Jean-Frédéric Poisson : « Mes racines spirituelles sont à Fontgombault »

Jean-Frédéric Poisson répond aux questions de "Famille chrétienne"

20161110jeanfredericpoissonprimaire2016.jpgDix jours avant le premier tour de la primaire de la droite et du centre, le député des Yvelines et président du Parti chrétien-démocrate (PCD) déroute ses interlocuteurs en jonglant entre des positions plus sociales et ouvertes en matière d'économie et de laïcité, et plus exigeantes sur l'accueil des migrants.

Jean-Frédéric Poisson, nos lecteurs sont partagés entre vote de convictions et vote utile. Que leur dites-vous ?

Dans une élection à deux tours, le premier tour est celui des convictions, le second tour celui de la conciliation. Si vous faites l'inverse, à quel moment affirmerez-vous vos convictions ? À force de ne pas voter pour ceux avec lesquels vous êtes d'accord, ne vous étonnez pas qu'ils se fatiguent. Si effectivement, un certain nombre d'entre nous – et je ne suis pas le seul – est condamné à traverser sa vie politique en étant fidèle à ses engagements, en prenant tous les coups dans la figure pour entendre chaque fois à la fin : " vous êtes très bien mais on va voter pour l'autre ", ne vous étonnez pas qu'à la fin du compte plus personne ne vous écoute. Et si vous êtes encore capables de choisir des gens qui n'ont pas tenu leur engagement à répétition, qui changent d'avis comme de chemise, qui sont capables d'écrire que l'avortement est un droit fondamental pour dire trois semaines après : " ce n'est pas ce que j'ai voulu écrire ", comme l'a fait François Fillon, votez pour eux, mais ne venez pas vous plaindre après qu'ils vous ont finalement méprisés.

Vous vous êtes converti lorsque vous étiez étudiant. Mais quels sont vos lieux de ressourcement, votre sensibilité spirituelle ? Si vous aviez 48 heures devant vous, où partiriez-vous ?

J'irai sans doute chez les bénédictins de Fontgombault. Je n'y suis pas allé depuis très longtemps. Mes racines spirituelles sont ancrées là-bas. C'est dans cette abbaye que je me suis confessé pour la première fois de ma vie et où j'ai reçu le sacrement de la confirmation. J'ai trouvé chez ces moines cette part de silence qui est si importante - et si absente aussi - dans le monde moderne. Comme dans toute l'Église et les communautés religieuses, ce monastère développe un vrai sens de l'accueil. J'y suis entré tellement avide de vivre de ma foi qu'ils m'ont accueilli comme j'étais. C'est une chose assez rare dans le monde actuel pour être signalée. J'apprécie tout le soin qu'ils portent à la liturgie et au culte divin. Mais aussi le sens du sacré, la symbolique des couleurs, des gestes et l'attention portée aux moindres détails car tous ont leur importance dans la liturgie.

Qu'est-ce qui alimente votre foi au quotidien ? Une figure de saint, une œuvre, une prière ?

Comme beaucoup de catholiques, je n'entretiens sans doute pas assez ma vie spirituelle. Cela étant dit, j'ai des auteurs de prédilection, à la fois des saints ou des livres spirituels mais aussi des grands littérateurs. Je pense évidemment à la vie de saint Thomas More, aux œuvres philosophies et théologiques de saint Thomas d'Aquin - mon maître -, à toutes les encycliques des papes que je lis et relis avec une très grande avidité. Je pense les avoir à peu près toutes dans ma bibliothèque. Qu'elles soient théologales ou sociales et politiques, elles sont une nourriture formidable. Et puis, ce qui nourrit plus particulièrement ma réflexion, ce sont les œuvres de Saint-Exupéry, les méditations d'été de Vaclav Havel - un livre extraordinaire d'expérience politique et de témoignage -, ou encore quelques grandes réflexions de René Girard sur la violence et le monde tel qu'il va. Pour finir, je ne me sépare jamais de mon petit dizainier, accroché à mon poignet et confectionné par les sœurs orthodoxes de Maaloula, en Syrie.

Vous ne remettez pas en cause les 35 heures, ni ne songez à réduire l'influence des syndicats. Jean-Frédéric Poisson est-il le seul candidat social de la primaire ?

Je suis le seul à avoir exercé des responsabilités de chef d'entreprise. Ce qui me donne sur l'économie une vision qui n'est pas théorique, mais que j'ai acquise avec mes mains, ma sueur, et en prenant des coups. Je revendique ma cohérence : je suis chrétien donc je suis social. C'est indissociable. Je ne comprends même pas comment on peut être chrétien et s'afficher libéral comme certains le font. Le monde est dominé par les logiques consuméristes, les politiques monétaires, les traités de commerce internationaux, et on devrait s'en satisfaire ! ? Je comprends bien qu'il y ait des tentatives de contenir ça ou là les excès du libéralisme, mais ce n'est pas suffisant. Ce sont les fondements même de notre économie qu'il faut interroger. C'est pour ça que j'ai posé la question de la durée du temps de travail lors du premier débat. Pourquoi passer de 35 à 39 heures ? Pour réconcilier les Français avec le travail ? Ils travaillent déjà 39 heures dans les faits. Si on veut vraiment les réconcilier avec la valeur travail, ce n'est pas la durée qui est en cause, c'est le management en entreprise, ce sont les conditions de travail qu'on leur offre, c'est le fait qu'ils sont obligés de se saigner aux quatre veines pour dépenser 75 % de leur salaire dans les frais de garde d'enfants, dans les transports, dans les repas qu'ils sont obligés de prendre sur place. Quand vous changerez ces conditions-là – le salaire, les conditions de travail, la culture, l'environnement de travail -, vous commencerez à réconcilier les Français avec leur travail. Et quand ils sont bien dans leur travail, nos compatriotes ne comptent pas leurs heures.

Alors que l'environnement est devenu une problématique majeure de nos sociétés, et un enjeu renouvelé pour les catholiques depuis Laudato si, votre programme aborde très brièvement cette question. Quelles sont vos positions en la matière ?

Sur l'écologie, les conditions législatives me semblent réunies, même si on peut estimer qu'il manque un ou deux compléments. Ce qui m'intéresse, comme le pape François dont le message de l'encyclique est davantage moral qu'écologique, c'est la question de la frugalité, c'est-à-dire notre rapport à la consommation des bien matériels, qu'ils soient naturels ou artificiels. Le problème de l'homme contemporain, c'est le consumérisme ! L'homme n'a plus avec le monde un rapport de service mais un rapport de consommation ! Y compris avec les autres personnes. Nous sommes face à un problème majeur d'attitude intérieure par rapport au monde qu'il s'agit de modifier. Le politique peut bien sûr aider pour opérer ce changement – et même il doit le faire -, mais ce ne sont pas les lois seules qui vont le faire, mais l'éducation, la prise de conscience collective, la culture partagée… C'est cette éducation à la frugalité qu'il nous faut engager pour faire face à la crise écologique.

Le pape François martèle la nécessité d'accueillir les réfugiés, tout en appelant les États à la prudence. Que vous inspire cette position ?

Je suis complètement en phase avec les déclarations du pape François sur la prudence à l'occasion de son récent voyage en Suède. C'est la position du bon sens. Sa première expression était celle d'un chef spirituel ; la seconde plus proche d'un chef d'État. L'appel à la charité, c'est son travail de pape. Il est le premier animateur de la charité. Le pape appelle à ouvrir son cœur, comment le lui reprocher ? En revanche, charge aux laïcs, dans l'esprit de Vatican II, de déterminer comment mettre en œuvre les exhortations de l'Église à la charité dans l'espace public.

Entre l'accueil des migrants et la légitime régulation des flux migratoires par les États, où faut-il fixer la barre ?

Commençons par le début. La condition de la résolution des crises liées aux chocs migratoires, que ce soit celui créé par les conflits au Moyen-Orient ou celui que nous vivons depuis vingt ans, passe obligatoirement par le co-développement. Il n'existe pas de solution en dehors d'une aide objective à la structuration des pays d'origine d'émigration, notamment via l'implantation d'usines de transformation ou de services de transformation et de création de richesses locales. La France a par exemple passé un accord avec le Gabon : désormais le bois est transformé sur place avant de quitter le pays. La seconde condition requiert la paix et la tranquillité dans les pays. Il existe un droit imprescriptible pour les personnes à ne pas émigrer. Personne n'est forcé de quitter son domicile.

Mais que fait-on pour les migrants déjà arrivés en France ?

Je continue de dire qu'il n'y a pas d'avenir durable en France pour les migrants. Notre pays n'est pas en capacité de les accueillir. Pour la simple et bonne raison que nous sommes arrivés aujourd'hui à saturation. Si je peux me référer à la vie des familles, c'est comme le phénomène des " chic'oufs ". À un moment, on aime bien que nos invités partent. Ça ne veut pas dire qu'on ne les aime pas, qu'on ne les a pas bien accueillis, que l'on ne les respecte pas, qu'on ne sera pas content de les revoir, mais pour le moment c'est trop. Cette réaction est humaine. Cette saturation des Français, à qui on a déjà beaucoup demandé, doit être prise en compte. Les flux migratoires, qu'ils soient liés à la guerre ou à d'autres choses, doivent cesser. Pour ceux qui sont déjà présents sur le territoire français, nous n'avons pas d'autre choix que de les traiter humainement. Il en va de notre responsabilité d'hommes et de chrétiens. Ce n'est même pas la peine de parler d'une option préférentielle pour les pauvres, nous avons une attention particulière à porter aux pauvres. Ce n'est pas une option : les Français doivent s'occuper de ceux qui sont dans le besoin et ils doivent le faire dignement.

Mais peut-on refuser qu'un centre d'accueil pour réfugiés s'ouvre à côté de chez soi, comme à Louveciennes, dans votre département…

Est-ce que l'on peut refuser qu'un de nos parents atteint de la maladie d'Alzheimer soit domicilié chez nous ? Non, on ne devrait pas pouvoir, mais parfois il le faut, car la solidité de la famille en dépend. C'est pareil pour les maires. La responsabilité d'un maire est d'estimer si, oui ou non, sa commune est en capacité d'accueillir ou de ne pas accueillir des réfugiés. Et je comprends les deux attitudes. Dans ma circonscription, j'ai des communes qui disent : " je ne sais pas faire, je n'ai pas les locaux adaptés, les structures adéquates… ". Et il y a des communes où les choses se sont faites, les élus étaient motivés, les habitants aussi. Vous ne pouvez pas contraindre la générosité ou la charité. Celui qui n'exerce pas la charité rendra des comptes. On ne peut pas déverser des quotas de migrants sur des communes sans concertation. L'État ne peut pas leur dire : " débrouillez-vous ! " Cette question demande du dialogue et des convictions. Si ces deux conditions sont réunies, des solutions pour les réfugiés pourront être trouvées. Mais elles ne le seront pas si l'État continue de matraquer les communes. Faisons confiance à la générosité des Français, car ils sont généreux.

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Antoine-Marie Izoard, Antoine Pasquier et Samuel Pruvot