Face au mondialisme, cultivons notre sens de la patrie

Notre patrie, fondement de nos racines

Si le mondialisme a besoin de déraciner, la patrie regroupe au contraire toutes les valeurs de l'enracinement. La patrie fait ce que nous sommes et nous y tenons parce que c'est à partir de nos racines que nous nous élevons vers l'Universel, vers les biens éternels.

"Un peuple sans passé est incapable de surnaturel ", affirmait Simone Weil. Il n'y a rien de plus concret que la patrie :  elle est le fruit de la continuité et donc de ce que l'histoire a accompli sur un peuple. C'est sa langue, sa littérature, ses moeurs, ses coutumes, ses traditions morales et religieuses, sa législation, ses oeuvres artistiques, techniques, scientifiques, spirituelles. "C'est donc bien le legs des pères, ce qui fait que, par notre éducation dans cette patrie, nous ne sommes pas des barbares ou des sauvages mais des civilisés et des civilisés de cette civilisation-là que nous avons trouvée dans notre patrie, reçue d'elle, et qui est l'oeuvre progressive et le fruit de la longue succession des générations humaines dont nous héritons" nous rappelle Jean Daujat dans L'ordre social chrétien. La patrie est ainsi une réalité fondamentale au point qu'il a pu écrire qu'elle était "la plus haute valeur de l'ordre temporel". C'est une valeur largement incarnée ; c'est une réalité à la fois charnelle et spirituelle. Ce que Péguy résume parfaitement : "La patrie est cette quantité de terre où l'on peut parler une langue, où peuvent régner des moeurs, un esprit, une âme, un culte. C'est une portion de terre où l'âme peut respirer".

Le patriotisme est une vertu naturelle

Le patriotisme est une vertu naturelle relevant de la vertu de piété. "La patrie nous est bienfaisante dans une mesure difficilement assignable. Elle appelle donc la piété ayant tous les droits d'une prière" (Père Sertillanges) et l'Eglise a toujours étendu à la patrie le 4ème commandement honore ton père et ta mère. C'est bien de piété qu'il s'agit ici et non seulement de justice, qui exigerait que l'on rende ce qui a été reçu ou son équivalent. 

La patrie, "véritable mère qui a contribué à former chacun de ses enfants, a droit à un amour de préférence ", précisait le cardinal Feltin. Cette préférence avait déjà été justifiée par Pie XII dans sa première encyclique Summi Pontificatus : "Le divin Maître Lui-même donna l'exemple de cette préférence envers sa terre et sa patrie, en pleurant sur l'imminente destruction de la Cité sainte".

En 1985, Saint Jean-Paul II rappelait dans une Lettre apostolique à l'occasion de l'année internationale de la jeunesse que "face à notre héritage, nous ne pouvons garder une attitude passive ou même d'indifférence, comme le fait le dernier des serviteurs évoqués dans la parabole des talents... C'est là une tâche importante pour toutes les sociétés, peut-être plus particulièrement pour celles qui doivent défendre l'identité essentielle de leur nation des risques d'une destruction provoquée de l'extérieur ou d'une décomposition à l'intérieur".

Jean Paul II insiste sur le droit des nations à rester ce qu'elles sont et leur droit à transmettre leur patrimoine aux jeunes générations par une éducation appropriée.

Patriotisme et recherche du Bien Commun

C'est avec une grande prudence qu'il faut évoquer le nationalisme, tant les formes que ce terme a désignées sont diverses. Dans l'enseignement romain, il est le plus souvent utilisé avec un qualificatif : "juste nationalisme" (Pie XI, mai 1932), "nationalisme raisonnable" (Commission Justice et Paix, 1971) et plus fréquemment "nationalisme exacerbé", "malsain", "immodéré". "L'amour de la patrie ... devient un germe d'injustice et d'iniquités nombreuses si, transgressant les règles de la justice et du droit, il dégénère en "nationalisme immodéré" ".

Reste que l'on ne peut pas récuser qu'il puisse y avoir une forme saine de nationalisme, c'est notamment celle qui caractérise ce que ton entend le plus souvent par nationalisme à la française ; il s'agit d'une doctrine politique fondée sur la sauvegarde de la patrie, au nom du service du bien commun. A l'inverse de ce que suggère le suffixe "isme ", il ne s'agit pas ici d'une idéologie qui ferait de la nation et, par voie de conséquence l'Etat, un absolu, ou qui aboutirait à une exaspération de la patrie. C'est une doctrine politique qui proclame "la suprématie de l'intérêt national dans son ordre, dans sa sphère, non pas par comparaison avec tout autre droit et toute autre valeur, mais par comparaison avec chacun des autres objectifs politiques et sociaux qui peuvent tenir légitimement et raisonnablement le premier rang dans les préoccupations des hommes d'Etat" explique le Père Jean de la Brière.

Ce nationalisme ne fait pas de la nation un absolu, ni de l'Etat le mandataire de la nation ; cette doctrine reconnaît notamment la suprématie du droit naturel et repose sur une juste conception du bien commun.

La recherche du Bien Commun universel n'exclut pas le patriotisme, au contraire

 "Les échecs des hommes d'État (Société des Nations, ONU...) ont davantage retenu l'attention publique que les initiatives de l'Église qui détient la seule doctrine sociale capable d'inspirer une saine organisation des relations internationales", écrit Jean Madiran.                                                             

Les papes n'ont pas cessé de rappeler l'importance du rôle des instances internationales. "Rien, disait Pie XII, n'est plus conforme à la doctrine traditionnelle de l'Eglise". Le péril naît -et c'est le cas avec le mondialisme- lorsque les organisations se trouvent entre les mains, le plus souvent non visibles, d'équipes visant à un gouvernement à leur seul profit et au triomphe d'une idéologie qui se prétend un nouvel humanisme.

Evoquer les nécessités d'instances internationales, tout en respectant le principe de subsidiarité, ce n'est pas abolir ou périmer le droit des nations, ni la légitime souveraineté des Etats, protecteurs des nations, mais les faire entrer dans une harmonie supérieure. Dès lors que l'on conçoit que les nations en tant que nations ont leur place dans le plan divin, il s'ensuit toute une vision du monde, cette diversité ne peut être qu'une invitation à la complémentarité. Beaucoup aujourd'hui ressentent quelque scrupule à parler de patrie. Ils ont l'impression qu'elle n'est plus qu'une forme périmée à une époque où tous les horizons semblent s'élargir. "On peut être ému, disait à ce sujet Mgr Blanchet à ses étudiants, par cette anarchie sentimentale, trop molle d'ailleurs, trop inconsistante pour être vraiment généreuse. Mais notre catholicisme n'est ni cet idéalisme sans chair, ni cette effusion sans précises exigences". Avec beaucoup de bon sens, Gustave Thibon remit chaque chose à sa place. "Il en est, dit-il, qui ont tout dépassé avant d'avoir atteint... (Mais) c'est à travers les patries dépassées certes, mais traversées, que le Christianisme, cette divine forme de l'universel a fleuri sous des formes si diverses, si originales".