Appel de Chartres n°237: Irons nous tous au Paradis ?

Est-il aspiration plus communément partagée que celle d’aller au Paradis ? D’enfin trouver le repos après un séjour, plus ou moins agréable, mais toujours bref au regard de l’éternité, dans cette « vallée de larmes », selon l’expression imagée du Salve Regina.

Une nouvelle conception du Salut
Il est de bon ton aujourd’hui d’affirmer que tout le monde sera sauvé puisque l’important serait d’aimer et que chacun, d’une manière ou d’une autre, aime. On pense à ce dessin de Faizant représentant un bourgeois satisfait de lui-même faisant la leçon à un jeune chevelu que l’on imagine être son fils et pontifiant : « L’important dans la vie c’est d’aimer. Ainsi, moi, j’aime la blanquette de veau. » En arrière-plan, madame fait la vaisselle…Certains auteurs en viennent à affirmer tel le père Zanotti-Sorkine dans son ouvrage : D’un amour brûlant : « Je le dis sans détour, il est très difficile de se damner. »
Tout cela est assez conforme à l’air du temps, Michel Polnareff chantant : On ira tous au Paradis. Les messes d’enterrement sont devenues un concert de louanges du défunt et d’exaltation de ses mérites supposés sur fond de confiance absolue en la miséricorde de Dieu.
Que penser de tout cela à la lumière de la parole de Dieu et de l’enseignement de l’Eglise ?

Le témoignage de l’Ecriture et de la liturgie
Le Christ est venu sauver tous les hommes. Cependant cette prédestination universelle au Salut n’est pas sans conditions : « Dieu veut le Salut de tous les hommes et qu’ils parviennent à la connaissance de la vérité » écrit saint Paul (I, Tim II, 4) et saint Pierre quant à lui affirme : « Dieu ne veut la mort de personne mais que tous se convertissent. » (II, Petr III, 9). Il ne suffit pas d’être gentil ! Il faut se convertir ! Là contre, la conviction du Salut universel de tous est souvent justifiée par un argument, peu ou prou, emprunté à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus :
« Moi, si j'avais commis, tous les crimes possibles,
Je garderai toujours, la même confiance,
Car je sais bien que cette multitude d'offenses
N'est qu'une goutte d'eau, dans un brasier ardent.
»
Certes. Cependant la confiance de Thérèse repose sur son abandon total à la volonté de Dieu et à son Amour : « Afin de vivre dans un acte de parfait Amour, je m’offre comme victime d’holocauste à votre Amour miséricordieux, vous suppliant de me consumer sans cesse. »
L’Ecriture sainte rappelle à de nombreuses reprises que le Salut est exigeant et que tous ne se sauvent pas : « Si le juste se sauve à peine que vont devenir l’impie et le pécheur ? » (I, Petr IV, 18). « Elle est large et spacieuse la voie qui mène à la perdition et nombreux sont ceux qui s’y engagent. Elle est étroite, la porte, et resserrée la voie qui mène à la vie, et petit est le nombre de ceux qui la trouvent » (Matt VII, 13). « Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu. On récolte ce que l’on a semé » (Gal, VI, 7). Etc.
On peut, également s’interroger sur la raison pour laquelle pendant des siècles, dans la séquence Dies Iræ de l’office des défunts l’Eglise a qualifié le jour du jugement de jour de colère, évoquant la terreur, la stupeur, les larmes, les cendres, implorant le pardon de Dieu, etc. Si tout est pardonné par avance pourquoi de tels émois ? Quel peut d’ailleurs être, alors, l’intérêt de faire célébrer des messes pour le repos de l’âme du défunt ? Quels sens ont le rite de l’extrême-onction, la bénédiction in Articulo mortis ou les prières traditionnelles pour les agonisants ? Quelle serait en effet leur raison d’être si nous allons tous au Paradis ?

Un changement de paradigme
Le sociologue Guillaume Cuchet dans son livre : Comment notre monde a cessé d’être chrétien observe : « Tout se passe comme si, (…) des pans entiers de l’ancienne doctrine considérés jusque-là comme essentiels tels le jugement, l’enfer, le purgatoire, le démon étaient devenus incroyables pour les fidèles et impensables pour les théologiens. » La raison majeure de ce changement est, pour lui, un accès de rousseauisme collectif faisant de la damnation une « possibilité infiniment improbable » (Hans Urs Von Baltasar), négatrice du péché originel mais aussi du péché actuel. L’appartenance à l’Eglise et le respect de son enseignement théologique et moral apparaissaient comme l’arche en dehors de laquelle le Salut était, sinon exclu, du moins rendu plus incertain et problématique. S’adressant à ceux qui n’appartiennent pas à l’Eglise visible Pie XII dans Mystici corporis (29 juin 1943) les invitait à : « S’efforcer de sortir d’un état où nul ne peut être sûr de son Salut éternel ; car même si par un certain désir et souhait inconscient ils se trouvent ordonnés au Corps mystique du Rédempteur, ils sont privés de tant et de si grands secours et faveurs célestes dont on ne peut jouir que dans l’Eglise catholique. »

Conséquences théologiques et pastorales
A quoi servent les prêtres s’il suffit d’aimer ? Pourquoi user des sacrements s’ils ne sont pas le moyen voulu par Dieu pour fortifier la volonté afin que chacun fasse le bien et évite le mal. Pendant deux mille ans, l’Eglise a suscité des apôtres animés par la certitude que si chacun a les grâces suffisantes pour se sauver, l’évangélisation était nécessaire dans la mesure où, en raison de la blessure du péché originel il est très difficile de se sauver en dehors de l’appartenance à l’Eglise et sans l’aide des sacrements.
La doctrine moderne du Salut universel est, aussi, la négation du libre arbitre et de la responsabilité de l’être humain. C’est ce que rappelle le CEC § 1861 : « Si le péché mortel n’est pas racheté par le repentir et le pardon de Dieu, il cause l’exclusion du Royaume du Christ et la mort éternelle de l’enfer, notre liberté ayant le pouvoir de faire des choix pour toujours, sans retour. »
C’est aussi une fausse conception de la liberté et de l’amour qui est en cause. Il ne suffit pas d’aimer. Encore faut-il aimer en vérité. « La vérité vous libérera » (Jn VIII, 31). Il s’agit de savoir si notre cœur appartient au créateur ou à une créature.
Enfin cette nouvelle conception du Salut est la remise en cause de tout effort de conversion personnelle, d’ascétisme, voire de pénitence à l’encontre du commandement du Christ : « Si vous ne faites pénitence vous périrez tous » (Luc XIII, 5). Sous des dehors attrayants ce n’est rien de moins que la disparition pure et simple de l’Église que risquent d’opérer ceux qui soutiennent ainsi une fausse et spécieuse conception du Salut universel.

Jean-Pierre Maugendre