité n’atteignit jamais sa ferveur et l’allant qu’il savait communiquer.
L’espérance, disait-il en souriant, est génétique, plus que politique. Les foules du Printemps français et celles qui suivent lui donnent raison. Par sa Fondation, son œuvre le suit. Son procès en béatification est ouvert. La phase diocésaine est achevée. La phase romaine commence. La vie qu’il défendit de toute sa foi et de toute sa science en chrétien et en médecin, est, en définitive, la plus forte.
Jean Ousset était un autodidacte ou plutôt il avait tout appris de ce qu’il savait – et, comme le disait souvent Jean Madiran, « il savait tout » –, en dehors des canaux ordinaires des écoles. Il avait eu son grand-père, sa grand-mère, un valet de ferme, un curé de campagne, un officier de chasseurs alpins, un camarade de camp de prisonniers, quelques copains d’usine et des beaux-arts, la bibliothèque de l’abbaye de Solesmes et, de ces héritages ou de ces amitiés, il avait fait un véritable arsenal de combat.
Combat pour quoi ? Pour le rétablissement du pouvoir temporel chrétien d’un laïcat non moins chrétien. Il avait vu que l’hérésie moderne était sociale, que sous couvert d’intérioriser et d’approfondir la foi, on la vidait de son incarnation. Méfiez-vous, disait-il après saint Jean dont il portait le nom, de ceux qui veulent « dissoudre Jésus-Christ », « qui solvit Jésum ».
Jésus, roi des cœurs mais pas roi des sociétés. Jésus, roi des âmes mais pas roi des nations. A coup de jeux de mots et de fausses traductions sur « Rendez à César ce qui est à César » et de « Mon royaume n’est pas de ce monde », la foi était reléguée dans la sphère privée, cachée, enfouie et la vie se déroulait sous l’empire du Mauvais.
Le noeud de nos drames était là. Et c’était là qu’il résolut de porter le fer. Le social, le politique, le culturel, le temporel pour parler plus simplement, c’est le domaine des laïcs. Il enseigna, réclama, organisa le légitime pouvoir de ce laïcat et voulut mettre en œuvre sa mobilisation. La crise de l’Église, les conflits liturgiques et doctrinaux entravèrent sans cesse cette volonté d’action que, pourtant, sans se lasser, il mena, lui aussi, jusqu’au bout.
Aujourd’hui ceux qui, sans même le savoir, utilisent, dans leurs cercles, leurs veilles, leurs stages, ses articles, ses livres, ses conférences, ses citations font, à celui qui se voulait « le nègre qui place l’escabeau pour vous permettre de monter ou de descendre… », une postérité qu’aucune célébrité de son temps ne connaît.
Jérôme Lejeune, Jean Ousset, ces hommes au regard bleu, à l’intelligence vive et au cœur si doux, m’ont dit, plus que mille livres et dix mille sondages, ce qu’est la France, ce qu’elle pèse, ce qu’elle dit, ce qu’elle aime, ce qu’elle veut, et qu’il est impossible qu’elle ne continue pas. D’ailleurs, elle continue.