SPIRITUEL ET TEMPOREL : Un article remarquable de Jacques Trémolet de Villers

dans "Présent" - n° 7115. Retour sur la béatification du Père Jerzy Popieluszko

Nous présentons de larges extraits de ce remarquable article.
Merci à Jacques Trémolet et à "Présent"

« Messe pour la patrie et ceux qui souffrent pour elle », c’est à l’instauration de ce rite mensuel, dans l’un des temps les plus sombres de l’histoire de son pays que le bienheureux Père Jerzy Popieluszko a dû son martyre et sa béatification (…) Il faut revenir sur l’exemple de ce bienheureux.

La Pologne, qui a connu l’écrasement sous les formes, d’abord conjointes, puis ennemies, des deux totalitarismes du XXe siècle, connaît aujourd’hui une autre forme, plus insidieuse, de persécution, celle qui vient de chez nous, que Benoît XVI appelle la dictature du relativisme, et qui est aussi, en même temps, dans l’Eglise, le règne du fidéisme avec, en corollaire, la mise à l’écart, au rebut, de l’ordre temporel, au premier rang duquel se trouvent les patries.

Un faux et pervers évangélisme, nourrissant la mauvaise conscience au jeu d’interrogations soi-disant pieuses (« notre royaume est-il de ce monde ? ») a réussi à détacher, séparer les chrétiens de leur amour pour « les humbles honneurs des maisons paternelles », à leur faire haïr comme tentations démoniaques, leur attachement à la terre, à l’histoire, à l’honneur et à la gloire de leur patrie terrestre, à les convaincre, au fond d’eux-mêmes, que la défaite temporelle et l’humiliation de leur mère-patrie était le passage obligé de leur conversion.

L’histoire de la France n’est pas celle de la Pologne. La mal français n’a été ni la domination de l’idéologie nazie ni la domination de l’idéologie communiste. Elles nous ont effleurés, marqués, frappés, mais elles n’ont pas étendu leur pouvoir comme ce fut le cas en Pologne. Notre mal est autre. Il est plus diffus, plus ancien et plus essentiel. Il est l’exclusion du monde temporel, de la vie sociale, professionnelle, économique et politique, de l’univers de la foi. La rupture institutionnelle entre le temporel et le spirituel, le naturel et le surnaturel, la raison et la foi, la politique et la religion, la France et l’Eglise. L’articulation entre ces deux royaumes, qui est, selon Péguy, l’essence même du catholicisme, a été rompue, brisée, scientifiquement écartelée, le parti dominant du pouvoir spirituel y trouvant, non pas une occasion de souffrance et de martyre mais une véritable jubilation, à l’idée d’être, enfin ! libéré du compagnonnage fatigant d’un pouvoir temporel chrétien, celui de nos rois, un peu trop présent.

En France, aujourd’hui, ce n’est pas le pouvoir politique qui s’opposerait à ce que soit célébrée, dans nos paroisses, chaque mois, une messe du dimanche soir, pour la patrie. C’est le parti dominant du pouvoir spirituel qui fait pire que s’y opposer… qui n’y pense même pas, qui ne voit pas pourquoi cela serait… sauf à y voir une préparation sournoise à quelque campagne électorale, ou une contestation particulièrement inopportune, des « valeurs républicaines » au premier rang desquelles trône notre laïcité apaisée.

Nous sommes devenus, nous les catholiques français, les champions toutes catégories de l’autocensure, en matière nationale. Disons-le clairement, simplement et fortement ; cette émasculation du temporel dans l’Eglise, non seulement n’est pas catholique, mais elle est le contraire du mystère de l’Eglise. Elle est la première cause de l’effroyable histoire du XXe siècle et de ses totalitarismes. Oui, nous autres, chrétiens catholiques, nous devons être au nom de notre foi, au nom de notre titre de baptisés, de fils de l’Eglise, de disciples de Jésus Christ, d’amoureux véritables de son seul et véritable Evangile, de vrais et fidèles serviteurs de la France, notre patrie terrestre.

« Accepte Karol ! Accepte… pour la Pologne ! », aurait dit le cardinal Wychinski, primat de Pologne à celui qui s’apprêtait à recueillir le suffrage des cardinaux pour devenir le Pape de toute l’Eglise. Et, au terme de son existence, le Pape le plus pèlerin et le plus international de l’histoire de l’Eglise livre dans son testament Mémoire et identité sa dernière méditation qui est une plongée dans ses racines polonaises et la vocation de sa patrie. « Je suis le fils d’une nation… »

Politiquement, économiquement, culturellement, naturellement et surnaturellement, il n’y a pas d’autre voie de salut pour la France, aujourd’hui, que son acceptation, en toute connaissance, de sa vocation chrétienne. Dans le silence ou la trahison des clercs, pendant la première moitié du XXe siècle, c’est un agnostique – ou connu comme tel – Charles Maurras, qui au seul nom de l’intérêt national, a conduit ce combat. Vue d’aujourd’hui, la leçon semble assez claire. Ce n’est pas la première fois, dans l’histoire, que le Maître de la Maison remplace ses domestiques négligents ou infidèles par le dévouement de ceux qu’il trouve aux carrefours des chemins.

Pour employer le langage qui fut celui des dominicains à la mode d’il y a quarante ans, ça devrait quand même nous interpeller quelque part ! Ce repli indécent sur le soi-disant religieux au nom de la « primauté du spirituel », comme disait Maritain, cet assèchement de la sève par mépris du terreau. De là est venu tout l’échec de ce qu’on appelle « la pastorale moderne ».

Parce que ce n’est pas comme ça que ça commence, une vraie pastorale. C’est par l’amour que ça commence. Les Français ne souffrent pas de faim, ni de froid, ni de chaud, ni de précarité, encore moins de racisme ou de discrimination. Les Français souffrent de ne plus savoir qui ils sont, d’où ils viennent et où ils vont. Même, et surtout quand ils ne le savent pas, les Français ont mal à la France, et, du coup, ils ont mal à l’Eglise parce que la fille aînée est devenue, comme dit le Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine, « la fille athée » de l’Eglise ! C’est là qu’est le mal. C’est là qu’il faut redonner l’espérance. Nous autres laïcs, nous continuerons à faire notre travail, comme nos aînés nous l’ont enseigné, en écrivant, en parlant, en témoignant, en luttant, en essayant, encore et toujours, par notre défense de ce qui reste du temporel chrétien, de « lier la terre au Ciel ».

Jacques Trémolet de Villers