Réaction du cardinal Burke à “Amoris laetitia”

Traduction intégrale de la réflexion publiée dans le “New Catholic Register” par le cardinal Raymond Burke à propos d'Amoris laetitia

Source: Le blog de Jeanne Smits

Je vous propose ci-dessous la traduction intégrale de la réflexion publiée cet après-midi dans le “New Catholic Register” par le cardinal Raymond Burke à propos d'Amoris laetitia. Il y exhorte à une lecture conforme au magistère constant de l'Eglise, rappelant que le document « n'est pas un acte du magistère ». La traduction a été faite par mes soins, sans relecture de la part du cardinal Burke, le texte qui fait foi est donc celui publié par le NCR. – J.S.

Burke_hands_810_500_55_s_c1.jpg Le cardinal Burke à Rome en janvier 2015
© photo Olivier Figueras

Les médias séculiers et même certains médias catholiques ont décrit la récente exhortation Amoris laetitia, sur l'amour dans la famille, comme une révolution au sein de l'Église, comme un changement radical de l'enseignement et de la pratique de l'Eglise sur le mariage et la famille telles qu'ils ont existé jusqu’à présent.

Une telle vision du document est à la fois source d'étonnement et de confusion pour les fidèles, et constitue potentiellement une source de scandale non seulement pour les fidèles mais pour d’autres personnes de bonne volonté qui attendent du Christ et son Eglise qu’ils enseignent et reflètent dans la pratique la vérité concernant le mariage et son fruit, la vie de famille, la première cellule de la vie de l'Eglise et de toute société
Ce n'est pas non plus rendre service à la nature du document qui est le fruit du Synode des évêques, une réunion d'évêques qui représente l'Église universelle pour « aider de ses conseils le Pontife Romain pour le maintien et le progrès de la foi et des mœurs, pour conserver et affermir la discipline ecclésiastique, et aussi afin d'étudier les questions concernant l'action de l'Église dans le monde » (canon 342). En d'autres termes, ce serait contredire le travail du Synode des évêques de faire naître une confusion à l'égard de ce que l'Eglise enseigne, conserve et promeut à travers sa discipline.
La seule clef d’interprétation correcte d’Amoris laetitia est l'enseignement constant de l'Eglise, et sa discipline qui conserve et promeut cet enseignement. Le pape François dit très clairement, d’emblée, que l'exhortation apostolique post-synodale n'est pas un acte du magistère (No 3). La forme même du document le confirme. Il est écrit comme une réflexion du Saint-Père sur les travaux des deux dernières sessions du Synode des évêques. Par exemple, au chapitre 8, que certains voudraient interpréter comme étant la proposition d'une nouvelle discipline avec des répercussions évidentes sur la doctrine de l'Église, le pape François, citant son exhortation post-synodale Evangelii Gaudium, déclare :

« Je comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne prête à aucune confusion. Mais je crois sincèrement que Jésus Christ veut une Église attentive au bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité : une Mère qui, en même temps qu’elle exprime clairement son enseignement objectif, « ne renonce pas au bien possible, même si elle court le risque de se salir avec la boue de la route » (No 308).

En d'autres termes de Saint-Père propose ce qu'il pense personnellement être la volonté du Christ pour son Eglise, mais il n'a pas l'intention d'imposer son point de vue, ni de condamner ceux qui mettent l'accent sur ce qu'il appelle « une pastorale plus rigide ». La nature personnelle, c'est-à-dire non magistérielle, du document est également évidente à travers le fait que les références citées sont principalement le rapport final de la session 2015 du synode des évêques, et les allocutions et les homélies du pape François lui-même. Il n'y a pas d'effort systématique en vue de mettre en relation le texte, en général, ou ces citations, avec le magistère, les Pères de l'Église et d'autres auteurs confirmés. Bien plus, comme noté ci-dessus, un document qui est le fruit du synode des évêques doit toujours être lu à la lumière de l'objectif du synode de lui-même, à savoir, de conserver et de promouvoir ce que l'Église a toujours enseigné et pratiquer en accord avec son enseignement. En d'autres termes une exhortation apostolique post-synodale, de par sa nature même, ne propose pas une nouvelle doctrine et une nouvelle discipline mais applique la doctrine et la discipline pérenne à la situation du monde à un moment donné.

Comment donc faut-il recevoir le document ? Avant tout, il doit être reçu avec le profond respect dû Pontife romain en tant que Vicaire du Christ, ainsi que le définit le Concile oecuménique Vatican II : « le principe perpétuel et visible et le fondement de l'unité qui lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles » (Lumen Gentium, 23). Certains commentateurs font la confusion entre ce respect et une obligation supposée de devoir « croire de foi divine et catholique » (canon 750 § 1) tout ce que contient le document. Mais l'Église catholique, tout en insistant sur le respect dû à l'office pétrinien institué par Notre Seigneur lui-même, n'a jamais tenu que chaque déclaration du successeur de Saint-Pierre doive être reçue comme faisant partie de son magistère infaillible.

Tout au long de son histoire, l’Eglise a été très sensible à cette tendance erronée à interpréter chaque parole du pape comme liant la conscience, ce qui est évidemment absurde. Selon la définition traditionnelle, le pape a deux corps, le corps qui est le sien en tant que membre individuel des fidèles, et qui est sujet à la mortalité, et le corps qui est le sien en tant que Vicaire du Christ sur terre qui, selon la promesse de notre Seigneur, perdure jusqu'à son retour dans la gloire. Le premier corps est son corps mortel, le deuxième corps est l'institution divine de l'office de saint Pierre et de ses successeurs.

Les rites liturgiques et la vêture qui entourent la papauté soulignent la distinction, de telle sorte qu'une réflexion personnelle du pape, quoiqu’on la reçoive avec le respect dû à sa fonction à sa personne, ne soit pas confondue avec la foi contraignante attachée à l'exercice du magistère. Dans l'exercice du magistère le Pontife romain en tant que Vicaire du Christ agit dans une communion ininterrompue avec ses prédécesseurs, en commençant par saint Pierre.

Je me rappelle la discussion qui avait d'entouré la publication des conversations entre le bienheureux pape Paul VI et Jean Guitton en 1967. On s'inquiétait du danger de voir les fidèles confondre les réflexions personnelles du pape avec l'enseignement officiel de l'Eglise. Alors que le Pontife romain a des réflexions personnelles qui sont intéressantes et qui peuvent être source d'inspiration, l'Église doit toujours être attentive à souligner que leur publication est un acte personnel et non pas un exercice du magistère pontifical. Sans quoi ceux qui ne comprennent pas la distinction ou qui ne veulent pas la comprendre, présenteraient de telles réflexions et même des remarques anecdotiques du pape comme des déclarations exposant des changements dans l'enseignement de l'Eglise, à la grande confusion des fidèles. Une telle confusion nuit au fidèle et affaiblit le témoignage de l'Eglise en tant que Corps du Christ dans le monde.

Avec la publication d’Amoris laetitia, la tâche des pasteurs et autres enseignants de la foi est de la présenter à l'intérieur du contexte de l'enseignement et de la discipline de l'Eglise, afin qu'elle serve à édifier le Corps du Christ dans la première cellule de la vie, qui est le mariage et la famille. En d'autres termes, l'Exhortation apostolique post-synodale ne peut être correctement interprétée, en tant que document non magistériel, qu’en utilisant la clef du magistère telle qu'elle est décrite dans le catéchisme de l'Église catholique (85-87). La doctrine officielle de l'église, de fait, fournit la clef d'interprétation irremplaçable à l'Exhortation apostolique post-synodale, de telle sorte qu'elle puisse véritablement servir au bien de tous les fidèles, en les unissant de manière toujours plus forte au Christ qui, seul, est notre notre rédemption. Il ne peut y avoir d'opposition ou de contradiction entre la doctrine de l'Église et sa pratique pastorale, puisque, comme le Catéchisme nous le rappelle, la doctrine est en soi pastorale :

« La mission du Magistère est liée au caractère définitif de l’alliance instaurée par Dieu dans le Christ avec son Peuple ; il doit le protéger des déviations et des défaillances, et lui garantir la possibilité objective de professer sans erreur la foi authentique. La charge pastorale du Magistère est ainsi ordonnée à veiller à ce que le Peuple de Dieu demeure dans la vérité qui libère » (890).

La nature pastorale de la doctrine se voit de manière éloquente dans l'enseignement de l'Eglise sur le mariage et la famille. Le Christ lui-même montre la nature profondément pastorale de la vérité de la foi dans son enseignement sur le saint mariage dans l'Évangile (Matthieu, 19, 3-12), où Il enseigne à nouveau la vérité du plan de Dieu sur le mariage « depuis l'origine »

Au cours de ces deux dernières années, où l'Eglise s'est engagée dans une intense discussion autour du mariage et de la famille, je me suis souvent rappelée une expérience de mon enfance. J'ai été élevé dans une ferme laitière familiale du Wisconsin rural ; j’étais le plus jeune de six enfants de bons parents catholiques. La messe dominicale de 10 heures à l’église paroissiale dans la ville d'à côté était clairement au cœur de notre vie de foi. A un moment donné je me suis rendu compte qu'un couple ami de mes parents, d'une ferme voisine, qui était toujours à la messe mais ne recevait jamais la sainte communion. Lorsque j'ai demandé à mon père pourquoi ils ne recevaient jamais la sainte communion, il m'expliqua que l'homme était marié à une autre femme et que par conséquent ils ne pouvaient pas recevoir les sacrements.

J'ai le souvenir très vif de ce que mon père m’expliqua alors, de manière sereine, à propos de la pratique de l'Eglise parfidélité à son enseignement. Cette discipline avait évidemment un sens pour lui, et elle avait un sens pour moi. En fait, son explication a été la première occasion pour moi de réfléchir sur la nature du mariage en tant que lien indissoluble entre mari et femme. Dans le même temps, je dois dire que le curé de la paroisse traitait toujours ce couple avec le plus grand respect, alors même qu'il prenait part à la vie paroissiale d'une manière qui convenait à l'état irrégulier de son union. Pour ma part, j'ai toujours eu l'impression, qu'alors qu'il a dû leur être très difficile de ne pas être en mesure de recevoir les sacrements, ils étaient en paix en vivant conformément à la vérité de leur état marital.

Au cours de plus de 40 ans de vie et de ministère sacerdotal, au cours desquels j'ai servi 21 ans comme évêque, j'ai connu de nombreux autres couples engagés dans une union irrégulière, dont moi-même ou l’un de mes confrères prêtres avions la charge pastorale. Alors même que leur souffrance devait être évidente pour n'importe quelle âme douée de compassion, j'ai vu toujours plus clairement au fil des ans que le premier signe de respect et d'amour pour eux est de leur dire la vérité avec amour. De cette manière, l'enseignement de l'Eglise n'est pas quelque chose qui les blesse davantage mais qui, en vérité, les libère pour l'amour de Dieu et de leur prochain.

Il peut être utile d'illustrer par un exemple la nécessité d'interpréter le texte d’ Amoris laetitia avec la clef du magistère. Il est fait fréquemment référence dans le document à l'« idéal » du mariage. Une telle description du mariage peut être trompeuse. Elle pourrait conduire le lecteur à penser que le mariage est une idée éternelle à laquelle, dans le cadre de circonstances historiques changeantes, l'homme et la femme se conforment plus ou moins. Mais le mariage chrétien n'est pas une idée ; c'est un sacrement qui confère à un homme et à une femme la grâce de vivre en s’aimant d’un amour fidèle, permanente et procréateur. Les membres de chaque couple chrétien qui se marient validement reçoivent, depuis le moment de leur consentement, la grâce de vivre l'amour qu'ils se voue l'un à l'autre.

Comme nous souffrons tous des effets du péché originel et parce que le monde dans lequel nous vivons fait la promotion d'une définition totalement différente du mariage, ceux qui sont mariés subissent des tentations qui les poussent à trahir la réalité objective de leur amour. Mais le Christ leur donne toujours la grâce de rester fidèles à cet amour jusqu'à la mort. La seule chose qui puisse les limiter dans leur réponse fidèle est leur manque à répondre à la grâce qui leur est donnée dans le sacrement du mariage. En d'autres termes, leur conflit ne s'adresse pas à une quelqu'un qui est quelconque idée qui leur serait imposé par l'église leur bataille et contre les forces qui les conduiraient à trahir la réalité de la vie du Christ en leur sein.

Au cours des ans, et d'une manière particulière au cours de ces deux dernières années, j'ai rencontré beaucoup d'hommes et de femmes qui pour une raison quelconque, sont séparés ou divorcés de leur époux ou de leur épouse, mais qui vivent dans la fidélité à la vérité de leur mariage en continuant de prier quotidiennement pour le salut éternel de leur époux ou de leur épouse, même si celui-ci ou celle-ci là les a abandonnés. Au cours de nos conversations, ils reconnaisse les souffrances que cela entraîne, mais par dessus tout ils évoquent la paix profonde qui est la leur en restant fidèles à leur mariage.

Certains disent qu'une telle réponse à une séparation ou un divorce constitue un héroïsme auquel le fidèle moyen ne peut pas être tenu, mais en vérité, nous sommes tous appelés, quel que soit notre état de vie, à vivre de manière héroïque. Le pape saint Jean Paul II, lors de la conclusion du Grand jubilé de l'an 2000, faisant référence aux paroles de Notre Seigneur à la fin du Sermon sur la montagne – « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matthieu 5, 48) – nous a enseigné la nature héroïque de notre vie quotidienne dans le Christ avec ces paroles :

« Comme le Concile lui-même l'a expliqué, il ne faut pas se méprendre sur cet idéal de perfection comme s'il supposait une sorte de vie extraordinaire que seuls quelques « génies » de la sainteté pourraient pratiquer. Les voies de la sainteté sont multiples et adaptées à la vocation de chacun. (…) Il est temps de proposer de nouveau à tous, avec conviction, ce « haut degré » de la vie chrétienne ordinaire: toute la vie de la communauté ecclésiale et des familles chrétiennes doit mener dans cette direction » (Novo Millennio Ineunte, 31).

En rencontrant des hommes et des femmes qui, malgré l’échec de leur vie maritale, restent fidèle à la grâce du sacrement de mariage, j'ai été témoin de la vie héroïque que la grâce rend possible pour nous quotidiennement, chaque jour.
Saint Augustin d’Hippone, prêchant lors de la fête de la Saint-Laurent, diacre et martyr, en l'an 417, a utilisé une très belle image pour nous encourager à coopérer avec la grâce divine que Notre Seigneur a gagné pour nous par sa Passion et sa Mort. Il nous assure que dans le jardin du Seigneur il n'y a pas seulement les roses des martyrs mais aussi les lys des vierges, la vigne des épouses, et les violettes des veuves. Il en conclut que, donc, nul ne doit désespérer par rapport à sa vocation car « le Christ est mort pour tous » (Sermon 304).

Que la réception d’Amoris laetita, en fidélité au magistère, puisse confirmer les époux dans la grâce du sacrement du saint mariage, afin qu'ils puissent être un sacrement de l'amour fidèle et constant de Dieu pour nous « depuis l'origine », qui a atteint sa plus entière manifestation dans l'incarnation rédemptrice de Dieu le Fils. Que le magistère, en tant que clef de sa compréhension, assure que « le Peuple de Dieu demeure dans la vérité qui libère » (Catéchisme de l'Eglise catholique, 890).

Cardinal Raymond Burke
Patron de l’Ordre militaire souverain de Malte

Source : National Catholic Register du 11 avril 2016.