Homélie de la Vigile de la Pentecôte par l'Abbé Fournier

Chers amis pèlerins de Chartres, chacun selon vos titres, rangs, grades et qualités.

C'est une chose étrange à vrai dire que l'homme !

Oui c'est vraiment une chose étrange que l'homme, et il suffit de se pencher un tant soit peu sur lui, abandonnant pour un temps l'abrutissement du quotidien pour s'en rendre compte. Plongeant tout curieux de ce que l'on pourrait découvrir dans le mystère de son coeur, c'est toujours, et ce malgré nos multiples investigations, le même constat que nous dressons. En chacun de nous, et ce, sans acception de race, de naissance, de religion ou de sexe, nous trouvons toujours une aspiration profonde au bonheur. Plus encore, un besoin impérieux d'échapper aux tracas, aux vicissitudes, aux accidents de la vie, pour jouir d'une paix véritable, condition de cette fruition inégalable des bienheureux.

Quel contraste une fois sorti de ce coeur avec l'homme réel, celui de tous les jours que nous rencontrons dans nos familles, au travail, dans notre société, membre de l'humanité à laquelle nous aussi nous appartenons. Car en effet, ce n'est plus le prospecteur de bonheur mais un lion redoutable sur lequel nous tombons. Le voilà devenu un loup pour les autres et pour lui-même, à ce point que les sans Dieu n'hésiterons pas à voir en lui l'enfer. Il n'est qu'à ouvrir un journal, ouvrir une fenêtre sur le monde et nous sommes plongés dans un océan de violence où une guerre chasse une pandémie et une catastrophe industrielle le scandale de la misère.

Paradoxe bien inquiétant qui se présente ainsi sans fard. Le même homme qui aspire au bonheur, agit dans son intérieur comme au dehors avec la plus extrême des véhémences. Tout est combat, tout devient combat et l'issue ne peut être que l'anéantissement.

Mais est-ce bien un paradoxe ou celui-ci n'est-il qu'apparent ?

 

Trois réalités vont nous permettre de rendre compte de cette constatation. La première, le péché originel ; la seconde, le mystère du salut et la troisième, la collaboration du pêcheur.

 

Tout d'abord le péché originel.

Devons-nous encore et toujours nous étonner de la triste situation dans laquelle se trouve l'humanité après sa révolte contre son créateur. Je vous renvoie au livre de la Genèse. L'humanité perd les quatre dons praeternaturels que le Bon Dieu lui avait donnée. Désormais la mort, l'âpreté de la lutte pour sa survie dans une nature hostile, l'irrésistibilité des passions sont le lot commun des enfants d'Adam et Eve. C'est l'assassinat d'Abel par son frère Caïn, c'est la conspiration des hommes avec la tour de Babel dont le mélange des langues ne trouvera son achèvement qu 'avec cette belle fête de la Pentecôte que nous nous apprêtons à célébrer, c'est aussi l'humanité noyée dans les flots du déluge. Inutile de continuer une liste à la Prévert, Histoire sainte et histoire profane fourmillent toutes deux de la réalité du mal.

Si nous pouvions fuir, peut-être le ferions-nous ? Mais nul n'échappe à sa condition d'homme et que nous soyons courageux ou pusillanime, le même combat nous attend.

Devons-nous nous en effrayer ? Nullement ! Nullement et ce pour trois raisons : tout d'abord dans le proto évangile de la Genèse, Dieu nous promet l'envoi d'un Sauveur qui viendra rétablir le désordre de la désobéissance et la descendance de la nouvelle Eve écrasera la tête du serpent maudit ; ensuite l'assurance donnée par Jésus dans St Matthieu que si ces choses sont difficiles sinon impossible à l'homme, tout est possible pour Dieu ; et enfin la promesse que si ne rougissons pas de Dieu, lui-même nous défendra devant les hommes. La réception du Paraclet nous permettant de ne pas nous inquiéter de ce que nous aurions à répondre. Si l'humanité a un temps œuvré contre Dieu, c'est la Trinité qui vient à son secours. N'avons-nous-pas coutume de dire que si le Père a créé, c'est le Fils qui sauve et le Saint Esprit qui sanctifie.

Ainsi donc voici notre deuxième réalité, le mystère du salut. Il s'agit ici du combat eschatologique de Jésus, celui de sa propre existence terrestre, vrai Dieu et vrai homme par son Incarnation, il a à mener tous les combats des hommes sans pour autant jamais être sous l'emprise du péché. Reportons nous à l'inauguration de sa vie publique et plus particulièrement au désert pour y être tenté par le démon après un jeûne de 40 jours. 3 tentations, 3 concupiscences établies par l'apôtre S.Jean : la concupiscence de la chair, la concupiscence de yeux et l'orgueil de la vie. 3 manières de mener le bon combat si cher à Saint Paul. C'est ensuite la lutte contre l'obscurantisme, dévoiler ce qui était voilé, tout comme la réalisation de ce qui n'était que figuré. Le combat contre le fanatisme et le fondamentalisme des sectes juives de son époque. Enfin, le combat ultime, l'hésitation bien humaine du jardin des Oliviers au cours de l'Agonie laisse la place à la mort librement acceptée sur la croix pour le rachat des péchés de l'humanité et sa résurrection des morts par laquelle les portes du ciel vont se rouvrir. Ne chantons-nous pas lors de la semaine sainte : « mort où est ta victoire, mort où est ton aiguillon ? » Le nouvel Adam, né de la nouvelle Eve a vaincu la mort par son obéissance. Et de nous dire pour nous encourager au combat qui maintenant se prolonge dans le temps de l'Église : « Je suis la voie, la vérité et la vie » .

Car arrive cette troisième vérité : la collaboration nécessaire du pêcheur. Avant de nous avancer plus avant dans ce chemin écartons vigoureusement et immédiatement toute tentation de pélagianisme ou semi-pélagianisme. Dieu nous sauve seul et de manière purement gratuite. Quand nous parlons de nécessité, ce n'est pas pour que se réalise le Salut universel mais bien dans son application à chacun d'entre nous. Nul ne sera sauvé contre sa volonté et jusqu'à la fin le Bon Dieu respectera notre choix libre de l'aimer ou de le rejeter. Songeons aux 10 lépreux de l'Évangile, 10 sont guéris mais un seul est sauvé ! Non, ici nous parlons de cette course que décrit l'apôtre des gentils, la couronne de gloire est déjà remportée, nous n'avons plus qu'à descendre dans l'arène et y participer. Que cela demande des efforts, n'en doutons pas. Le même Saint Paul ne nous invite-t-il pas à compléter en nous ce qu'il manque aux souffrances de Notre Seigneur Jésus Christ ?

Alors, avec les talents que nous avons reçus, ce sont notre intelligence et notre volonté qui sont appelées à collaborer pour que s'étende le royaume de Dieu. Une saine doctrine et un agir droit serons nos meilleurs alliés pour concourir au rétablissement de l'ordre que le péché ne cesse de troubler. Mais nous en avons d'autres des alliés dans cette lutte, ce sont les bons anges et tout particulièrement nos anges gardiens. Ces messagers du Tout-Puissant qui montent et descendent sans cesse sur l'échelle de Jacob sont là aujourd'hui encore pour nous soutenir dans le combat et jalonner le chemin de la Jérusalem céleste où se donnera en partage sans retenu le bonheur tant escompté.

Oui c'est une chose étrange que l'homme ! Que le combat soit momentanément gagné ou perdu, c'est très souvent auprès de sa maman qu'il vient trouver refuge. Combat perdu pour obtenir consolation et réconfort, combat gagné pour recevoir des encouragements bien mérités. C'est Marie, notre mère, Notre Dame de Chartres qui pour chacun de nous amis pèlerins tient grand ouvert son manteau et attend cette année encore nos âmes d'enfants de Dieu. Certes, les circonstances exceptionnelles que nous vivons obligent beaucoup d'entre vous à faire un pèlerinage numérique, numérique mais pas virtuel. Puisez largement dans le trésor que Jésus vous a acquis au prix de son propre sang et ne négligez pas de recevoir le sacrement de pénitence et celui de l'eucharistie dès que cela vous sera rendu possible.

En la centième année de sa canonisation je conclurai avec Sainte Jeanne d'Arc en vous invitant à toujours vous souvenir que si ce sont les hommes d'armes qui combattent, seul Dieu donne la victoire.

 

Enregistrement vidéo de l'homélie: