LA communion des anges

Une nuit de Noël, Dieu voulut qu’un saint religieux contemplât ce que les yeux de l’homme ne peuvent voir.

Le carillon des cloches avait volé sur les plaines luisantes de neige pour rejoindre au loin les carillons des villages ; sous les voûtes de l'église, à l'autel illuminé de mille cierges, le père Abbé et ses ministres vêtus de blanc et d’or célébraient la sainte Messe ; tous les moines en grand manteau noir se tenaient à leurs places, chantant à voix douce, s'inclinant et se redressant ensemble, et la joie de Noël se reflétait sur leurs beaux visages. La clochette tinta pour l'élévation: tout fut silence et immobilité. Au dehors, dans la nuit, en plein ciel, carillonnaient les cloches.

Et soudain, le plus saint de tous les religieux contempla l'invisible. Tout ce qui frappait les yeux de son corps s'évanouit ainsi qu'un pâle rêve : l'église, les moines, l'autel et ses ministres ; seul, dans une sorte de brume lumineuse, où les flammes des cierges pointaient comme des étoiles vives, le père Abbé apparaissait encore, debout, très grand tenant en main l’Hostie consacrée. Autour de lui, une foule innombrable d’anges faisait une couronne vivante ; les uns prosternés à l’abri de leurs ailes, les autres balançant des encensoirs fumants ou bien touchant de leurs doigts clairs des harpes d'or. Les chants liturgiques n'étaient plus qu'un murmure assourdi pour accompagner leurs cantiques et, quand tintait la clochette, ses sons légers s'emmêlaient aux sons de leurs harpes. Et les mains jointes, immobile, ébloui, ravi, ce moine qui voyait des yeux de son âme ne sentait plus passer le temps.

Il entendit tinter, lointaine, la sonnerie du Domine, non sum dignus ; le père Abbé s'inclina pour communier au Corps du Christ. Puis la coupe du calice brilla comme une fleur de lumière. Et voici que des anges portant une patène d'or recueillirent sur l'autel les parcelles imperceptibles tombées de l'Hostie sainte : et le plus beau de tous les distribua aux autres. Ils levaient leurs purs visages, entrouvrant leurs lèvres pour recevoir les parcelles consacrées et s'inclinant, ils adoraient à leur tour, ils faisaient silence, et c'était là, devant le mystère de Dieu, leur 1ouange suprême.

Or, ce moine en extase dit en son cœur : Quelle est cette fête des Cieux ? Et l'un des anges lui répondit à merveille : C’est la fête des Cieux sur la terre : c’est l'Eucharistie. Nous sommes les anges de Noël qui avons chanté dans la nuit sacrée où le Fils de Dieu descendit sur la terre et veillé sur l’humble crèche : nous veillons sur tout autel où il descend encore et nous chantons pour lui sur la terre le cantique des Cieux. Vous autres hommes vous communiez à son divin Corps : de cette communion, nous avons, ses anges, notre part. Le Ciel et la terre vivent ensemble au Pain des Anges devenu le Pain des hommes ! Ce que les yeux de votre corps ne peuvent voir, que votre Foi ardente le contemple : vous le verrez, face à face, un jour, dans l’éternelle communion du Ciel. …

Et les yeux de son âme se refermèrent. L'office était depuis longtemps achevé ; dans l'église vide, il était seul, Les cloches s'étaient tues. Tout était sombre, mais devant le tabernacle brillait la lampe qui ne s'éteint jamais, et sa flamme vacillait doucement comme au vent très léger des ailes invisibles.