mardi 15 décembre 2020

Appel de Chartres n° 243 : Le syndrome du colonel Nicholson

Les situations de crise agissent comme des révélateurs. Les attentats, l’incendie de Notre-Dame, l’interdiction du culte public ont été pour des raisons variées des agressions contre les catholiques. Certes menées dans des contextes différents, elles restent des attaques contre la France catholique.

Les attentats terroristes ne sont pas une guerre contre la République. Non, le terrorisme attaque la France éternelle, la France catholique.

L’incendie de Notre Dame de Paris est l’image de notre Eglise en feu devant la stupeur du monde et les larmes des catholiques.

L’assentiment de la Conférence de l’Eglise de France devant l’interdiction du culte ne démontre-t-il pas la perte du sens de la sainte Messe au cœur de la foi catholique ? La Messe n’est pas un rassemblement, ce n’est pas un moment « pour-faire-église » qu’il serait possible de supprimer. La sainte Messe est le renouvellement non sanglant du sacrifice de la croix. Elle est indispensable au salut des catholiques. Jean-Marie Guénois[1] dans un article récent du Figaro (23 novembre 2020) constate une « division profonde dans l’Eglise » sur ce sujet, conséquence de divergences théologiques majeures sur l’eucharistie. Ecoutons-le : « Une partie des théologiens, prêtres, évêques et certains cardinaux, a épousé les thèses du protestantisme qui considère la présence réelle eucharistique du Christ comme symbolique et non réelle. Donc non absolument sacrée au point de se battre pour elle. » Il s’agit donc bien d’une question de foi sur l’Eucharistie et la sainte Messe comme nous le disons depuis près de quarante années lors de nos pèlerinages. L’incapacité des catholiques aujourd’hui à savoir ce qu’est véritablement la sainte Messe est un des effets catastrophiques de la crise de la transmission, plusieurs générations de catholiques ayant été privées de catéchisme. La hiérarchie catholique est restée longtemps aveugle et sourde (pas tous les évêques, Dieu soit loué). Certains de ses membres semblent coupés des derniers fidèles pratiquants comme le dit Yann Raison du Cleuziou dans un article de La Croix[2] quand il écrit que « le mépris affiché (par la hiérarchie) pour les ultimes pratiquants est suicidaire ».

Bien sûr, nous nous réjouissons que les évêques de France aient fini par présenter un référé-liberté (même deux en l’occurrence) et ainsi montré un peu de caractère. Une prise de conscience a peut-être enfin eu lieu. Il faut encourager nos évêques pour ces actes d’autant plus méritoires qu’ils sont nouveaux et marquent un changement de position face au pouvoir civil. Un des effets heureux de la situation serait que les yeux et les intelligences s’ouvrent devant la gravité de la situation.

Nos évêques semblent être tombés dans le syndrome du colonel Nicholson (joué par Alec Guinness) pour ceux d’entre vous qui connaissent le film « Le pont de la rivière Kwaï ». Ce colonel veut montrer la qualité des soldats et ingénieurs britanniques devant le colonel Saïto et ira jusqu’à construire un pont stratégique en pleine jungle birmane sans comprendre qu’il est prisonnier, que son pays est en guerre contre le Japon et qu’il rend un grand service à son ennemi en construisant ce pont. Comme me le disait un ami, l’analogie avec nos évêques (heureusement pas tous) est assez criante.

Aucune réforme n’aura lieu sans que la vérité soit dite, sans que nous soyons capables de regarder la situation en face et de la décrire. La vérité est simple et compréhensible par tous. Nul besoin d’avoir fait des études de théologie. Une connaissance du catéchisme pour enfants remplacera avec bonheur tout le pseudo-intellectualisme relativiste de certains.

« L’homme ne vit pas seulement de pain » (Matthieu 4,4)

« Quel profit, en effet, peut avoir l’homme à gagner l’univers au détriment de son âme » (Marc 8,36)

« On offre le sacrifice de la messe pour 4 fins : 1° adorer Dieu ; 2° le remercier de ses bienfaits ; 3° implorer le pardon de nos péchés et 4° lui demander ses grâces » (N°461 Catéchisme du Diocèse et de la Province de Paris 1968)

« Le devoir de rendre à Dieu un culte authentique concerne l’homme individuellement et socialement » (article 2105 du Catéchisme de l’Eglise Catholique sur la doctrine du règne social de Notre Seigneur Jésus Christ)

L’homme est âme et corps, l’ordre surnaturel prime l’ordre naturel car le but de notre vie sur terre est de sauver notre âme. Notre fin surnaturelle est plus importante que notre santé physique. Nous ne demandons pas à nos politiciens athées de le croire, nous demandons à nos évêques de nous l’enseigner et de le dire aux autorités civiles.

Comment se fait-il qu’un catholique de base soit obligé de rappeler ces évidences ? L’Eglise doit s’efforcer de sauver les âmes avant de s’engager à suivre scrupuleusement les règles sanitaires. Nous comprenons que l’Eglise s’emploie bien évidemment à respecter des réglementations techniques mais elle ne doit pas oublier « Dieu premier servi » (Sainte Jeanne d’Arc).

Il ne s’agit donc pas « de petit business » mais de salut.

Devant l’ampleur de la crise et l’affaissement de la place de l’Eglise dans notre société française, nous pensons aux erreurs passées où notre hiérarchie a cru habile de se taire. Nous en payons durement le prix aujourd’hui car il y a un lien entre les abandons d’hier et les persécutions d’aujourd’hui. La loi Veil sur la dépénalisation de l’avortement de 1975 ne serait pas passée si la hiérarchie catholique s’y était opposée comme l’a dit Simone Veil[3]. Demain, si nous voulons nous redresser, il faudra accepter de reconnaître les fautes commises. Il sera aussi nécessaire d’unir les forces catholiques en France qui peuvent avoir un poids considérable dans notre pays si elles sont bien dirigées, si elles sont unies et si elles s’engagent. La jeunesse catholique a montré récemment qu’elle avait ce courage dans les manifestations pour la messe. Ces catholiques ont besoin de chefs ayant la force de caractère, le courage physique et intellectuel pour résister à un ordre totalitaire matérialiste. De grandes figures peuvent les inspirer comme les cardinaux Mindszenty, Wyszyński, martyrs du communisme, Saint Thomas Becket ou Saint Thomas More. Nous avons un pays à reconquérir, nous aurons besoin de foi, de force et de sainteté.

Quelques mots enfin sur Notre-Dame de Chrétienté qui a connu une année difficile comme vous tous. La dernière Assemblée Générale, « confinée comme il se doit et dans le respect des gestes… », a montré une nouvelle fois la formidable motivation, l’engagement de tous ses membres. Je remercie tous ceux qui se sont dévoués cette année pour que le pèlerinage ait lieu sous des formats nouveaux qui auront réuni plus de 10 000 pèlerins.

Je compte sur vous tous en cette nouvelle année pour organiser un beau et grand pèlerinage de chrétienté avec comme thème « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie ». Suivez notre site pour la préparation d’un pèlerinage exceptionnel si Dieu le veut.

Enfin, je demande vos prières pour trois pèlerins très proches de Notre-Dame de chrétienté :

Hervé Pinoteau, historien, royaliste, pèlerin de Chartres de toujours, rappelé à Dieu le 24 novembre. Prions pour ce combattant vigoureux, courageux et valeureux dans des temps difficiles. Prions également pour son épouse, Herrade, décédée quelques jours après son mari et qui l’a soutenu toute sa vie. Prions pour toute sa famille très engagée dans Notre-Dame de chrétienté.

Notre ami, Daniel Hamiche, est décédé le 29 novembre. Il était fidèle du pèlerinage attirant la sympathie par sa grande gentillesse et sa constante bonne humeur. Il ne manquait jamais d’accueillir les chapitres à Chartres et nous ne l’oublierons pas. Homme de conviction et de foi, prions pour le repos de son âme.

Je vous souhaite à tous un joyeux et saint Noël, en espérant que pourrez le passer avec vos proches, en famille, dans la paix du Bon Dieu devant la crèche.

Notre-Dame de Paris, veillez sur nous

Notre-Dame de Chartres, veillez sur nous

Notre-Dame de la Sainte Espérance, convertissez-nous

 

Jean de Tauriers - Président

 


[1]Jean-Marie Guénois est un vaticaniste et journaliste français spécialisé dans les questions religieuses internationales, rédacteur en chef pour le quotidien Figaro.

[2] Article de Yann Raison du Cleuziou dans la Croix du 25/11/2020 : « Le mépris affiché pour les ultimes pratiquants est suicidaire ». Yann Raison du Cleuziou, sociologue à l’Institut de recherche Montesquieu à l’Université de Bordeaux est l’auteur de l’ouvrage « Une contre-révolution catholique. Aux origines de La Manif pour tous », Seuil, 2019

[3] « Madame Veil aurait ainsi elle-même déclaré que si les médecins, les évêques et les prêtres avaient défilé en tête d’une manifestation nationale, le vote n’aurait pas été le même » par Docteur Patrick de Saint Louvent le 28 mars 2019 dans Tribune libre, site L’Homme Nouveau

samedi 05 décembre 2020

In memoriam Daniel Hamiche

Voici si longtemps que nous travaillions ensemble sur mille sujets – pas tous très sérieux – que j’ai encore du mal à réaliser que Daniel Hamiche nous a quittés. C’était mon plus vieux complice, dont je fus le collaborateur pendant des années à « Légitimiste » et Communication & Tradition, et qui devint le mien par un de ces détours dont la Providence a le secret dans la nébuleuse de blogues où nous sévissons (où nous exerçons notre capacité de nuisance selon l’expression qu’il affectionnait), notamment pour Riposte catholique et l’Observatoire de la christianophobie – mais, beaucoup plus qu’un collaborateur, il était le vieux sage capable de m’encourager à foncer ou de me conseiller la prudence et nous n’avions pas besoin de palabrer longtemps pour savoir ce que nous devions faire pour accomplir notre devoir de journalistes catholiques et (donc) contre-révolutionnaires.

Je l’ai rencontré en 1993, dans le contexte du bicentenaire de la Terreur – j’étais déjà médiocrement jacobin. Mais c’est surtout quand il lança Communication & Tradition vers 1995 que j’ai commencé à fréquenter assidûment sa merveilleuse boutique de la rue Didot – et la « Mangeoire », bistrot mitoyen qui nous servait d’annexe.

Nous avons été ensemble sur tant de combats que je ne saurais les évoquer tous : pour la messe, pour la défense des enfants à naître, pour les chrétiens persécutés, pour le roi – et toujours finalement, pour le dire d’un mot qui les résumait tous dans son esprit, pour le Christ-Roi. La manchette de notre cher « Légitimiste » – que je l’avais poussé, avec une inconscience qui m’effraie quand j’y repense, mais que je ne regrette pas le moins du monde, à transformer en hebdomadaire – était d’ailleurs tirée de la post-communion de la solennité du Christ-Roi : « Sub Christi Regis vexillis militare gloriamur ». Lui qui n’était pas latiniste était ravi du jeu de mots qu’il y lisait en tordant à peine le texte : non pas seulement nous sommes fiers de combattre sous les étendards du Christ Roi, mais aussi nous sommes fiers de combattre avec le roi sous les étendards du Christ.

Daniel avait découvert le combat politique à l’extrême gauche – là où le « non serviam » luciférien est le plus monstrueusement conséquent. Quand il revint à la foi de son baptême, il ne l’envisagea plus jamais autrement que comme un combat pour que le Règne du Christ advienne dans son âme, mais aussi sur la nation et sur l’humanité tout entière. Son amour de la messe traditionnelle tenait d’abord à cet amour de la Royauté du Christ : toute la messe traditionnelle est orientée (c’est bien le cas de le dire) vers l’adoration du Créateur, à qui le Christ rend par les mains du prêtre, admirablement effacé et pour ainsi dire invisible, le sacrifice parfait et digne de Lui.

Mais Daniel n’était pas seulement un valeureux combattant de la foi catholique, si piétinée et méprisée dans notre monde, il était aussi un homme de fidélité au plan tout simplement naturel. Quelle fête il faisait à ses amis qui faisaient escale rue Didot ou, plus tard, à « L’Homme nouveau » (qui l’avait très gentiment accueilli après le retentissant effondrement de notre toute petite maison d’édition, achevée par le grand combat pour la « Passion » de Mel Gibson) ou dans tous les « rades » que nous avons écumés autour de Montparnasse (le plus souvent tenus par des Coptes ou d’autres chrétiens d’Orient pour joindre l’utile à l’agréable : le soutien à des frères persécutés et une bonne bouteille de « rouge bien frais ») !

Moi qui étais alors un gamin dans la Légitimité et qui n’avais connu que de loin la grande époque du millénaire capétien et que l’impressionnante ascension du prince Alphonse, je fis connaissance avec Daniel, grâce à Daniel, de bon nombre de fidèles. Comment ne pas évoquer ici le cher Pinoteau, la mémoire du légitimisme contemporain, le chancelier à la plume acérée, qui nous a quittés une semaine avant Daniel (et une semaine avant son épouse, qui nous semblait pourtant indestructible) ? Comment ne pas évoquer le cher abbé Chanut ? Et tant d’autres que je ne nommerai pas mais qui sont restés dans les prières quotidiennes de Daniel jusqu’à la fin.

Cette fidélité allait de pair avec une générosité fascinante. J’ai toujours connu Daniel fauché. Mais aussi toujours prêt à offrir l’obole de la veuve. Il fallait le voir arriver rue Didot chargé comme un baudet de cadeaux pour les enfants d’amis qu’il allait voir le samedi suivant. Que de fois ai-je été témoin (ou bénéficiaire !) de cette générosité touchante. Que de fois surtout ai-je vu des étoiles dans ses yeux quand il offrait une babiole à un enfant. Bien que n’ayant pas lui-même d’enfant (même si, à sa grande hilarité, un journaliste de la große presse comme il disait, l’avait un jour affublé de 5 petits-enfants), il était très proche des plus petits – qui le lui rendaient bien. Comme sainte Thérèse qu’il vénérait tant, il cultivait avec amour l’esprit d’enfance.

Enfin, on ne peut pas parler de Daniel sans parler de l’excellent compagnon qu’il était. Je ne sais pas combien d’heures nous avons pu passer à discuter en buvant tantôt une « moussette », tantôt un « rouge bien frais », selon ses principes extrêmement précis. Mais il avait le talent de rire dans l’adversité, de jeter un calembour absurde capable de mettre les rieurs de son côté. Ou, tout aussi facilement, de se hausser jusqu’aux plus fines discussions de théologie ou d’exégèse. Et souvent les deux à la fois. Je me souviens d’une émission sur Dieu sait quelle chaîne de télévision aux ordres, pendant sa campagne homérique pour la « Passion » de Gibson, où l’un de ces insupportables « experts » de salon avait commencé à l’attaquer son prétendu intégrisme, en pontifiant du haut de ses titres universitaires. Et Daniel, avec un bon sourire, avec sa voix chaleureuse, lui avait répondu en plagiant Pascal : Mais, cher Monsieur, je vous parle du Dieu de Jésus-Christ, pas du Dieu des philosophes et des savants. Le pauvre « expert » était retourné à la niche, un peu penaud !

L’Eglise militante, la France, le roi légitime, ont perdu un fidèle serviteur et nous tous, ses amis, nous avons la douleur de perdre un frère d’armes, mais j’ai bon espoir qu’avec la grâce de Dieu, le paradis se soit enrichi d’un nouveau saint aussi enjoué que militant – et que l’esprit français, fait de familiarité et de respect, de gaieté et de sérieux, soit à l’honneur au banquet céleste !

A Dieu, vieux camarade, réservez-nous une place !

 

Guillaume de Thieulloy