Homélie de M. l’abbé John Berg en la cathédrale Notre-Dame de Chartres

le lundi de Pentecôte 2012

Homélie de la messe du lundi de Pentecôte 2012 prononcée par M. l'abbé John Berg, Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pierre.


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Abbé Berg
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Chers Pèlerins de Notre Dame,

Il y a presque vingt ans, je marchais pour la première fois vers Chartres. Ce fut une grande grâce. J’étais pèlerin parmi les pèlerins. J’appartenais à un groupe de séminaristes venant de notre séminaire de Wigratzbad en Allemagne. Nous avons usé nos semelles comme tant d’autres, priant avec nos pieds, et nous sommes arrivés au bout de trois jours, fatigués mais heureux, auprès de Notre Dame de Chartres.

Quelle joie ce fut de mettre mes pas dans ceux de saint Louis et de Charles Péguy, et de cheminer à leur suite, de « Notre-Dame des Villes » à « Notre-Dame des Champs » !

Certaines choses m’ont alors plus particulièrement frappé : d’abord, je me suis dit que le prédicateur devrait toujours – s’il le peut – marcher lui-même de Paris à Chartres et tenir compte dans son sermon de la fatigue des pèlerins. Aussi, je m’efforcerai d’être bref.

Surtout, je fus impressionné et édifié par les milliers de familles, de jeunes, d’enfants, marchant, chantant et priant ensemble sous le soleil brûlant comme sous la pluie battante pendant trois jours pour arriver à bon port, ici à Chartres.

Comme il est enthousiasmant de participer à une telle aventure spirituelle, en plein siècle matérialiste ! Pour l’étranger que j’étais, cela formait en moi une certaine image de la France. Trois jours chaque année sur la route de Chartres formèrent en moi l’image exaltante d’un pays « catholique et français toujours », assumant ses origines, baptisé avec Clovis, et surtout, reposant toujours sur la famille comme sur son roc.

Mais les années passant, tout en gardant cette belle image, j’ai constaté combien votre pays s’en éloignait chaque jour davantage. Car en France, comme ailleurs dans le monde, la société se détourne toujours plus de la loi divine et naturelle, et le fondement de la société – la famille – est toujours plus ébranlé. En France, la dialectique politique est vive et les analyses parfois très idéologiques. Pourtant le plus utile à la société est de développer une vue catholique des choses, et c’est cela qu’il nous appartient de promouvoir.

Le poète américain T. S. Eliot a écrit ces lignes prophétiques : « Le monde tente avec obstination l’expérience de former une mentalité civilisée mais non chrétienne. Cette expérience échouera ; mais nous devons être très patients en attendant sa faillite, en veillant à racheter le temps : de sorte que la foi soit préservée vivante à travers les âges sombres qui sont devant nous ; afin qu’un jour renaisse et soit reconstruite la civilisation, et que le monde soit ainsi sauvé du suicide ».

Chers amis pèlerins, notre foi est l’antidote à cette culture suicidaire. C’est le remède dont notre monde a besoin. Nous sommes aux côtés du Pape pour réagir contre la dérive actuelle vers le relativisme éthique, destructeur de la vie humaine et de la famille.

Le Saint-Père a reçu la semaine dernière les cardinaux et il les a invités à « entrer en lutte contre le mal » car « le mal veut dominer le monde ». « Nous voyons, a-t-il constaté, que le mal agit de diverses façons, avec différentes formes de violence, mais également sous l’apparence du bien en détruisant ainsi les fondations morales de la société ».

Le mal avance souvent masqué. A chaque fois, il s’abrite derrière un soi-disant bienfait. Par exemple, au nom de l’égalité, on promeut la théorie du genre, qui nie la différence objective des sexes, ou encore, on revendique le mariage homosexuel et l’adoption d’enfants par les tenants de ce genre d’union. Au nom de la liberté de la femme, on proclame le droit à l’avortement. Au nom du progrès de la médecine, on se livre à des expérimentations sur des embryons qui sont traités comme de simples matériaux que l’on peut manipuler et détruire alors que ce sont des êtres humains. Au nom de la lutte contre les discriminations, on utilise l’école comme l’arme qui doit forger des consciences nouvelles, formatées par la pensée « politiquement correcte », et cela se fait contre la responsabilité éducative des parents.

Nous le voyons, tous ces abus sont autant d’atteintes à la famille. Or, toucher à la famille, c’est déstabiliser la société tout entière, puisque la famille en est la cellule de base. Toucher à la famille est aussi une grave menace pour l’Eglise, puisque la famille en est le premier noyau ; c’est dans la famille que se transmet la foi et que sont communiqués les fondamentaux de l’éducation chrétienne. La famille est le premier vecteur de l’élan missionnaire de l’Eglise. Elle est un lieu d’évangélisation, et l’exemple de la vie des familles chrétiennes, le rayonnement de la charité qui émane de ces foyers, peuvent attirer vers la foi et vers Dieu les âmes en quête de sens et de vérité.

Le témoignage que vous donnez, chers amis pèlerins, est irremplaçable, et nous autres, comme prêtres, sommes admiratifs de votre générosité ! Votre témoignage peut devenir la plus puissante des formes de prédication, pourvu que la vie de vos familles traduise en actes ce que vous professez. La chrétienté vit dans vos familles, qui en sont le berceau, et qui en préparent la renaissance. Dans notre monde sans Dieu, vos familles, comme aussi les œuvres dans lesquelles vous êtes engagés, sont autant de bastions qui sont des avant-postes de reconquête.

Pour reprendre les paroles de Benoît XVI, vous communiez « aux joies et aux douleurs » de l’Eglise, et vous participez à sa lutte, qui est une lutte sans merci entre deux amours : amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, et amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même. « Nous sommes dans cette lutte, poursuit Benoît XVI, et dans cette lutte il est très important d’avoir des amis ». Car chacun d’entre nous est trop faible pour soutenir seul ce combat : nous appartenons à cette chaîne de familles et d’âmes, liées par une forte amitié surnaturelle au service du Vrai.

Nous avançons ensemble, embarqués que nous sommes sur le navire de l’Eglise dans les tempêtes du siècle. Selon le mot de Charles Péguy, « il faut se sauver ensemble ». Nous sommes membres les uns des autres, le Christ étant notre tête et sa vie se diffusant en nous. Comme le dit Benoît XVI, « nous sommes dans l’équipe du Seigneur, donc nous sommes dans l’équipe victorieuse ».

Chers pèlerins, face à tout ce qui menace la famille dans notre temps, il serait facile de se laisser aller au désespoir. Mais courage ! « Le Christ a vaincu le monde ». Et que ce soit dans les nuits obscures ou dans les jours de joie, nous marchons avec le Christ et nous comprenons avec lui que « même les nuits sont nécessaires et bonnes », car elles sont là pour nous purifier.

N’ayons pas peur. Nous allons retourner, après ce pèlerinage, à nos activités habituelles. Nous avons fait pendant trois jours provision de forces. Il s’agit à présent de faire fructifier les grâces reçues sur la route de Chartres. Il s’agit pour nos familles d’être missionnaires, en demeurant toujours à l’avant-poste de l’Eglise militante qui porte en elle la Vérité. Soyons de ces amis sur lesquels l’Eglise peut compter dans les défis spirituels immenses qui sont devant elle. Vivons la Chrétienté comme une grande amitié au service du Vrai, du Bien et du Beau. Et que Notre-Dame nous accompagne toujours sur notre chemin.

Ainsi soit-il.