Pèlerinage de Pentecôte
de Paris à Chartres

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Homélie du Cardinal Castrillón Hoyos


Samedi 8 décembre 2007,
en l'église Sainte Jeanne d'Arc de Versailles.


Cardinal Castrillon Hoyos
Très chers pèlerins, Mes très chers fils.


L'Eglise célèbre aujourd'hui l'Immaculée Conception de Marie. Dès le début de sa Liturgie festive, elle unit sa propre joie à celle de Marie : « Gaudens gaudebo in Domino » « Je me réjouis dans le Seigneur et mon âme trésaille d'allégresse ».
Pour quoi cette grande joie ? « Quia induit me vestimentis salutis » « parce qu'il m'a revêtue des vêtements du salut et il m'a parée du manteau de la sainteté ». Voilà la raison de tant de joie : l'Eglise sait bien que ce salut est aussi son salut, cette sainteté est aussi sa sainteté.
En effet, toutes les merveilles que le Seigneur a fait pour Marie, il les a fait pour préparer une demeure digne pour son Fils. Il a préservé Marie de tout souillure du péché et de toute empreinte du Malin, afin que son Fils Jésus-Christ puisse s'incarner en elle, pour détruire dans sa propre chair le règne des ténèbres et du mal. Ainsi Marie est devenue la toute pure, la toute belle : « Tota pulchra es Maria ! »
La liturgie de la fête applique un très beau texte de l'Ancien Testament à Marie, tiré du Livre des Proverbes : il parle d'une mystérieuse Sagesse qui se trouve auprès de Dieu dès le commencement. L'Eglise a compris ce texte dans le sens marial, et l'a approfondi Marie est le trône de la Sagesse, en elle repose la Sagesse Divine. Au fil des siècles l'Eglise a mûri cette conviction , jusqu'à la définir de façon lumineuse dans le dogme de l'Immaculée Conception, en 1864. La collecte de la Messe le résume de manière extraordinaire : « ex morte filii tui praevisa eam ab omni labe praeservasti ».
Ne nous contentons pas du résumé : allons à ses sources ; nous percevons, avec les mystiques, « que jamais créature ne fut avant ni après Marie, le pur vase de grâce que Dieu avait promis aux hommes, et dans lequel il devait se faire homme, pour payer les dettes de l'humanité au moyen des mérites surabondants de sa Passion. La sainte Vierge était la fleur parfaitement pure de la race humaine, éclose dans la plénitude des temps. Tous les enfants de Dieu parmi les hommes, tous ceux qui, depuis le commencement, avaient travaillé à l'oeuvre de la sanctification, ont contribué à sa venue. Elle était le seul or pur de la terre ; elle seule était la portion pure et sans tache de la chair et du sang de l'humanité tout entière, qui, préparée, épurée, recueillie, consacrée à travers toutes les générations de ses ancêtres, conduite, protégée et fortifiée sous le régime de la loi de Moïse, se produisait enfin comme la plénitude de la grâce. Elle était prédestinée dans l'éternité, et elle a paru dans le temps comme mère de l'Eternel » (Bienheureuse Emmerich).
Ainsi, en nous réjouissant de ce privilège de Marie Toujours Vierge, nous comprenons immédiatement qu'il est lié au sacrifice de son fils ; Marie a reçu ce privilège en vue du sacrifice de son Fils, que nous possédons dans la Sainte Messe. Donc en célébrant la Messe comme aujourd'hui, nous sommes au cœur de la fête : c'est pour en arriver là que Marie a été désirée et préparée depuis l'éternité :
« Le Seigneur m'a faite pour lui avant ses œuvres les plus anciennes » (Proverbes 8,22).
Mais gardons nous de regarder ce mystère en restant à distance; le privilège de l'Immaculée doit devenir notre privilège ; non seulement parce qu'elle a accepté d'être notre mère, mais parce que, comme le dit la suite du texte, «mes délices sont d'être avec les enfants des hommes» (Proverbes 8,31). Quel étonnement ! Marie a été privilégiée, pour pouvoir recevoir en elle le Verbe de Dieu ; mais c'est en moi que celui-ci désire finalement faire sa demeure ; il trouve ses délices en moi ! St François de Sales commente : « Regardons donc cent fois le jour cette amoureuse volonté de Dieu » (Traité de l'Amour de Dieu, 1. 8 c. 4).
Trouver ses délices d'être avec quelqu'un, c'est la plus haute forme de l'amour (ibid. 1. 10 c. 17) : c'est se complaire en l'autre, au point de se mettre à son niveau ; Dieu se complaît en Marie ; il aime sa beauté ; mais ce n'est pas seulement pour elle : c'est parce qu'il aime aussi la nôtre, de beauté ; la grâce qu'il nous accorde est diverse : mais c'est tout de même « la » grâce, la complaisance de Dieu à notre égard, excusez du peu. Que pourrions-nous rêver de plus ?
Vous voyez comme cette fête nous renvoie immédiatement à un optimisme, à une vision typiquement catholique de l'homme : alors que pour nos frères séparés, pour le platonisme en général, Dieu est trop grand pour nous, notre nature est trop corrompue pour pouvoir supporter la grâce, et donc aucune des réalités d'ici bas ne sera jamais à la hauteur, le mariage ne peut être un sacrement, les institutions et les lois ecclésiales ne peuvent porter la grâce ; nous au contraire, en contemplant l'Immaculée, nous en revenons toujours à la Parabole du Bon Samaritain : l'homme au bord du chemin n'est pas mort, il n'est que blessé ; et non pas pour être à moitié mort selon notre manière pessimiste de parler : le grec et la vulgate disent au contraire qu'il est « à moitié vivant », « semivivo relicto » (Luc 10,30). Il est récupérable. Il est beau. Dieu se complaît à habiter avec lui.
Cela nous ouvre quantité de perspectives. D'abord pour notre vie intérieure : il vaut mieux voir les choses comme Dieu les voit. Il trouve ses délices en nous, mais il est trop respectueux de notre liberté : il se tient derrière la porte, il frappe, et ce n'est que si nous lui ouvrons qu'il pourra se complaire à vivre avec nous ; prenons conscience de cette attente de notre créateur ; ce n'est pas désagréable, en somme, de se savoir attendu, désiré... mais il faut répondre.
Ensuite pour la vie d'ici-bas. Elle n'est pas si terrible, même si nous avons encaissé beaucoup de coups, puisque nous sommes encore à moitié vivants, et que Jésus médecin se propose de nous rendre vivants à cent pourcents ! et il est possible de vivre de la grâce dans les choses les plus concrètes... jusque dans les institutions, dans les lois de l'Eglise, dans sa liturgie... il est clair que celle-ci n'est pas encore le paradis ; mais elle en est l'antichambre, ce n'est pas négligeable non plus.
Je suis heureux de célébrer avec vous l'anniversaire de vingt cinq « pèlerinages de chrétienté » à Chartres ; comme vous le voyez, nous avons la grâce de pouvoir célébrer cette Messe dans la forme extraordinaire du Rite Romain, et je prends l'occasion de remercier avec vous et en votre nom le Saint-Père qui a ouvert à toute l'Eglise le trésor de la Liturgie antique romaine.
Un pèlerinage, c'est toujours un temps de grâce : c'est une manifestation visible de ce qu'est l'Eglise, un peuple en marche vers la vie éternelle. Et votre pèlerinage s'intitule « de chrétienté » , mais ce ceci n'est pas un signe de nostalgie vers le passé, mais d' une nostalgie tendue vers le ciel ; la chrétienté n'est pas derrière nous, elle est à venir, parce que le sacrifice du Christ, en vue duquel Marie a été préservée de toute souillure, lui a donné titre à régner, comme homme également, sur la société. Le Christ exercera toujours davantage sa royauté sociale, il est mort pour «prendre ses délices à vivre dans la société des hommes » (Proverbes 8,31).
Nous n'avons pas le droit de mesurer la grâce ni de nous comparer à d'autres événements d'Eglise, mais nous avons le devoir de prendre conscience de la grâce et de vivre dans la gratitude.
Gratitude, parce que 25 ans, c'est une génération : une génération de chrétiens qui, tous les ans, grâce à ce pèlerinage, à cette institution humaine, à cette figure imparfaite de la charité qui doit s'établir dans la société, du paradis et de la beauté à laquelle nous sommes appelés, se sont laissé séduire et enthousiasmer par cette beauté de la grâce ; nombre d'entre vous ont trouvé ici leur cher conjoint : imparfait, pas idéal, mais déjà un cadeau au-delà de tout ce qu'ils méritaient ; nombre d'entre vous ont retrouvé ici la foi ; nombre d'entre vous ont pu ici se confesser pour la première fois, ou tout simplement retrouver la joie de l'état de grâce, cette amitié avec Dieu qui ne retire rien au combat quotidien, mais qui nous donne la capacité d'être vainqueurs du péché, de la laideur. Peut-être même ce pèlerinage a-t-il contribué à façonner la droiture d'âme qui a permis à certains jeunes d'offrir leur vie, de sourire face à l'infirmité, à une longue maladie, ou de résister jusqu'au sang pour préserver le sanctuaire de leur corps.
Merci, Oh Notre Dame, d'avoir ainsi veillé sur tes enfants ; merci d'avoir accepté ce petit hommage d'une marche à pied et d'en avoir fait la source de tant de grâces dans les cœurs, les familles, la société.
Cela ne reste qu'un pèlerinage : une route imparfaite, parmi d'autres routes, qu'il faut sans cesse réorienter vers l'étoile; et cette étoile, c'est l'Immaculée ; sa beauté est une invitation pour toute l'Eglise et la société ; pour sillonner les routes de ce monde sans trébucher, ce n'est pas une bonne méthode que de regarder seulement devant soi où l'on met les pieds ; ne marchent bien que ceux qui anticipent : il nous faut donc sans cesse relever la tête et regarder vers l'Immaculée ; elle nous renvoie à autre chose qu'à nos petits efforts, elle nous permet presque de planer au-dessus des cailloux ! La liturgie de l'Eglise la salue comme « notre espérance », et notre Saint-Père insiste sur ce point dans sa dernière encyclique : c'est parce que l'espérance nous rend possesseurs de quelque chose de différent, c'est parce qu'elle est une anticipation du ciel, que nous avons une réelle originalité à apporter au monde et que nous ne regardons plus les cailloux pour marcher. Le monde n'attend pas notre folklore, il n'en a pas besoin, une bannière n'a jamais converti personne : mais le monde a besoin de signes, à condition que ceux-ci soient authentiques ; derrière les bannières, le monde examine s'il y a quelque chose d'autre, s'il y a cette espérance, cette possession anticipée du paradis : il en a la nostalgie, il la cherche à en pleurer, mais il n'arrive pas à se la procurer, puisque la grâce ne se conquiert pas, même à coups de gentillesses et de bonne conscience ; la grâce se concède, librement, à ceux qui reconnaissent qu'ils n'ont pas su aimer ; le Cantique des Cantiques dit que « celui qui offrirait toutes les richesses de sa maison pour l'acheter ne recueillerait que le mépris» (Ct 8,7) ; quand le monde constate que quelque part sur la terre, elle se donne, elle se fait accessible, que l'espérance est apparue, alors il se laisse toucher.
Il me faut donc conclure par des voeux : que Marie nous aide à être vrais ; à être d'authentiques dépositaires de cette grâce par laquelle Dieu se complaît à vivre dans la société des hommes. Un marcheur de chrétienté, ce ne doit pas être une catégorie sociologique : c'est quelqu'un qui a été touché, qui vit de la grâce, et en particulier de l'espérance, à la manière de Charles Péguy, l'initiateur du pèlerinage :
Sur le chemin du Salut, sur le chemin charnel, sur le chemin raboteux du Salut, sur la route interminable, sur la route entre ses deux soeurs, la petite Espérance s'avance. C'est Elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car... L'Espérance voit ce qui sera dans le temps et l'Eternité.

Cardinal Castrillón Hoyos
Président de la commission pontificale Ecclesia Dei



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