Premier pilier du pèlerinage de Chartres : la Tradition

La Tradition s’apparente aux traditions humaines, familiales, de notre terroir ou de notre patrie, qui correspondent à des manières d’être et d’agir, à des usages et des coutumes, transmis dans un groupe humain sur un long espace de temps. Toute tradition comporte deux éléments fondamentaux : un héritage et sa transmission. Pour nous catholiques, la Tradition ne doit pas être comprise comme se suffisant à elle-même ou déconnectée du reste, bien au contraire.

Dans la transmission du dépôt révélé, l’institution divine nous apprend que trois éléments étroitement liés, voir imbriqués et cependant distincts, interviennent: la Tradition, l’Écriture Sainte et le Magistère de l’Église. La Tradition désigne donc d’abord la transmission continue dans l’Église de la doctrine divine achevée avec le Christ et les Apôtres, c’est à dire du dépôt révélé. Cette transmission s’accomplit par deux voies : l’Écriture Sainte, la prédication orale (dans laquelle le Magistère joue un rôle principal) et la foi de l’Église (2Th 2,15). C’est souvent cette seconde voie qui, dans un sens plus strict, est appelée « Tradition » : c’est-à-dire la transmission de la Révélation par un moyen distinct de la Sainte Écriture.

Pourquoi existe-t-il un lien étroit entre Ecriture et Tradition ?

La Tradition apostolique transmet non seulement la prédication orale du Christ et des Apôtres, mais encore l’Écriture Sainte elle-même. C’est l’occasion de rappeler que les livres du Nouveau Testament furent écrits après l’institution de l’Église par Notre Seigneur : la Tradition courrait avant même la rédaction des épîtres ou des évangiles. Ce lien entre l’Écriture Sainte et la Tradition est essentiel. Il ne faut donc pas les opposer, ou choisir l’une au dépend de l’autre, comme le firent les protestants qui isolèrent la Sainte Écriture, au point de rejeter, par contrecoup, la Tradition ; cela devint chez eux comme un slogan : Sola Scriptura.

En réalité, la Parole de Dieu écrite doit se comprendre en lien avec la Tradition divinement instituée, seule en mesure d’offrir les clefs de sa juste interprétation : elles sont ensemble les deux sources sacrées du dépôt de la foi. La transmission multiséculaire du dépôt révélé par la prédication et à travers toute la vie de l’Église a laissé certains témoins où nous pouvons toujours puiser : on a coutume d’appeler cela les monuments de la Tradition. Il s’agit en priorité des actes et écrits des Apôtres, des papes, des conciles et des évêques. Mais il faut encore mentionner les témoignages de l’archéologie et de l’histoire, de la littérature chrétienne et de l’art sacré. On remarquera que la liturgie, parce qu’elle est un signe permanent de l’apostolicité de l’Église et qu’elle rattache le culte chrétien aux rites apostoliques, est « un élément constituant de la sainte et divine Tradition » (Dei Verbum 8).

Qu’est ce que la Tradition Vivante ?

Cette expression est utilisée lorsque le Magistère, infailliblement assisté dans sa réception et son interprétation authentique des monuments de la Tradition, continue à transmettre de manière ininterrompue le dépôt révélé. Cette transmission s’accompagne d’ailleurs d’un approfondissement de ce qui a toujours été contenu dans la Révélation elle-même, quoique de manière parfois implicite. On peut dire qu’il y a de nouveaux dogmes, de nouvelles définitions, mais pas de nouvelles vérités : car toute notre foi est contenue dans le dépôt révélé. Cette meilleure intelligence du dépôt a pu être décrite comme un développement progressif et homogène du dogme. On en a un exemple relativement récent avec la proclamation du dogme de l’Assomption de la Sainte Vierge en 1950, par le pape Pie XII. En revanche, l’expression « Tradition vivante » ne peut signifier ni l’évolution de la vérité elle-même, ni l’adjonction de vérités nouvelles au dépôt révélé : cela s’opposerait au caractère définitif de la Révélation divine, et à l’absoluité de la Parole de Dieu, qui est immuable, comme Dieu lui-même.

Qu’est ce que l’herméneutique de la rupture ?

Cette expression a été utilisée par le pape Benoît XVI au début de son pontificat dans un discours à la curie, il s’agit d’une interprétation des vérités de la foi catholique, rejetant la compréhension traditionnelle de la Révélation et de son enseignement doctrinal autant que moral. Le pape émérite fait référence à l’attitude de certains dans l’Église après la seconde guerre mondiale, et surtout à la suite du concile Vatican II qui voulaient « revenir » à une Sainte Écriture supposée pure et inaltérée, en sautant à pieds joints sur 2000 ans de transmission fidèle et féconde. Cette volonté de s’émanciper de la Tradition de l’Église et d’un Magistère jugé contraignant est à l’origine d’un vent de folie qui ne fut pas sans troubler de nombreux fidèles. Le cardinal Journet (1891-1975) écrivait d’ailleurs que « la liturgie et la catéchèse sont les deux mâchoires de la tenaille avec laquelle on arrache la foi». Il rejoignait dans ce triste constat la demande qui, par la voix de Jean Madiran (1920-2013), s’était élevée dans le peuple chrétien : « Rendez-nous l’Écriture, le catéchisme, et la messe ». Combien d’expérimentations novatrices, tant au plan des traductions bibliques, de la rédaction des nouveaux parcours catéchétiques, que des célébrations liturgiques innovantes se multiplièrent en fait, dans une totale ignorance, voire un rejet assumé de la Tradition de l’Église.

Il faut d’ailleurs saluer les efforts successifs du Cardinal Joseph Ratzinger, lorsqu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi pour la publication d’un catéchisme universel et la correction de la traduction fautive des textes sacrés puis de Benoit XVI qui publiera le Motu Proprio Summorum Pontificum destiné à libéraliser la célébration de la sainte messe selon le rite romain dans sa forme antique, cette « forme extraordinaire », mieux connue sous le nom de rite traditionnel.

L’une des grandes raisons de notre attachement à ce rite, outre « l’usage vénérable et antique » d’une liturgie dont Benoît XVI a rappelé qu’elle ne fût jamais abrogée, témoignant ainsi d’une tradition ininterrompue, est sa réelle aptitude à exprimer très adéquatement le mystère de la messe.

Nous voyons que cette aspiration à défendre la Tradition immémoriale de l’Église n’est autre que l’impérieux devoir de préserver cet héritage reçu des apôtres, conservé intact et approfondi sous l’assistance divine tout au long des siècles. La Tradition, c’est la vie même de la Sainte Église. C’est précisément en réaction à la crise de l’Église que le pèlerinage Notre Dame de Chrétienté a été créé pour retrouver, conserver et continuer de transmettre l’héritage immémorial de la foi catholique et d’un agir, personnel et social, qui s’en réclame.

 La Tradition n’est pas l’attachement sclérosé au passé : elle est, dans l’Église, la source vivifiante d’une foi, authentique et fidèle, en Jésus-Christ. En manifestant notre attachement à la Tradition pérenne de l’Église, soyons conscients, chers pèlerins, qu’elle n’est pas notre propriété, que nous ne sommes pas là pour la « sauver » ; mais bien pour recevoir d’elle l’enseignement salutaire de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Ce que dit le Catéchisme de l’Eglise Catholique

11. Pourquoi et comment doit se transmettre la révélation divine ?

Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4), c’est-à-dire de Jésus-Christ. C’est pourquoi il est nécessaire que le Christ soit annoncé à tous les hommes, selon son propre commandement : « Allez et enseignez toutes les nations » (Mt 28,19). Cela se réalise par la Tradition apostolique.

12. En quoi consiste la Tradition apostolique ?

La Tradition apostolique est la transmission du message du Christ, qui s’accomplit depuis les origines du christianisme, par la prédication, le témoignage, les institutions, le culte, les écrits inspirés. Les Apôtres ont transmis à leurs successeurs, les Évêques, et, à travers eux, à toutes les générations, jusqu’à la fin des temps, ce qu’ils ont reçu du Christ et qu’ils ont appris de l’Esprit-Saint.

13. Comment se réalise la Tradition apostolique ?

La Tradition apostolique se réalise de deux manières : par la transmission vivante de la Parole de Dieu (appelée plus simplement Tradition) et par la Sainte Écriture, qui est la même annonce du salut, consignée par écrit.

14. Quel rapport existe-t-il entre la Tradition et la Sainte Écriture ?

La Tradition et la Sainte Écriture sont liées et communiquent étroitement entre elles. En effet, l’une et l’autre rendent le mystère du Christ présent et fécond dans l’Église, et elles jaillissent d’une source divine identique. Elles constituent un seul dépôt sacré de la foi, où l’Église puise sa certitude concernant tout ce qui est révélé.

15. A qui est confié le dépôt de la foi ?

Depuis les Apôtres, le dépôt de la foi est confié à l’ensemble de l’Église. Avec le sens surnaturel de la foi, le peuple de Dieu tout entier, assisté de l’Esprit Saint et guidé par le Magistère de l’Église, accueille la Révélation divine, la comprend toujours plus profondément et s’attache à la vivre.