Eloge de l'amitié

Aujourd’hui on parle de bien nombreux types d’amitié, des amitiés à géométrie variable : comment essayer de régler notre propre amitié ?

L’Ecriture Sainte sait faire l’éloge de l’amitié : « il est trois choses que mon âme désire qui sont agréables à Dieu et aux hommes, l’accord entre frères, l’amitié entre voisins et un mari et une femme qui s’entendent bien ». Saint Basile  écrit d’ailleurs dans ses Grandes Règles : « qui ne se rend compte que l’homme, être social et doux, n’est pas fait pour la vie solitaire et sauvage ?  Rien n’est plus conforme à notre nature que de nous fréquenter mutuellement, de nous rechercher les uns les autres, et d’aimer notre semblable ».

Le Père Jean-Philippe Lemaire, moine de Solesmes précise : « l’amitié est une fleur délicate ; elle ne fleurit pas, au moins d’ordinaire sur les monts sauvages, mais plutôt en terres cultivées. L’amitié est fruit de la culture ».

Dans l’antiquité, les physiciens grecs ((Empedocle, Héraclite), pour expliquer les phénomènes cosmiques, appelaient « amitié », le principe d’attraction et de répulsion des corps qui président à leur combinaison et à leur désagrégation. A 3 ans, Mozart disait « je cherche des notes qui s’aiment ». Socrate restreint l’amitié à l’être humain, Aristote la présente  comme le sommet des rapports humains.

Au-delà des amitiés fondées sur l’utilité ou l’agrément, l’amitié noble ou philia, fait aimer l’ami pour lui-même, c’est une bienveillance unie à une complaisance qui est aussi réciproque.

Cette amitié demande du temps, s’entretient et requiert une certaine communauté de vie et une certaine égalité. Si l’un des amis est trop éloigné de l’autre (comme par exemple Dieu), il n’y a plus d’amitié possible.

Le Christianisme n’ignore pas la grandeur de l’amitié : la veille de Pâques, le Christ livre son cœur à ses apôtres « je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis ». A travers l’Incarnation une amitié est désormais possible avec Dieu parce que Dieu l’a voulu et s’est fait proche des hommes.

Tanquerey dans son traité de morale décrit les qualités de cette amitié : « Cette amitié, au lieu d'être passionnée, absorbante et exclusive… se caractérise par le calme, la retenue, la confiance mutuelle... C'est... une affection constante, qui va en croissant, au rebours de l'amour passionné qui tend à s'affaiblir. Elle est pleine de respect et réserve, parce qu'elle ne désire que des communications spirituelles. On se communique donc ses pensées, ses desseins, ses désirs de perfection. Et parce qu'on veut se perfectionner mutuellement, on ne craint pas de s'avertir de ses défauts et de s'entraider à les réformer. La confiance mutuelle qui règne entre deux amis empêche l'amitié d'être inquiète, absorbante et exclusive ; on ne trouve pas mauvais que notre ami ait d'autres amis ; on s'en réjouit même pour son bien et celui du prochain.

 L’ami est une sauvegarde au point de vue de la vertu. Nous avons besoin d'un égal, avec lequel nous puissions causer en toute liberté. Si nous ne le trouvons pas, nous serons exposés à faire des confidences regrettables à des personnes qui ne méritent pas notre confiance, et ces confidences ne seront pas toujours sans danger pour nous et pour elles.

C'est aussi un conseiller intime, à qui nous soumettons volontiers nos doutes et nos difficultés et qui nous aide à les résoudre ; un moniteur sage et affectueux qui, nous voyant agir et sachant ce qu'on dit de nous, nous dira la vérité et nous empêchera parfois de commettre bien des imprudences.

C'est enfin un consolateur, qui écoutera avec sympathie le récit de nos peines, et trouvera dans son cœur les paroles nécessaires pour les adoucir et nous réconforter. »

L’amitié est bonne en elle-même en tant que naturelle à l’homme. Elle réconforte dans les peines et engendre la joie. L’austère Curé d’Ars constatait : « Un peu d’amitié, c’est tout ce qu’il me faut. »

La chrétienté est une gigantesque amitié et Notre Dame de Chrétienté signifie que Marie a un regard sur cette amitié. Marie nous conduit sur cette route de la chrétienté. Comme dit St Louis Marie Grignon de Montfort, quand on dit Marie, on dit Jésus, donc le Seigneur nous conduit également sur cette route.

A l’opposé de cela il y a les amitiés particulières, basées sur un choix qui n’est pas très louable, fondé sur les qualités sensibles ou frivoles en vue de jouir de la présence et des agréments de la personne aimée. C’est une sorte d’égoïsme déguisé : on aime quelqu’un à cause du plaisir que l’on trouve en sa compagnie. En touchant la complaisance, on perd la bienveillance. Dans un traité de morale, Tanquerey écrivait « au point de vue de leur origine, elles commencent soudainement et fortement parce qu’elles résultant d’une sympathie naturelle et instinctive, elles sont basées sur des qualités extérieures et brillantes ou du moins qui paraissent telles, elles sont accompagnées d’émotions vives, parfois passionnées. Dans leur développement elles s’alimentent par des conversations parfois insignifiantes mais affectueuses, parfois trop intimes et dangereuses, par des regards fréquents qui dans certaines communautés suppléent aux conversations particulières, par des caresses, des serrements de mains expressifs…quant à leurs effets, elles sont empressées, absorbantes et exclusives. On s’imagine qu’elles seront éternelles mais une séparation suivie d’autres attachements y met souvent une fin brusque ».

Dieu ne veut pas d’un cœur partagé où l’âme perd le recueillement intérieur, la paix, le goût des exercices spirituels, du travail, les pertes de temps où la pensée se porte trop souvent vers l’ami absent, du dégoût, du découragement. La sensibilité arrive à prendre le dessus sur la volonté et tous les excès sont possibles parce que cette relation était fondée sur du vide. Elle n’avait d’autre fondement que le propre plaisir. Dans l’autre, c’était moi qui comptais.

Le seul remède sera le retour a la fidélité : éviter non seulement de rechercher celui qu'on aime de la sorte, mais éviter même de penser volontairement à lui ; et si on ne peut éviter d'être quelquefois avec lui, qu'on le traite avec politesse et charité, mais sans jamais lui faire de confidences ou lui donner des marques spéciales d'affection. Positivement, on s'absorbe aussi activement que possible dans la pratique de ses devoirs d'Etat ; et quand, malgré tout, se présente a l'esprit la pensée de celui qu'on aime, on en profite pour faire un acte d'amour envers Notre Seigneur. Par la on profite de la tentation elle-même pour aimer davantage Celui qui seul mérite de fixer notre cœur.

Extraits d'une conférence de Dom Pateau, Abbé de Notre Dame de Fontgombault, sur l'Amitié