Notre rôle de laïcs catholiques

Rappelé avec l'enthousiasme de Jacques Trémolet

"La France infirme"

un article de Jacques Trémolet de Villers

dans "Présent" n° 7655 daté mercredi 1er août 2012

Décidément, il me semble que, de chapitre général de congrégation en conférence épiscopale, sans parler des commissions, on ne s’en sort pas de l’apathie qui envahit l’état ecclésiastique. Où est la force de Pierre, interpellant la foule au clair matin de la Pentecôte ? Elle est à Rome, dans la bouche et le cœur du Saint-Père… mais, en dehors de lui, quels méandres, quelles difficultés d’exécution !
Et pour ce qui est de la France, qui connaît quand même une situation particulièrement difficile, quelle mollesse ! Quelle mutitude, nouveau terme qu’on ajoutera à la bravitude ! La mutitude des chiens qui devraient aboyer, des pasteurs qui devraient crier !…
Rien ne sert de se lamenter. Nous y perdrions ce qui nous reste de foi et d’espérance. Voyons plutôt le « positif de notre être », comme disait Maurras.
L’homélie du Cardinal de Paris à la messe d’ordination des jeunes prêtres et diacres du diocèse de Paris est un modèle de ce qui devrait être dit, à chaque messe, sur les vocations sacerdotales et religieuses. On y sent un vrai souffle de l’angoisse du manque des prêtres et de l’action de grâce pour ceux qui ont répondu à l’appel.
Le propos, sur le plan temporel, est moins net ?
C’est possible. Mais, en dernière analyse, peu importe.
Car l’action temporelle, c’est à nous, laïcs, qu’elle revient. Notre vocation, si on peut parler ainsi, par un certain abus de langage, est là : dans le renouvellement des institutions sociales et politiques. Le Concile Vatican II l’a rappelé, de façon indiscutable, même si par analyse déviante, certains ont fait de cette promotion du laïcat une innovation dans l’ordre de l’Eglise, en prétendant faire « des laïcs engagés en fonction ecclésiale » le modèle du laïcat.
Or, la fonction des laïcs, c’est le renouvellement du temporel, et comme l’écrivait mon maître et ami Jean Ousset, l’organisation d’un pouvoir temporel chrétien du laïcat chrétien.
Avons-nous assez tourné autour de cette exigence ? Avons-nous assez erré pour savoir comment ? Ne nous plaignons pas. L’avènement, en fait, dans l’histoire, d’une réalité aussi décisive ne se fait pas en un demi-siècle, ni même peut-être en un siècle. Jean Ousset avait coutume de dire : nous essayons de mettre en pratique une partie oubliée du Concile de Trente. Pour s’atteler à ce genre d’action il faut avoir, en même temps que le sens du surnaturel, un sens aussi aigu de l’histoire. Mais je m’avise que c’est peut-être la même intuition.
Jean Ousset ne nous disait-il pas, lors de ses « cours de cadres » du jeudi, rue des Renaudes : « Faites des méditations historiques ! Vous verrez comme cela est surnaturel ! »
Chaque moment de l’histoire apporte sa grâce particulière. Le 10 mai 1981 nous avait permis de voir ce que nous signifiait « le fait nouveau du socialisme au pouvoir ». La Hollandie nous en donne une confirmation. Les autorités ecclésiastiques peuvent avoir, au regard de ces phénomènes, une « politique ecclésiastique » qui a ses propres ressorts et sa propre finalité. Nous espérons de toute notre âme qu’elle est seulement guidée, cette politique ecclésiastique, par le souci des âmes, et la sauvegarde de l’Eglise. Nos préoccupations sont autres. Nous sommes les hommes du temporel, du social, du politique. Notre souci, c’est l’avenir de nos familles, de nos enfants, nos petits-enfants, le patrimoine dont ils auront besoin. Patrimoine moral, intellectuel, spirituel, culturel, mais aussi matériel. La sécurité qui les entoure et la nation dont, par nous, ils sont les héritiers. Face à eux nous sommes comptables de cet héritage.
Et aucune raison extérieure, aucune excuse tirée de la trahison des clercs, du « malheur des temps », du système politique absurde… etc., ne nous dispenseront de ce compte à rendre. Car, précisément, nous avons été choisis « pour servir, aujourd’hui, en sa présence ». Pour servir aujourd’hui, et pas hier, ni demain, et donc, pour faire des conditions d’aujourd’hui, non un sujet de lamentation, de récrimination, ou de revendications, mais une base de départ, une des lois de l’action.
« Je suis entré en politique comme on entre en religion », écrivait il y a plus d’un siècle ce laïc, dit agnostique, un temps excommunié par l’Eglise, puis réintégré dans la communion, qui finit « dans une de ces églises de la contre-réforme qui ont vu mon baptême et verront mon enterrement », comme il l’écrivit en 1952, peu de jours avant son entrée dans la vie éternelle, à Emile Mâle, le grand historien des églises de France et des églises de Rome, en lui dédicaçant La Balance intérieure.
Ces mots résonnent, comme l’ouverture de l’ordre du jour d’un général commandant ses troupes. Ils disent la hauteur de la mission, et en même temps, l’honneur fait à ceux qui reçoivent cet ordre.
Nous hésitions à parler, en toute propriété du terme, de « vocation du laïcat ». Nous pouvons parler de « Mission politique des laïcs », et donner enfin ! à ces mots la plénitude de leur sens.
Oui, c’est une mission – mission divine et ecclésiale, quoi qu’en pensent certains ecclésiastiques – que de sauver, relever, faire renaître la nation dont nous sommes les fils. Mission de Jeanne d’Arc, qui attendit cinq siècles sa canonisation. Et encore celle-ci fut-elle seulement celle d’une « vierge chrétienne » sans qu’on insistât trop sur le fait que cette vierge chrétienne était chef de guerre, et homme politique.
A la porte du temple, à l’heure de la prière, un infirme se tenait, tendant la main vers les juifs riches qui marchaient faire leurs dévotions. La France se tient ainsi, paralysée, faisant la manche auprès des marchés financiers qui, de plus en plus, se font, à son égard, sévères et réticents.
Pierre et Jean montaient au Temple. Ils virent l’infirme et lui dirent « regarde-nous ». L’infirme – la France – les regarda, espérant quelque secours. Pierre lui dit : Je n’ai ni or ni argent, mais ce que j’ai, je te le donne. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ le Nazaréen lève-toi, et marche ! Et le saisissant par la main droite, qui n’est pas la gauche, Pierre le mit debout. Aussitôt ses pieds et ses chevilles devinrent fermes, et il marchait, et il bondissait, et il ne voulait plus les lâcher. Nous sommes les « Pierre et Jean » de la France infirme, paralysée et mendiante d’aujourd’hui, et nous n’avons besoin que de notre foi pour lui dire au nom de celui qui est son vrai Roi – Jésus Christ qui est vrai Roi de France – : Lève-toi et marche !