Pasteur lumineux

Rémi Fontaine rend hommage à Benoît XVI

Deo GratiasQuelle image gardera-t-on de Benoît XVI ? Comme pour les rois, on récapitule souvent un pontificat par un qualificatif. « Le pasteur angélique », pouvait ainsi titrer L’Aurore avec André Frossard à la mort de Pie XII, en écho à une vieille prophétie. « Le pape écartelé », résume Yves Chiron à propos de Paul VI. Pour Benoît XVI, en réponse à son geste de renonciation qu’évoque si bien Jacques Trémolet de Villers (en page 4), le cardinal Sodano (doyen) a trouvé sans doute le mot juste en parlant de « ces huit années d’un pontificat lumineux » : « Vos paroles étaient remplies de tout l’attachement que vous avez toujours porté à l’Eglise, à la sainte Eglise de Dieu que vous aimez tant. »
En dépit des « loups » ou de la « barque qui prend l’eau de toutes parts », le passage de Benoît XVI à la tête de l’Eglise aura été un chemin de lumière. Ses discours et ses homélies relevaient d’une pastorale de l’intelligence, faite avec douceur et humilité, au rythme certes des avis et coups de tempête de l’époque mais aussi des heures de la liturgie et des enseignements des Pères de l’Eglise. Cette pastorale venait admirablement compléter et éclairer celle de Jean-Paul II le grand qui touchait davantage le cœur. « On allait voir Jean-Paul II, on venait écouter Benoît XVI », a-t-on pu dire.
Profonde complémentarité et union en effet que ces deux pontificats, comme celles du cœur et de l’intelligence aiguisés par la foi chrétienne ! Car si le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, l’intelligence a aussi son cœur qu’une simple sensibilité comme une certaine raison positiviste, humaines trop humaines, ne connaissent plus : cela s’appelle la contemplation ! C’est le mot qu’on pourrait retenir après les synthèses d’une densité et d’une hauteur remarquables que le Pape a pu faire, du discours de Ratisbonne au collège des Bernardins et devant combien d’autres assemblées de religieux mais aussi d’intellectuels, d’artistes, comme de gens du peuple.
La propre devise épiscopale du Saint-Père, la formule johannique : « coopérateurs de la vérité », illustre « la totale consécration de cette intelligence, comme avait dit Mgr Rey, à Celui qui s’est présenté à nous comme la Vérité ». Cette « coopération », il l’offrait avec bienveillance à tous, fidèles et « infidèles », croyants et incroyants, à différents niveaux, afin d’ordonner et d’accorder le bien commun temporel au Bien commun surnaturel qui est le Dieu d’Amour. Fides et ratio : il proposait philosophiquement une certaine sainteté de la raison et théologiquement la raison d’une sainteté, les deux s’éclairant mutuellement.
Il appelait à fuir les idoles d’aujourd’hui : « L’argent, la soif de l’avoir, du pouvoir et même du savoir n’ont-ils pas détourné l’homme de sa fin véritable, de sa propre Vérité ? », demandait-il aux Invalides, lors de son passage en France. Or, insistait-il avec saint Paul : « Vous ne pouvez pas en même temps prendre part à la table du Seigneur et à celle des esprits mauvais. » Manière de rappeler qu’on ne peut faire entrer le christianisme authentique dans aucun Panthéon ancien ou moderne, y compris celui d’une laïcité dite positive qui serait idolâtrée de manière subliminale comme le spectre de la saine et légitime laïcité de l’Etat. « L’idole est un leurre, car elle détourne son serviteur de la réalité pour le cantonner dans le royaume des apparences », ajoutait-il incitant à rompre avec la dictature du relativisme, autre nom de la culture de mort produisant les mêmes structures de péché. La messe précisément nous invite à fuir les idoles en élevant la coupe du salut et en invoquant le nom du Seigneur : « Rien ne remplacera jamais une messe pour le Salut du monde. »
Aux jeunes, à qui Benoît XVI demandait de se poser la question de la vocation, c’est en France aussi qu’il a confié à leur cœur les trésors de l’Esprit-Saint et de la Croix, bien qu’il sache que « vénérer la Croix attire aussi parfois la raillerie ou la persécution ». Mais : « L’Eglise vous fait confiance ! », comme il l’a manifesté aux derniers JMJ. Aux évêques de France, dont il voulait affermir la foi, il a rappelé l’importance fondamentale du catéchisme, « affaire d’abord de contenu et non de méthode », insistant sur ce problème crucial des vocations, prônant « l’indispensable pacification des esprits » voulue par le motu proprio du 07-07-07 : « Nul n’est de trop dans l’Eglise. » Benoît XVI aura défendu la foi sans faillir, rappelant l’Europe à ses racines chrétiennes, soucieux du sort des chrétiens d’Orient, œuvrant à l’unité des catholiques et des chrétiens. « Parler du Christ, annoncer le Christ et si possible le montrer », annonçait-il dès le début de son pontificat. C’est à une sorte de maïeutique spirituelle qu’il se livrait comme serviteur des serviteurs, « simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur ». Et, au cœur d’une crise majeure de l’Eglise, cette humble mais ferme pastorale de l’intelligence, comme coopérateur de vérité et collaborateur de notre joie (2 Co 1, 24), commence doucement mais sûrement à porter des fruits visibles. Oui, pasteur lumineux.

REMI FONTAINE

"Présent" - n°7796 en date du 20 février 2013