Au diable la tiédeur !

A propos du livre du Père Michel Marie Zanotti-Sorkine, curé à Marseille

Jacques Trémolet présente le livre du Père Michel Marie Zanotti-Sorkine


C’est un cri que lance le livre du Père Michel Marie Zanotti-Sorkine. Le titre, d’ailleurs, "Au diable la tiédeur", comme le sous-titre "Debout les prêtres et tous les passionnés du Christ !" sont des cris.
Cris d’amour pour le Christ, pour l’Eglise, pour la Messe, pour l’Evangile, pour l’Amour.
Mais par voie de conséquence, cri de colère contre ce qui enserre, entrave, étouffe, et, insensiblement, paralyse ce qui devrait être le déploiement de cet amour.
La tiédeur, c’est l’eau froide qui s’immisce dans le flot brûlant. Cette eau froide dans l’Eglise, c’est la manie des assemblées, des commissions et des sous-commissions, des réunions, des parlottes et des débats, sur tout, à propos de tout.
« Vain le temps offert à rebâtir la liturgie autour d’une table, à réécrire le missel, à chercher trois chants en deux heures, pour la messe du dimanche ! Il ne faut pas plus d’un quart d’heure pour régler ce qui l’est déjà. »
« … Si Jacqueline dit la messe et que le Père André fait le café, encore vingt ans de ces robinsonnades et les paroisses seront vides. D’ailleurs les fruits véreux sont déjà là. »
Mais l’auteur, qui s’est dédié ce livre-cri à lui-même, parce qu’au fond, c’est lui-même qu’il veut secouer – en quoi il commence comme il faut, par le commencement d’une charité bien ordonnée – ne propose pas, à son tour, une énième réforme de structure. Il propose, simplement, mais cette simplicité va jusqu’à la tragédie, que le prêtre soit pleinement ce qu’il doit être, ce qu’il est, Alter Christus !
Les aphorismes qui se succèdent, et, parfois, s’entrechoquent, suivent la vie, apparemment chaotique, de celui qui l’a donnée tout entière, sans retour, à Jésus-Christ. « Ne fais jamais prévaloir le système, l’organisation, les plans prévus – même si ces derniers qui portent bien leur nom te semblent géniaux – sur la personne et ses possibilités. Ce ne serait déjà pas si mal si tu arrives toi-même à faire ce que Dieu te commande. »
« …Vraiment, j’insiste : affranchis-toi des réunions inutiles, pratiquement toutes, préfère un bon café avec tes collaborateurs… »
Mais aussi : « A l’heure du sacrifice, pas un mot ni un mouvement dans la sacristie. La Victime et le prêtre se préparent. »
« En te revêtant des ornements pour la célébration de la sainte messe, souviens-toi que ton être, en lui-même, et tel qu’il apparaît, doit faire basculer le Ciel sur la terre. »
Ce petit livre est, en vérité, un hymne à la gloire du prêtre, tel que seul il devient supportable, aimable, admirable, en image du Christ. Un sacerdoce vraiment pris au sérieux, s’abreuvant à la source, à l’écart des innombrables canaux rouillés ou bouchés que la raison raisonnante des cléricaux de tous bords, du cléricalisme – « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » – ont imaginé de construire pour se faire valoir, eux, à la place du seul vrai Prêtre, qui est Jésus-Christ.
A l’écoute de ce cri, on pousse, intérieurement, des cris de joie, d’autant que la crainte de voir arriver un nouveau Luther ou une émule de Calvin (car eux aussi ont commencé par une révolte contre les abus des structures) s’efface devant l’amour que voue l’auteur, non aux schémas et aux structures, mais à l’Institution, la seule, « la barque de Pierre, des Léon, des Pie, des Paul, des Jean, des deux Jean-Paul et de Benoît ».
Devant l’urgence et l’ampleur du désastre, le Père Zanotti fait dans ce livre ce qu’il fait chaque matin et chaque soir, en haut de la Canebière, et le plus gros de la journée dans son église, il « tire à bout portant sur toute forme de tiédeur, de lâcheté, de légèreté, d’inaction en matière de foi », et il tire d’abord sur lui-même « car tous, un jour ou l’autre, nous sommes à compter parmi les fidèles infidèles ».
Après les tirs, émouvants, roboratifs, bouleversants ou souriants, la seconde partie de ce brûlot de moins de deux cents pages est consacrée à traiter de l’essentiel » : « vingt lumières (y) prétendent éclairer la route humaine ». Elles s’appellent Mors (la mort) et c’est bien de commencer par elle – on y voit par là que l’auteur est né dans cette Ile habitée par les morts plus encore que par les vivants, ou plutôt par des morts qui sont toujours vivants –, Silentium (le silence) : « ce qui manque aujourd’hui à l’âme de la vie, c’est un creux de silence, un ravin de solitude, un angle de repli »… Je vous laisse découvrir les autres… mais, pour terminer mon propos par où il a commencé, sur la nécessité de faire l’unité des catholiques en action, je vous donnerai ce passage de la XIXe, Magnanimitas (la magnanimité).
« Ce qui manque aujourd’hui à l’âme de la vie, c’est le pas décidé du jeune homme altier, marchant dans le désir d’écharper le neutre et le mesuré qui s’abat sur le siècle et sur chaque âme, que dis-je sur chaque corps, pratiquant son enclos, pensant petit, donnant peu de soi et de ses biens. J’ajouterai, rivé à sa boutique, borné à son parti, moisissant dans l’humidité de sa chapelle.
« Voir grand, rêver sublime, espérer le renouvellement du monde par une action personnelle menée tambour battant contre l’injure de mégalomanie assenée par les pleutres jaloux, incapables de risquer leurs acquis, tel est notre horizon, celui que Dieu nous assigne, avec un point d’exclamation !... Croyez en votre propre action, lancez-la au plus loin, fût-elle sans moyens, sans secours, sans soutien ; entreprenez avec la légèreté de la confiance, la flamme des amoureux, l’obstination des boiteux. Dieu ne suivant que celui qui commence avec fougue. »
Là, et là seulement, dans cet esprit, dans cet élan, dans cette magnanimité se trouve le secret de l’unité. Ni dans la structure, fédérative, unitaire, confédérale ou autre, ni dans la constitution, association… ou autre « tion », mais dans ce beau mot, oublié depuis trop longtemps, abandonné au magasin des souvenirs, presque suspect, et qui, pourtant, pour nous, Français, est le plus accordé à notre vocation historique : la Gloire, ou si vous préférez, l’Honneur, et mieux encore, comme disait Jeanne : « la Victoire » !

Au diable la tiédeur, Robert Laffont, 191 pages, 14,90 euros.


JACQUES TREMOLET DE VILLERS
Article extrait du n° 7714 du quotidien "Présent" - mercredi 24 octobre 2012