C'est quoi, être Français ?

L'article de Jean Madiran dans "Présent" du jeudi 21 avril

La chronique de Jean Madiran dans "Présent"

"Rama Yade et la France"


Madame Rama Yade est devenue notre ambassadrice auprès de l’Unesco. Avant d’entrer ainsi dans la diplomatie, qui ne paraissait guère sa qualité principale, elle était une personnalité politique assez contestée. Quoi qu’il en soit, je lui découvre une rhétorique à la fois sobre et nette, éclairant en une phrase et demie le débat républicain, récemment avorté, sur notre identité nationale : « Notre pays, a-t-elle déclaré à l’autre quotidien parisien du soir, s’est fondé depuis deux siècles sur une tradition républicaine qui veut qu’on soit français par la volonté et non par rapport à ses origines ou à sa religion. Si on touche à ça, on touche au nerf du pays. »
Français par sa volonté et non par rapport à ses origines ! Telle est bien, en effet, la violence que fait à « notre pays » une tradition républicaine qui n’est pas forcément celle de la Ve République.

Son fondateur, on s’en souvient, avait dit que nous sommes avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne. Il entendait, semble-t-il, parler de la France, mais c’était raté, il ne définissait pas « notre pays », sa description vaut aussi bien pour l’Italie, l’Espagne, le Portugal (etc.). Si j’appelle ainsi De Gaulle à la barre des témoins, ce n’est certes point par gaullisme, c’est pour montrer à l’ambassadrice Rama Yade qu’il existe en Ve République une autre tradition « fondatrice ».

Mais la tradition républicaine invoquée par Rama Yade existe bien elle aussi. Depuis deux siècles en effet, on s’est mis à penser, surtout dans les classes dirigeantes, qu’on est français « par la volonté ». C’est une pensée téméraire et utopique. Sa conséquence logique est que n’importe qui, venant de n’importe où, et en nombre illimité, peut s’il le veut, et sans autre condition que l’avoir voulu, venir dans « notre pays » et y déclarer (en n’importe quelle langue) : « Je suis français, je me sens chez moi en France. » A ce compte les Français de souche, c’est-à-dire par leur origine, ne seront pas seulement traités de « sous-chiens », ils seront déclarés non-français.

Cette tradition d’être « français par la volonté », ce n’est pas elle qui a fondé la France, fille aînée de l’Eglise depuis sa naissance et malgré l’actuelle apostasie officielle de ses gouvernants et de ses « responsables du culte en France » (RCF). La tradition républicaine de Rama Yade est venue, comme une maladie contagieuse de l’intelligence, s’imposer à une nation déjà fondée depuis dix siècles, et les traces de ces dix siècles ne sont pas toutes effacées dans le paysage et dans les cœurs. Le moindre pèlerinage à Chartres, la célébration, devenue trop rare mais toujours vivante, de Notre Dame patronne de la France au titre de son Assomption, la fête nationale de Jeanne d’Arc le second dimanche de mai, nous rappellent que si la France est aujourd’hui serve d’un européo-mondialisme apatride, c’est par la démission de ses autorités politiques et religieuses.

La philosophie volontariste de notre ambassadrice auprès de l’Unesco est un peu courte. Elle confond « société » et « association ». On naît dans une société, et même par une société, sans l’avoir voulu, on est membre d’une association parce qu’on l’a voulu. La famille, la nation sont des sociétés. L’association, en une République, ce sont principalement le parti, le syndicat, le régime républicain, autant d’expressions supposées souveraines de la supposée « volonté générale » de Jean-Jacques Rousseau. Il en va autrement dans l’ordre naturel : « la nature ne crée pas la société à partir des individus, elle crée les individus à partir de la société ».

Certes, la nationalité française « s’hérite ou se mérite ». Ceux qui « veulent » devenir français le peuvent, mais il ne leur suffit pas de le vouloir, il faut en outre qu’ils soient acceptés. Sinon, il n’y aurait plus à la fin que les immigrés à être véritablement français. Avec la philosophie de Rama Yade, nous y allons, nous y sommes presque parvenus, car selon elle, l’identité de la France serait de ne plus avoir d’identité nationale.

JEAN MADIRAN, Article extrait du n° 7333 du jeudi 21 avril 2011