2ème méditation : ma responsabilité, faire usage du bien

« Liberté, tu es la seule vérité » chante fièrement le choeur des esclaves dans Nabucco, l’opéra de Verdi. Cette liberté est celle à laquelle aspirent les Hébreux emmenés en captivité à Babylone après la destruction du temple de Jérusalem par Nabuchodonosor. « Liberté » est aussi le premier élément du triptyque républicain inscrit au fronton de nos mairies et de nos édifices publics. Cet engouement pour la liberté conduisit le pape Jean-Paul II à déclarer : « Dans certains courants de la pensée moderne, on en est arrivé à exalter la liberté au point d’en faire un absolu qui serait la source des valeurs. » (Splendor veritatis §32).

Qu’est-ce que la liberté ?

Nos contemporains définissent souvent la liberté comme le refus de toute contrainte, de tout déterminisme, de toute limite. Est-elle une indépendance absolue vis-à-vis de toute loi physique ou morale ? Aujourd’hui, l’homme moderne veut choisir son sexe comme la couleur de sa peau mais aussi décider souverainement de ce qui est bien et de ce qui est mal. Plus il est indéterminé plus il se sent libre. Chaque choix restreint sa liberté. Chaque engagement est une folie. D’où l’extrême réticence à s’engager dans le mariage, le sacerdoce ou la vie religieuse ou, de façon plus anecdotique à choisir ses témoins de mariage. Il n’est pas rare de voir chaque marié bénéficier de quatre, cinq, six témoins : refus de choisir !

Cependant personne n’aurait l’idée de critiquer la loi de la gravitation universelle qui contrarie pourtant la liberté de voler de ses propres ailes en s’affranchissant des lois de la pesanteur. C’est au contraire en ayant accepté ces lois et en ayant eu l’intelligence d’en utiliser d’autres que l’homme moderne a pu réaliser le rêve d’Icare : voler dans les airs.

La réalité est qu’il n’existe pas plus de liberté d’agir selon son gré dans le domaine moral qu’il n’en existe en astronomie, en physique, en chimie ou en physiologie.

Dès le Jardin d’Éden, Dieu a fixé la règle souveraine de tout comportement : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort. » (Genèse, II,16-17).

Il existe certes une possibilité physique de transgresser la loi morale. Comme existe la possibilité physique de se jeter du premier étage de la Tour Eiffel en prétendant récuser la loi de la pesanteur. Dans un cas comme dans l’autre les conséquences sont très rapidement désastreuses. Croyant s’être libéré de la loi naturelle ou divine, l’être humain est, en réalité, devenu l’esclave de ses passions, le simple jouet de réactions physico-chimiques.

Rien ne le distingue plus alors de l’animal. Posons-nous cette question importante : pourquoi l’homme est-il différent

de l’animal ?

Parce que l’homme a 2 spécificités que l’animal n’a pas : sa raison lui montre le bien à atteindre ; sa volonté lui fait se donner les moyens d’atteindre ce bien.

 

Être libre en société

La liberté du chrétien, c’est ainsi d’être affranchi de l’esclavage du péché. Cependant, de par sa nature, l’être humain est appelé à vivre en société… Contrairement à ce qu’affirmait Jean-Paul Sartre, les autres ne sont pas l’enfer, ils sont le moyen voulu par le Créateur pour rendre plus aisée à chaque personne, dans l’ordre temporel, l’obtention de la perfection physique, intellectuelle et morale, facilitant ainsi l’atteinte de sa fin surnaturelle.

La vie en société est plus qu’un fait, elle est un bienfait. Chacun est pris par ses responsabilités inhérentes à ses différents devoirs d’État – états d’enfants, de parents, de conjoints, de membres d’une cité, de professionnels, d’amis, de voisins, etc. État également d’enfants de Dieu, de baptisés, de rachetés, « d’héritiers de Dieu et de cohéritiers du Christ » (Rom VIII,17).

Tous ces états ne s’excluent pas les uns les autres mais se complètent et se hiérarchisent. La garde de l’enfant malade dispense de l’obligation d’assister à la messe dominicale, la visite trimestrielle à la grand-mère isolée passe avant la séance de cinéma avec les copains, la révision des examens passe avant le voyage à Bali, etc. La liberté est toujours un effort, le

résultat d’un travail sur soi-même. Elle est une suite de choix assumés et éclairés par la parole du divin maître : « La vérité vous libèrera » (Jean VIII, 32). Hors de la vérité, l’homme est esclave de l’erreur et du péché.

 

L’objection de la conscience éclairée

La société moderne, à rebours de ces réalités, est par nature hostile à la famille, lieu par excellence de la transmission non choisie. Ce monde sans repères ne peut qu’être imprévisible et donc anxiogène. Il charrie avec lui son lot d’insécurité radicale (séparations, divorces, etc.), de solitude grandissante (malgré les centaines de pseudo amis sur Facebook) et finalement de souffrances et d’échecs. Le chrétien est aussi balloté par la tempête mais il dispose d’une boussole : les commandements de Dieu, explicitation simple et pédagogique

de la loi naturelle gravée au fond du coeur de tout homme. Cette loi est indiquée à chacun par sa conscience. Cependant, la conscience n’est pas la lumière, elle est l’oeil qui regarde la lumière. Il existe des consciences obscurcies comme il existe des illusions d’optique. La conscience doit à

chaque instant être purifiée et éclairée : « La conscience n’est pas un juge infaillible : elle peut se tromper » (Veritatis Splendor §62). L’obligation morale de suivre sa conscience n’est pas une revendication subjective mais un impératif de fidélité à un ordre, à des règles objectives qui nous sont extérieures mais qui sont la condition de la cohérence entre ce que nous sommes (notre destin, nos convictions) et nos actions.

Dans une société apostate, matérialiste, hédoniste, le chrétien qui souhaite rester fidèle doit accepter d’être différent des autres hommes. Il doit se préparer à poser des actes en rupture avec les valeurs dominantes du monde, par fidélité à la radicalité de l’évangile. Un acte intrinsèquement mauvais ne peut jamais devenir acceptable en fonction de son éventuelle intégration dans une bonne perspective générale (cf. Veritatis Splendor § 55) et : « Il n’est pas licite de faire le mal en vue du bien ».

Il n’est ainsi jamais légitime de recourir à l’avortement, de légitimer les unions homosexuelles, de dissocier dans l’acte, que l’on n’ose plus qualifier de conjugal, l’union de la procréation mais aussi de mentir avec la volonté de tromper une autorité légitime dans l’exercice de ses attributions, de verser un injuste salaire, de blasphémer, d’apostasier (cf. le film Silence de Martin Scorcese).

Ainsi en 1999, contre l’avis des évêques allemands, Jean-Paul II interdit aux centres d’accueil pour les femmes, gérés par l’Église catholique, d’émettre les « attestations d’entretien », nécessaires avant tout avortement en Allemagne. Il fallut attendre 2006 pour que l’épiscopat allemand obtempère. Les professions de santé (médecins, pharmaciens, infirmières, sages-femmes) sont particulièrement concernées par cette objection de conscience mais la liste n’est malheureusement pas exclusive. Ainsi de graves questions morales peuvent se poser dans les industries pharmaceutiques ou d’armement mais aussi dans des entreprises qui nuisent gravement à l’environnement, exploitent des enfants dans les pays sous-développés

ou perturbent de fragiles équilibres politiques pour « faire du business ». Sans oublier la participation à des guerres objectivement injustes ou la complicité avec un appareil d’État ennemi de la loi naturelle, au service d’intérêts particuliers et non du bien commun.

Le but de la vie de chacun sur terre est, après ce bref séjour, de mériter le Ciel. Le fait d’avoir été président de ceci ou directeur de cela sera d’une piètre utilité au moment de comparaître devant le juste Juge. Le risque d’un lent glissement sous des airs de fidélité est une réalité.

De plus, « Il faut vivre comme l’on pense, autrement l’on finit par penser comme l’on vit » (Paul Bourget). L’unité de vie est la condition de la paix intérieure qui peut être conservée même au coeur des plus furieux combats. Si, à la fin des temps, « il n’y a rien de secret qui ne doive être découvert, ni rien de caché qui ne doive être connu » (Luc XII,2), cette perspective est parfois bien lointaine. Plus prosaïquement, sommes-nous prêts à partager avec nos parents, notre conjoint, nos frères et soeurs, notre patron, nos collaborateurs, nos amis, cet acte que nous venons de poser, cette parole que nous venons de prononcer ? Si ce n’est pas le cas, peut-être sommes-nous entrés dans une zone grise qu’il convient d’éclaircir ?

Conclusion

Le drame de l’existence n’est pas de mourir mais de ne pas avoir vécu. « Les modérés survivront, seuls les passionnés auront vécu » (Antoine de Rivarol). La liberté de l’homme est la condition de sa réponse libre à l’amour infini et sans limites de Dieu. Elle est le choix de faire ce que l’on doit avec toute son âme.