Mariage : Qu’en dira Dieu

Ne pas séparer l'ordre de la Nature et l'ordre de la Grâce

Ne pas séparer l'ordre de la Nature et l'ordre de la Grâce


La question du mariage d’ordre anthropologique n’est pas un débat religieux, nous répètent à l’envi les laïcistes, suivis par les évêques eux-mêmes (bientôt réunis à Lourdes du 3 au 8 novembre). Comme si l’anthropologie n’avait rien à voir avec Dieu, même au plan de la loi (morale) naturelle ! Jean-Pierre Maugendre l’a rappelé à la marche de samedi : la loi naturelle est l’autre nom de la loi de Dieu (Présent d’hier). A force de tout vouloir déconfessionnaliser par malsaine laïcité, on en vient même à exclure les trois premiers commandements de Dieu de cette loi naturelle. Cette séparation des deux tables de la Loi de Moïse est aussi incongrue, au demeurant, que celle pratiquée par des chrétiens entre le surnaturel et le naturel, comme l’a bien montré Chesterton.
Si « ne pas agir selon la raison… est en contradiction avec la nature de Dieu » (Manuel II Paléologue cité par Benoît XVI lors du fameux discours de Ratisbonne), agir selon la raison sans référence à son Créateur est en contradiction avec la nature de l’homme. Quand le « qu’en dira l’homme ? » ne trouve plus prise à aucune réponse unanimement satisfaisante, faute notamment de saine philosophie réaliste, peut-être serait-il temps (pour des pasteurs surtout !) de demander prophétiquement à ces hommes : « Qu’en dira Dieu ? » Au-delà du « qu’en dira-t-on ? » et sans renoncer pour autant à la science et à la saine philosophie (qui inclut les voies de l’existence de Dieu) ! Fides et ratio (foi et raison), cela vaut aussi pour la question du mariage et de la famille : « parce que la raison et la foi se sont appauvries toutes les deux l’une en face de l’autre » et que « la raison privée de l’apport de la Révélation, a pris des sentiers latéraux qui risquent de lui faire perdre de vue son but final » (§ 48)…
Lors d’un congrès diocésain à Rome (les 6, 7 et 8 juin 2005) sur le thème : « Famille et communauté chrétienne. Formation de la personne et transmission de la Foi », Benoît XVI avait déjà abordé la question du mariage et de la famille en des termes qui écartent cette mauvaise séparation entre la nature humaine et Dieu. Certes, ce qui est uni dans la réalité humaine (nature et culture, politique et morale, temporel et spirituel, naturel et surnaturel) peut être légitimement distingué par la pensée à condition de ne pas être trop artificiellement séparé, au risque précisément de tomber dans les dérives de cette pensée (idéalisme, positivisme, laïcisme…) jusqu’à produire des aberrations comme l’idéologie du genre.
Dans sa très dense allocution d’ouverture en la basilique Saint-Jean-du-Latran, le Pape avait proposé ses réflexions sur le sens du mariage et de la famille chrétienne selon le dessein de Dieu, « Créateur et Sauveur ». Il avait traité tour à tour le fondement anthropologique du mariage et de la famille dans l’histoire du salut, la place des enfants, de la famille et de l’Eglise, le relativisme ambiant, pour conclure par le sacerdoce et la joie de la vie consacrée.
Le mariage et la famille ne sont pas le fruit du « hasard » sociologique, affirmait le Saint-Père : « Dans l’homme et la femme, la paternité et la maternité, comme le corps et comme l’amour, ne se réduisent pas au biologique : la vie n’est entièrement donnée que lorsque, avec la naissance, sont également donnés l’amour et le sens qui permettent de dire oui à cette vie. Il devient alors tout à fait clair à quel point il est contraire à l’amour humain, à la vocation profonde de l’homme et de la femme, de fermer systématiquement son union au don de la vie, et encore plus supprimer ou manipuler la vie naissante… Le présupposé d’où il faut partir reste celui de la signification que le mariage et la famille revêtent dans le dessein de Dieu. Ce n’est pas une construction sociologique du hasard. »
Les différentes formes de dissolution du mariage aujourd’hui, comme les unions libres, et le « mariage à l’essai », jusqu’au « pseudo-mariage entre personnes du même sexe », sont au contraire des expressions d’une liberté anarchique, qui se fait passer à tort pour une vraie libération de l’homme, poursuivait-il : « Le présupposé de la mentalité relativiste actuelle est que l’homme puisse faire de lui-même ce qu’il veut. (…) L’homme est profondément lié à Dieu. Il lui devient semblable dans la mesure où il devient quelqu’un qui aime. La volonté de “libérer” la nature de Dieu conduit à perdre de vue la réalité même de la nature, en la renvoyant à un ensemble de fonctions dont on voudrait disposer à loisir pour construire un monde présumé meilleur. »

L'hérésie du XXe siècle


A un synode des évêques (octobre 2008) consacré à la façon dont le monde accueille « la Parole de Dieu », Benoît XVI était allé plus loin encore dans la dénonciation de cette « hérésie du XXe siècle » comme l’appelle Jean Madiran, c’est-à-dire le mépris de la loi naturelle par cette rupture entre la nature et Dieu. Il s’en était pris à la responsabilité des chrétiens eux-mêmes : « Si nous regardons l’histoire, nous sommes obligés de noter assez fréquemment la froideur même pas la tiédeur ! et la rébellion de chrétiens incohérents. Suite à cela Dieu, même s’il ne manque jamais à sa promesse de salut, a souvent dû recourir au châtiment. »
Châtiment ? Horresco referens ! Voici un terme qui ne fleure pas bon « l’esprit » (faussé) du Concile, alors que la plupart des clercs ont fait disparaître les fins dernières (avec l’enfer et le purgatoire) de leur vocabulaire. Or, c’est par rapport à ces fins dernières que les « punitions » de Dieu, ne serait-ce que par la voie ordinaire de la justice immanente, sont justement « des leçons et non des disgrâces », comme disait Mgr Vladimir Ghika. Qui aime bien châtie bien ! Des occasions de réfléchir, comme nous en offrent aussi les leçons empiriques de l’histoire, pour vaincre l’illusion de pouvoir vivre sans Dieu, quand l’homme se déclare « dieu » lui-même, « l’unique artisan de son propre destin, le propriétaire absolu du monde et de lui-même », devait également préciser le Saint-Père.
On se souvient à cet égard des fameuses lignes de Louis Veuillot : « Lorsque l’insolence de l’homme a obstinément rejeté Dieu, alors Dieu dit : “Eh bien que ta volonté soit faite !” Et le dernier fléau est lâché. Ce n’est pas la famine, ce n’est pas la peste, ce n’est pas la mort, c’est l’HOMME. Quand l’homme est livré à l’homme, alors on peut dire qu’il connaît la colère de Dieu. »
Non, tant au plan de l’ordre naturel qu’à celui de l’ordre surnaturel, il n’est pas inconvenant, déplacé, inopportun de demander à nos contemporains aussi bien philosophiquement que théologiquement : « Qu’en dira Dieu ? »

REMI FONTAINE
Article extrait du n° 7714 du quotidien "Présent" - mercredi 24 octobre 2012