Editorial de Jean Madiran dans "Présent" du 10 décembre 2010

Retour sur la citation de Benoît XVI à propos des « capitaux anonymes qui réduisent l’homme en esclavage »

Le capital anonyme mis en accusation


C’est véritablement un acte d’accusation, mais il est passé inaperçu, contre les « capitaux anonymes qui réduisent l’homme en esclavage ». Benoît XVI les a vigoureusement désignés en tête des « grandes puissances » les plus nuisibles aujourd’hui. Ce n’était point dans sa bouche une hyperbole emphatique mais une claire précision, au cours de la méditation à voix haute qu’il a faite à l’office de tierce, lors de l’ouverture de la première Assemblée spéciale du Synode pour le Moyen-Orient, le 11 octobre 2010.

Dans Présent du 27 novembre, j’avais noté au passage l’expression de « capital apatride qui réduit l’homme en esclavage », je l’avais trouvée citée par Philippe Maxence dans L’Homme nouveau, mais il me manquait le contexte immédiat, qui souligne et développe la gravité de l’accusation, comme on va le voir : il s’agit bien d’un pouvoir caché, un pouvoir destructeur, régnant par la mise en esclavage et par les massacres. Ce contexte immédiat vient enfin de paraître dans le numéro 2456 (page 973) de La Documentation catholique, le voici :

« Pensons aux grandes puissances d’aujourd’hui, pensons aux capitaux anonymes qui réduisent l’homme en esclavage, qui ne sont plus un bien de l’homme, mais constituent un pouvoir anonyme que des hommes servent, par lequel les hommes sont tourmentés et même massacrés. Il s’agit d’un pouvoir destructeur qui menace le monde. »

Que le texte pontifical exactement traduit de l’italien soit « le capital apatride » ou « les capitaux anonymes » importe peu : anonyme parce qu’apatride, on reconnaît là le portrait du mondialisme. Il est destructeur des nations, destructeur des hiérarchies et des discriminations légitimes, il est fauteur d’anarchie morale et sociale pour rester le seul maître. C’est lui le pouvoir mondial qui, depuis la fin du nazisme en 1945 et la fin du communisme soviétique en 1989, provoque ou suspend la plupart des guerres dans le monde. Dans les grandes démocraties occidentales, les riches spéculateurs qui deviennent de plus en plus riches et les pauvres classes moyennes qui deviennent de plus en plus pauvres ne se rendent pas compte de leur esclavage, ils n’aperçoivent pas l’esclavagiste anonyme.

Péguy dénonçait le règne de l’argent. L’école contre-révolutionnaire discernait que la démocratie moderne ne pourrait survivre sans l’ossature secrète d’une oligarchie ploutocratique. L’idéologie de la laïcité républicaine a détourné contre l’ordre moral de l’Eglise la colère des libertés qui se sentaient contraintes, mais c’est par le capitalisme apatride qu’anonymement, et sans le savoir, elles l’étaient. Et aujourd’hui de plus en plus.

Nouveau venu, l’intense expansionnisme islamique est bien là, puissant et conquérant. Mais ce n’est pas une nouveauté, c’est une réapparition. Car c’est « une constante de l’histoire », selon A. Chauprade : « le choc des civilisations chrétiennes et islamiques ». C’est une constante de l’histoire ? Je dirai plutôt : ce fut. Et à chaque fois, à chaque choc, ce fut finalement réglé par les armes.

Ce qui reste de civilisation chrétienne ne survit qu’en situation d’esclavage dans les principales nations européennes, elles sont explicitement et activement apostates. En France, le président et le vice-président de la conférence épiscopale ont choisi d’être des « responsables de culte » au milieu des divers responsables des autres cultes, ils font désormais partie de la « Confédération des responsables de culte en France », en compagnie des responsables du culte (sic) bouddhiste, du culte musulman, du culte juif, du culte protestant, du culte orthodoxe. Ils ont tous signé un communiqué proclamant qu‘« ils adhéraient sans réserve au principe de laïcité qui est un des fondements de notre République ». Explicitement précisée donc, la « laïcité » à laquelle ils adhèrent sans réserve est bien celle « de notre République » et non pas celle de Pie XII. (Pour information, les deux « responsables » du « culte » catholique étaient le président André Vingt-Trois et le vice-président Laurent Ulrich.)

Qu’en adviendra-t-il ? L’histoire n’est jamais faite d’avance. Du moins il n’est jamais mauvais d’essayer de ne pas se tromper sur la situation présente et, comme disait Georges Laffly, sur l’état des lieux.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 7239 du vendredi 10 décembre 2010