Communisme : le grand absent de Vatican II

un article de Jean Madiran dans "Présent" en date du 8 janvier

Le communisme fut le grand absent de Vatican II

Jean Madiran revient sur ce sujet dans son éditorial du 8 janvier

Le grand ouvrage de Robert de Mattei sur l’histoire « mai scritta » de Vatican II rassemble la documentation déjà connue mais y ajoute documents et témoignages inédits et d’autres encore, semi-inédits, passés inaperçus, y compris des conversations privées et des anecdotes significatives.
En 1959, Mgr Marcel Lefebvre annonce à Jean Ousset « une grande nouvelle » :

Mgr Lefebvre : Il va y avoir un concile !
Jean Ousset : Pardonnez-moi, Monseigneur, de ne pas partager votre enthousiasme, ce n’est pas une bonne nouvelle.
Mgr Lefebvre : Comment ça ? Mon cher Ousset, ce sera le concile de « La Cité catholique » !
Jean Ousset : Monseigneur, quand le royaume vacille de toutes parts, ce n’est pas le moment de convoquer des Etats généraux…

(En 1959, il était encore permis d’espérer que tout le public pouvait comprendre cette allusion au déclenchement de la révolution française en 1789).

De fait, Pie XII avait eu la même réaction. Il avait longuement médité l’éventualité de prendre la suite du concile Vatican I interrompu par l’invasion de Rome en 1871. Finalement il avait jugé imprudent de réunir un concile en un temps où il était si difficile de contenir le tumulte révolutionnaire d’un clergé dont une grande part était déjà rebelle dans son cœur. Rebelle contre la tradition, la liturgie, la morale, la discipline catholiques.
Le scandale de Vatican II le plus visible est celui qui a entaché son objet principal : alors qu’il déclarait prendre acte des « signes du temps » et s’adapter au monde contemporain, il passait sous silence une réalité contemporaine aussi considérable que le communisme soviétique.
Celui-ci disposait alors d’une influence politique mondiale, et il tenait sous une domination tyrannique la moitié des anciennes nations chrétiennes d’Europe. La majorité des Pères conciliaires consentirent à une absence aussi anormale dans les constitutions et déclarations du Concile, ils consentirent même au fait extraordinaire qu’il n’y ait aucun débat à ce sujet.
Pas moins de 435 Pères conciliaires avaient régulièrement déposé la demande que le problème communiste soit mentionné dans la constitution Gaudium et spes. Robert de Mattei raconte en détail (p. 422-426 et 492-504) par quelles manœuvres frauduleuses la demande des 435 Pères fut dissimulée et enterrée. L’ensemble des Pères conciliaires n’eurent même pas connaissance de son existence. Le caractère frauduleux de ces manœuvres fut officiellement reconnu après coup, à la suite d’une enquête intérieure dont toutefois le résultat fut conservé à peu près secret. Robert de Mattei montre que tout cela résultait d’une volonté farouche, chez Paul VI, de compromis politique avec le communisme soviétique (et avec le parti communiste italien).
Quelle démission mentale ! et morale !
Pour notre part, nous l’avions résumée en ces termes : « Durant tout le pontificat de Paul VI, l’autorité morale qui dit au monde la vérité sur le communisme, ce n’est pas Rome, c’est Soljenitsyne. »
On savait (en France depuis 1963) tout l’essentiel de l’accord secret passé par Jean XXIII avec Moscou en 1962, s’engageant à ce que le Concile ne dise rien contre le communisme. L’accord fut négocié à Metz entre le cardinal Tisserand, envoyé personnel du Pape, et Mgr Nicodème, envoyé du Kremlin (cf. L’Accord de Metz ou pourquoi notre Mère fut muette). Robert de Mattei en apporte une confirmation irrécusable. Il publie (p. 501 et p. 504) l’aveu écrit de la main de Paul VI. Dans une note à Mgr Felici datée du 15 novembre 1965, le Pape rappelait que parmi les « impegni del Concilio » figurait celui « di non parlare di comunism ». Et il ajoutait entre parenthèses la simple mention : « 1962 », évidente référence à l’accord de Metz.
On peut après cela débattre des degrés variables d’autorité juridique qu’il convient de reconnaître aux différents documents conciliaires. Mais en ce qui concerne l’autorité morale d’un tel concile, qu’en surnage-t-il ?

JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 7260 du samedi 8 janvier 2011