Les anniversaires de 2014

Un article de Jacques Trémolet de Villers dans le numéro de "Présent" du 1er janvier

Les anniversaires de 2014

Jacques Trémolet de Villers


C’est l’an nouveau. Vous allez me dire que ce n’est qu’une année civile, l’année liturgique ayant commencé, elle, avec le premier dimanche de l’Avent. C’est vrai, mais l’année civile, pour des civils, j’entends des laïcs, au sens que ce mot a dans l’Église et en bon français, c’est tout de même important. D’un coup, tout est nouveau. 2013 est parti, définitivement révolu.

Voici 2014.

2014.01.05_Bouvines.jpgBeau chiffre, en vérité, qui sonne comme une victoire, celle de Bouvines, il y a huit cents ans. C’était en juillet. Il faisait très chaud et la bataille dura toute la journée. Le roi, très chrétien mais pas trop dévot, s’était recueilli dans la chapelle, au petit matin, avec une prière toute simple et toute belle : « Seigneur, je ne suis qu’un homme, mais je suis le roi de France. Soutenez-moi et vous ne perdrez rien. » C’est le même esprit, la même fierté que celle de Clovis, à la bataille de Tolbiac. Nos meilleures prières, les plus pures, les plus droites, en même temps que les plus brèves, « Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire, je me ferai baptiser… » sont des prières de batailles, noblement intéressées mais dont les paroles ont été tenues. Nos rois ne faisaient pas des promesses électorales à leurs peuples… Si tu votes pour moi, je te donnerai de l’argent, des places ou la réforme que tu demandes. Ça c’est la prière moderne, de l’élu envers l’électeur, avec, à la clé, un énorme mensonge sur la promesse non tenue. Non, ils priaient vers le Ciel, pour la terre, en promettant et globalement ils tenaient leurs promesses. Comme priait Malherbe pour le roi partant pour le Limousin : « Où Tu le fais régner, il te fera servir »

Très peu à la mode cet échange entre le pouvoir temporel – le roi, le prince, l’Etat – et Dieu lui-même… mais mode ou pas, c’est notre rythme à nous, les Français. Nous sommes nés ainsi et on ne change pas son ADN. Tous les rapports de tous les énarques de la terre, tous les projets de tous les Peillon du monde n’y changeront rien. Ils auront beau « mêler les peuples, écraser les frontières », la nature et l’histoire seront plus fortes qu’eux. Que pèse le quinquennat, déjà bien entamé, du dérisoire François Hollande sur huit cents ans d’histoire ? Il suffit que nous nous souvenions, que nous revivions la conscience de notre identité, de qui nous sommes, de notre héritage, et ces nains s’évanouiront dans le néant d’où ils n’auraient jamais dû sortir.
Le même Philippe-Auguste avait aussi, s’adressant aux gens des communes venus rejoindre les nobles dans la guerre pour le royaume, ces mots qui disaient tout l’esprit de notre royaume « Je porte la couronne mais je suis un homme comme vous » et encore « Tous vous devez être des rois et vous l’êtes, par le fait, car sans vous je ne puis gouverner. » Le royaume en France, ce n’est pas une oligarchie et une masse d’électeurs manipulés, c’est « tous rois », avec, juste, un, « qui est un peu plus roi que les autres »… mais pas beaucoup, le strict minimum nécessaire au gouvernement.
Il y a une semaine, chantant Noël, nous avons déposé dans les bras de l’Enfant Dieu le royaume de France qui vit toujours, mais qui est en si grande souffrance. Nous avons effectué cette remise en commande, ainsi qu’on disait dans les temps féodaux, avec toute confiance, sans esprit de retour, le cœur nettoyé de toute poussière de scepticisme ou de doute, avec des yeux, des mains et une âme d’enfant. Nous sommes certains qu’il est bien gardé.

Aujourd’hui, quand sonne l’année civile, sûrs de son amour et forts de notre foi, nous repartons au combat. Au combat ? mais quel combat ?

2014.01.05_Jean_Ousset.jpgJ’ai dans les mains un vieux numéro de Verbe, avant Permanences, au temps de la Cité Catholique, bien avant Ictus, à l’adresse du 3 rue Copernic. C’était en 1956, à Orléans, moi j’arrivais à Paris, j’avais onze ans. Jean Ousset écrivait :

« Il faut faire la guerre.
« Or la guerre est une longue patience, “une longue persévérance”, nous a dit Son Excellence Monseigneur Rupp.
« Elle est plus que jamais une mobilisation de toutes les énergies et de tous les instants. Œuvre d’organisation et de prudence et de préparation minutieuse – non l’exaspération claironnante d’une heure d’héroïsme. Non la crispation belliqueuse d’un moment de loisir. Elle exige des sacrifices. Elle peut exiger le bouleversement de tous nos projets, le déchirement de mille liens affectifs.
« Guynemer disait :“A la guerre on n’a rien donné tant qu’on n’a pas tout donné.”
Que sainte Jeanne d’Arc nous apprenne la générosité, la froide raison et l’irréductible patience impliquée par cette maxime. Qu’elle nous apprenne à “tenir”, à serrer les dents, sans nous énerver comme sans fléchir. »

2014.01.05_Peguy.png2014, c’est l’année où Jean Ousset aura cent ans. Comme la guerre qui éclata le jour de sa naissance. « Un malheur ne vient jamais seul » disaient ses compagnons. On en aura dit, écrit, et nous n’avons pas fini d’en entendre et d’en lire sur cette « Première Guerre mondiale », « suicide de l’Europe », « véritable fin de l’ancien régime »… 2014, c’est aussi l’année du centenaire de Charles Péguy, tué le 5 septembre à Villeroy. La fleur de la jeunesse française, ce qu’il y avait vraiment de meilleur, partit, sans esprit de retour « mourir pour la patrie ». Politiquement ce fut un désastre. Socialement, une catastrophe. Victoire gâchée par la désastreuse incompétence de nos politiques, villages et campagnes privés de jeunes hommes, devenus des maisons de vieux et de veuves, de fiancées abandonnées et d’orphelins au berceau. Mystiquement, nous vivons encore de ces sacrifiés. « Rien ne se perd » disait Charette. Il sera bon, juste, équitable et salutaire d’aller pèleriner sur la tombe de Charles Péguy. Il sera sain aussi de remettre nos pas dans les siens, vers « l’axe et la ligne et la géante fleur », et de laisser rouler en nous, comme les vagues de notre âme française qui remontent et affluent et débordent en grand ruissellement, ces lourds alexandrins qui rythment notre marche de fantassins quand vers Chartres « la route nationale est notre porte étroite ».

2014.01.05_Saint_Louis.jpgAvec Péguy c’est Jeanne bien sûr, encore et toujours, et c’est aussi saint Louis, le roi chrétien, le roi croisé, le roi saint, né l’année de Bouvines et qui aura huit cents ans, pendant tout l’an qui vient.

Décidément, nous ne manquons de rien. De Domrémy à Orléans, de Bouvines à Chartres, de Poissy à Jérusalem, nous pouvons chanter, avec le géant de notre poésie contemporaine, Frédéric Mistral, dont le rappel à Dieu aura, lui aussi, cent ans dans cette année, le 25 mars, jour de l’Annonciation,

En levant la Coupo Santo,
Vuejo-nous lis esperanço
E li raive dou jouvènt
Dou passat la remembranço
Et la fe dins l’an que vèn

2014.01.05_Mistral.jpg« Verse-nous les espérances
« Et les rêves de la jeunesse
« Du passé la souvenance
« Et la foi dans l’an qui vient. »

Bonne année.

JACQUES TREMOLET DE VILLERS

Article extrait de "Présent", n° 8012 du mercredi 1er janvier 2014