Dans un monde qui change retrouver le sens du politique

Nous avons déjà publié différentes réactions - voir ici, et aussi ici - commentaires et analyses du texte du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France. Nous ajoutons au dossier cet article paru dans le n°144 de "Renaissance Catholique".

Dans un monde qui change retrouver le sens du politique (1)

20161015CEFPolitiquecouverture.jpg"Renaissance catholique" - n°144

Il me faut bien avouer que la perspective de devoir lire cette dernière production du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France (C.E.F.), composé de dix évêques – sur la petite centaine que compte la France –, ne m’enchantait guère : manquant de temps pour lire, j’eusse préféré sélectionner quelque chose de roboratif, plutôt qu’une œuvre qui risquait fort de n’être qu’un énième discours creux, sirupeux, empli de « bons » sentiments et de « prêchi-prêcha » dignes des années 70, le langage lui-même n’ayant pas varié (2), bien éloigné de la syntaxe, de la concision et de la beauté native de notre langue. Je m’y suis néanmoins mis…

Pour quelle raison ce texte fut-il écrit ?

Sans doute venait-il en compléter un autre, publié par le même Conseil permanent de la Conférence des évêques de France en juin 2016 et intitulé 2017, année électorale : quelques éléments de réflexion, dont la conclusion vaut la peine d’être citée : « Pour celles et ceux qui ont foi en Dieu et qui vivent dans la communion au Christ, les difficultés que nous rencontrons ne sont pas un appel au renoncement. Au contraire, elles nous acculent à investir toutes nos capacités pour construire une société plus juste et plus respectueuse de chacun. Cela s’appelle l’espérance. »
Belle conclusion s’il en est. Quoique sur l’Espérance, mes maîtres en avaient donné une autre définition (3) : « L’Espérance est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit. » Ainsi, l’Espérance nous fait désirer le Royaume de Dieu et la Vie éternelle, à cause des mérites et promesses de Jésus-Christ.
Deux aspects sont donc particulièrement à retenir : l’Espérance est le désir du Ciel, dans lequel gît notre bonheur, désir s’appuyant sur Jésus-Christ et ses mérites, qui, vrai homme et vrai Dieu, ne peut ni se tromper, ni nous tromper. Ne pas renoncer face aux difficultés et « investir toutes nos capacités pour construire une société plus juste et plus respectueuse de chacun », quand bien même cet appel ne s’adresserait qu’à ceux qui n’ont pas la foi, ne me semble pas correspondre exactement à la définition de la vertu surnaturelle d’Espérance. Il est vrai que cette vertu présuppose la Foi. C’est peut-être ici que le bât blesse régulièrement : d’un évêque, on attend principalement qu’il enseigne la Foi, puis la morale qui en découle naturellement. C’est un euphémisme de dire que depuis plusieurs décennies, la Foi n’est plus guère enseignée par les évêques, et si leurs interventions dans les medias sont toujours plus nombreuses, on a le sentiment diffus que c’est toujours « à la remorque » de quelqu’un d’autre, d’un événement, etc., comme si, avant tout, ils n’avaient rien à dire, rien à enseigner, rien à corriger.
Que penser de cette citation (p. 33) ? : « La grande injustice – qui devrait être davantage la priorité absolue de notre vie en société – est le chômage. » Il ne viendrait à personne l’idée de penser que le chômage est un bien… Mais n’eût-on pas pu citer d’autres maux. Que sais-je ? L’avortement ? La perte de la foi ? La justice et la charité dans les relations de travail et de commerce ? Non ! Pour les auteurs, c’est le chômage. Dommage, parce qu’en ce domaine, ils n’apportent rien : tout le monde sait que le chômage est un mal… En revanche, les mêmes auraient pu expliquer les causes qui l’ont engendré – le mépris de la doctrine sociale de l’Église, par exemple…mais c’est une simple suggestion –, rappeler la doctrine de Jésus-Christ et de Son Église sur le respect de la vie, de la famille, etc. De fait, ce sont des domaines qui sont moins familiers à nos contemporains et où ces maîtres de doctrine que sont les évêques avaient leur mot à dire !
Dans ce texte d’octobre, on ne peut nier que certains des constats qui sont faits de l’état général de la société française ne soient conformes à la réalité : défiance à l’égard du personnel politique, sentiment que rien ne peut changer, que l’on est prisonnier de cet état de fait, que l’influence des médias est grandissante (4), etc., mais des successeurs des Apôtres, on était en droit d’attendre autre chose que la répétition habituelle de ces poncifs. Ce qui me réveilla de la torpeur dans laquelle ce texte commençait à me plonger en répétant médiocrement ce que Le Figaro ou Le Monde exposent régulièrement, c’est la conclusion du chapitre intitulé Ambivalence et paradoxes : « Le contrat social, le contrat républicain permettant de vivre ensemble sur le sol du territoire national ne semble donc plus aller de soi. Pourquoi ? Parce que les promesses du contrat ne sont plus tenues. Il a besoin d’être renoué, retissé, réaffirmé. Il a besoin d’être redéfini. » Deux réflexions jaillirent de mon esprit : de quoi se mêlent-ils ? Et qu’est ce contrat social dont ils parlent ?

De quoi se mêlent-ils ?

On a bien là une expression du cléricalisme exacerbé dont le peuple chrétien est victime depuis soixante ans ans ! L’évêque doit avoir soin du bien commun de son troupeau, chrétien ou pas d’ailleurs : il est l’évêque de ceux qui ont la Foi, et de ceux qui ne l’ont pas encore. Pour cela, il doit veiller à ce que tous puissent jouir des secours surnaturels dont le peuple a besoin pour parvenir à sa félicité éternelle, et, par conséquent, doit se préoccuper du bien commun temporel, de telle sorte que l’État, par ses lois, par son action en faveur du bien commun temporel, facilite ou, au pire, ne mette pas d’obstacle, à l’action de l’Église.
Or lorsque les évêques se mêlent directement de la manière dont l’État organise son action, ils sont hors de leurs compétences (5) : « L’Église ne prétend aucunement se substituer aux puissances de la terre, qu’elle-même regarde comme ordonnées à Dieu et nécessaires au monde (...) Elle ne s’ingère pas à la légère à tout propos dans l’examen des questions intérieures du gouvernement public. »
Ce qu’ils affirment, dans ce texte invraisemblable, c’est que la démocratie est l’Alpha et l’Oméga de l’organisation politique des États, et pire encore, que la base de cette démocratie se situe dans le contrat social cher à Rousseau.
Il n’est pas possible ici de dire à quel point ce texte s’éloigne de la Doctrine sociale de l’Église, en particulier en prétendant que la société humaine n’existe pas en raison de la nature humaine telle que Dieu l’a voulue, mais comme conséquence d’un « contrat » entre les composants de cette société. « Les promesses du contrat ne sont pas tenues. » Quelles promesses ? La félicité temporelle ? Quelle surprise ! Comme si un système d’organisation politique, quel qu’il soit, était en mesure de la procurer infailliblement. Et quelle est donc la solution suggérée par le Conseil permanent ? (6) Un contrat social à repenser…Tiens donc !
« Les conditions de vie en société ne correspondent plus à ce que les individus espéraient. Dans une société où l’individu et non le collectif est devenu la référence, il y a un sentiment de déception vis-à-vis de l’État-providence qui n’arrive pas à satisfaire les attentes. »
Mais qu’espéraient ces individus ? Pour un chrétien, et a fortiori un évêque, on sait que l’objet de l’espérance, c’est le Ciel ! Et le chrétien sait aussi que son livre de chevet, c’est la Croix. Et on sait aussi que l’État, même s’il est appelé « État-providence » ne peut procurer un tel bien, tout au plus contribuer à l’obtenir. Léon XIII demanda le ralliement à la république… mais l’Église était encore l’Église, l’État, l’État, et chacun savait quelle était la place de l’autre, même s’il arrivait d’empiéter occasionnellement dans le domaine voisin.
Avec ce texte, une étape est franchie : la C.E.F. semble bien devenir un think-tank, comme on dit en mauvais français, un réservoir d’idées destinées à ceux auxquels il appartient de gouverner, indépendamment de toute poursuite du bien commun (7) surnaturel.
Mais il faut bien constater, à la lecture des productions des autres « réservoirs à idées » qui gravitent autour de la chose politique, que ces réflexions épiscopales sont très indigentes, et c’est un euphémisme et il est à craindre qu’elles n’aient aucun retentissement, ni chez les chrétiens, ni chez les autres ! Et je me prends à penser que c’est une bonne chose.
Plusieurs points sont remarquables dans ce texte, qu’il faudrait presque analyser ligne à ligne.
Le premier c’est la ligne naturaliste tenue de bout en bout : on a la sensation très nette qu’il y a une césure entre le domaine temporel et le domaine spirituel, ce dernier n’étant là que de manière accessoire, comme une partie du premier, pour faire, ici et là, quelques pieuses suggestions. Comme le disait, fort justement, un commentateur, avec ce texte (8), on est passé du ralliement à la soumission : « C’est une reddition sans condition. »
Le deuxième point, c’est l’économie de la Royauté sociale du Christ, qui aboutit nécessairement à cette insondable vacuité du discours épiscopal : l’Église n’a pas vocation à régir les États, pas plus qu’elle n’a vocation à être un corps social comme un autre au milieu des États : elle a les paroles de la vie éternelle, elle est maîtresse de doctrine et de Vérité.
Elle sait ce qu’il faut faire et éviter pour parvenir au Ciel, et les hommes de tous les temps, même inconsciemment, attendent d’elle qu’elle enseigne. Le troisième point, c’est l’indigence : ce texte reste à la surface des choses, l’analyse est erratique, les réponses naturalistes, creuses constituent un bla-bla sociologique privé de toute considération surnaturelle.

De qui a-t-on peur ?

En clair, les rédacteurs ont-ils encore la Foi, ou sont-ils si pusillanimes qu’ils passent leur temps à rougir, pour ne pas fâcher le Pouvoir, fondé sur les principes de la révolution française, les fameux « droits de l’homme sans Dieu » de Madiran ? Mais enfin, disons les choses ! Les chrétiens n’attendent que cela : Jésus-Christ est Dieu, il est le seul salut pour tous les hommes de tous les temps et, ici-bas, seules les lois et les organisations sociales inspirées par Lui apporteront la félicité et le bonheur, en ce monde et en l’autre.
Qu’attend-on pour le dire, le redire, à temps et contretemps ! Parlons du Bon Dieu, en arrêtant de penser que c’est ringard et que personne n’écoute ! C’est là que gît le drame : certains écoutent encore, mais à force d’entendre le discours lénifiant et pour tout dire niais, même ceux-là n’entendront plus.
N’est-ce pas l’esprit des Béatitudes (9) : « Heureux serez-vous, lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux ; car c’est ainsi qu’ils ont persécuté les prophètes qui ont été avant vous. Vous êtes le sel de la terre ; mais si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors pour être foulé aux pieds par les hommes. » Il est toujours là le temps des martyrs : le père Hamel l’a montré, et les chrétiens d’Orient avec lui, depuis des siècles.
Et il me revient en mémoire ce dialogue entre saint Basile de Césarée et le préfet du prétoire, un arien du nom de Domitius Modestus, qui menaçait des pires supplices l’évêque orthodoxe :
« Quoi ? s’écria-t-il, tu ne crains pas mon pouvoir ?
« — Pourquoi craindrais-je ? Que peut-il m’arriver ? Que puis-je avoir à souffrir ?
« — Ce que tu souffriras ? Quelqu’un des châtiments que j’ai le pouvoir d’infliger.
« — Lequel ? Fais-toi comprendre.
« — La confiscation, l’exil, la torture, la mort.
« — Fais-moi d’autres menaces. Aucune de celles-ci ne me touche.
« — Comment ?
« — Parce que la confiscation ne peut atteindre celui qui n’a rien, à moins que tu n’aies envie de ces vêtements usés et de quelques livres, qui font toute ma richesse. L’exil ne m’effraie pas davantage : je n’appartiens à aucun lieu : cette terre où je suis n’est pas mienne; en quelque pays que je sois mené, j’y serai chez moi. Pour mieux dire, je sais que toute la terre est à Dieu, et je me considère partout comme un étranger et un pèlerin. Quant aux tourments, ils ne m’importent guère : mon corps est si frêle, que le premier coup l’abattra. La mort me sera un bienfait : elle m’enverra plus vite à Dieu, pour qui je vis, que je sers, pour qui je suis déjà à demi-mort, et vers qui j’ai hâte d’aller.
« — Personne jusqu’à ce jour, dit le magistrat stupéfait, ne m’a parlé avec une telle liberté.
« — C’est que peut-être, répondit Basile, n’as-tu jamais rencontré un évêque. Tout autre t’eût parlé et résisté comme moi. »

Qu’attend-on, aujourd’hui comme hier, d’un évêque ?

Écoutons encore l’apôtre du règne social du Christ (10) : « Episcopus ego sum : JE SUIS EVEQUE. A ce titre, je suis parmi vous le consul de la majesté divine, l’ambassadeur et le chargé d’affaires de Dieu. Si le nom du Roi mon Maître est outragé, si le drapeau de Son Fils Jésus n’est pas respecté, si les droits de Son Église et de Son sacerdoce sont méconnus, si l’intégrité de Sa doctrine est menacée : JE SUIS EVEQUE, donc je parlerai, j’élèverai la voix, je tiendrai haut et ferme l’étendard de la vérité, l’étendard de la vraie liberté, qui n’est autre que l’étendard de la foi, l’étendard de mon Dieu. Les pusillanimes pourront s’en étonner, les esprits d’une certaine trempe pourront même s’en scandaliser. »
C’est cela la vraie Charité politique, la vraie recherche du bien commun, qui chez nous porte un nom : Jésus-Christ. Constat bien sévère direz-vous ? Mais c’est précisément la Charité qui nous presse, pour les évêques qui doivent être soutenus de nos prières, et auprès desquels, sans aucun doute, nous pouvons manifester nos attentes, afin que, lors de leur prochaine publication, on puisse lire un nouveau titre : « Dans un monde qui change, retrouver le sens de Dieu »

Notes
(1) Bayard, Mame, Cerf, 96 p., 4 €
(2) p. 42 : « (…) prendre la mesure de la richesse que des identités plurielles peuvent lui apporter en faisant émerger les liens d’unité au cœur même de cette diversité. » ou p. 49 : « Comment faire émerger un «nous» qui n’élimine pas le «je» mais lui donne toute sa place. » Si un lecteur comprend, prière de donner l’explication à Renaissance Catholique qui transmettra…
(3) Catéchisme de l’Église catholique, n. 1817… ou encore plus clairement, avec le catéchisme de saint Pie X : « L’Espérance est une vertu surnaturelle, infuse par Dieu dans notre âme, par laquelle nous désirons et nous attendons la vie éternelle que Dieu a promise à ses serviteurs, et les secours nécessaires pour l’obtenir. »
(4) § 2- « une société en tension »
(5) Cardinal Pie, Lettre à M. le ministre de l’instruction publique et des cultes.
(6) Je veux croire que le texte n’émane que de ces dix évêques, et pas de l’ensemble de la hiérarchie épiscopale
(7) Lequel n’est d’ailleurs pas une seule fois défini dans ce texte.
(8) Joël Hautebert dans L’Homme Nouveau, 31 octobre 2016 dont je partage en tous points l’analyse.
(9) Mat. V, 11-13
(10) Cardinal Pie, Discours à l’occasion de l’intronisation solennelle en la cathédrale de Poitiers, 8 décembre 1849.