Retour sur les propos du Pape François : Abroger les lois mauvaises

Un article de Rémi Fontaine

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Un article de Rémi Fontaine



S’adressant à une petite cinquantaine de parlementaires français en visite samedi au Saint-Siège, le pape François les a invités notamment à «l’abrogation» des mauvaises lois (samedi 15 juin 2013). Ce seul mot contraste singulièrement avec le texte du Conseil "Famille et Société" de la Conférence des évêques de France, dont nous parlions dans "Présent" du 8 juin.

Dans un défaitisme politique sidérant, ce document épiscopal (1) invite simplement, en effet, à «poursuivre le dialogue» à propos du «mariage pour tous» au nom de l’exercice, de la maturité et de l’exigence démocratiques (sic) qui impliquent d’« accepter » comme « légitimes » les «divergences d’opinion» et que « son propre point de vue ne soit pas accepté » ! A cet affligeant relativisme démocratique qui considère le point de vue divin comme une opinion, répond le chant d’offertoire de ce 4e dimanche après la Pentecôte : « Donne à mes yeux la lumière, pour que je ne m’endorme pas dans la mort. Que mon ennemi n’aille jamais dire : “J’ai eu sur lui le dernier mot.” »
Le précepte évangélique d’aimer ses ennemis ne signifie pas le renoncement à les combattre et à haïr les erreurs qu’ils colportent. Ne pas confondre le pécheur et son péché public n’empêche pas de se défier aussi bien du péché que du pécheur. Dans "Pour qu’Il règne", Jean Ousset avait des mots pertinents à ce sujet : « Ce que la Révolution a de plus essentiel est de dissoudre tout ce qui peut être substance de vérité, d’ordre objectif. Elle ne garde, et ne veut retenir que l’aspect évolutif, l’aspect perpétuellement changeant des êtres et des choses… Nous avons en face de nous l’erreur et ceux qui la colportent. II est impossible de séparer les deux. Les erreurs sont semblables aux flèches qui ne feraient aucun mal à personne si quelqu’un ne les lançait pas avec un arc ou un fusil. Prétendre guerroyer seulement contre les idées et les systèmes pervers, sans tenir compte de ceux qui les colportent, diffusent, appliquent systématiquement serait folie, sinon complicité manifeste avec l’ennemi. »
Aimer ses ennemis ne signifie pas qu’on ne les reconnaît plus en tant qu’ennemis, capables de nuire tragiquement. Ne tombons pas dans l’angélisme ou le pacifisme béat ! Ce n’est pas parce des loups se prétendent herbivores qu’il ne faut pas s’en méfier comme de méchants carnivores décimant les brebis et les désigner comme tels. On doit aimer son ennemi – c’est-à-dire celui qui cherche à vous détruire – ainsi que son prochain, comme personne singulière dont l’âme est à sauver, mais on peut et on doit détester en lui le représentant d’une action ou d’une erreur malfaisantes. Et le combattre à ce titre. En raison du bien commun et donc aussi pour le bien de ceux qu’on combat.
Ainsi, en remplissant telle mission, tire-t-on à la guerre sur un ennemi portant tel uniforme, non parce qu’on lui en veut personnellement, mais à cause de la mauvaise fonction qu’il remplit. C’est ce qui légitime l’engagement militaire du soldat qui accomplit un devoir de charité politique (2). Se battre sans haine mais avec discernement, sans imprudence mais avec réflexion : charité en toutes choses ! Semper idem dans le combat intellectuel et politique. L’erreur de la plupart de nos évêques est, au nom du mythe démocratique et de son système de pensée (anti)métaphysique, de rejeter éthiquement certaines flèches empoisonnées sans combattre politiquement ceux qui les projettent ! D’autre part, leur erreur est de croire que, au sein de cette cité démocratique-là, ils pourront bien agir et combattre moralement en catholiques. L’un des sujets du bac de philo leur semblait particulièrement destiné ce lundi : «Peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique ?» Si, selon l’Écriture, celui qui prétend aimer Dieu sans aimer son prochain est menteur, celui qui prétend aimer son prochain en négligeant autant ce qui fait la bonne politique nous trompe.
Car, selon l’inoubliable leçon politique de Pie XII : « De la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes, c’est-à-dire le fait que les hommes, appelés tous à être vivifiés par la grâce du Christ, respirent, dans les contingences terrestres du cours de la vie, l’air sain et vivifiant de la vérité et des vertus morales ou, au contraire, le microbe morbide et souvent mortel de l’erreur et de la dépravation. »
Une cité déficiente en sa forme, en sa structure de péché (refusant toute transcendance par une sournoise dictature du relativisme), quelle que soit la vertu morale de certains de ses membres, voire même de ses élus les mieux placés, risquera toujours de manquer son but «tout comme une mauvaise arme, même maniée par un homme adroit et bien intentionné, ne vaudra jamais une arme perfectionnée », selon l’image de Louis Jugnet qui rejoint celle de Jean Ousset. Non seulement il faut savoir viser nos ennemis contre leurs flèches mortelles, mais avec de bonnes armes qui ne soient pas viciées ou piégées !
En raison de ce théorème de bon sens politique, l’indigent dialogue épiscopal sur le «mariage» dit «pour tous» n’aboutira pas plus qu’il n’a abouti pour les États généraux de la bioéthique ou dans les soi-disant Comités d’éthique, ni même avec l’Enseignement dit catholique mais non-confessionnel ! A cause de structures déficientes, capitulardes, frappées d’anorexie spirituelle parce qu’elles font comme si Dieu n’existait pas par allégeance laïciste ou démocratique.
Le mot qui convient aujourd’hui dans ce combat crucial, aussi bien anthropologique que politique et métaphysique (donc eschatologique), n’est pas dialogue mais abrogation et donc retrait, dissidence, désobéissance civile… Les paroles qui conviennent sont celles du Maréchal Foch à Doullens le 25 mars 1918 : « Tenir, tenir, je vous le dis, il n’y a qu’à tenir… C’est là où il est qu’on doit arrêter l’ennemi. On n’a qu’à dire : on ne recule pas ! Et les trois quarts sont déjà faits quand on ne recule pas. La France est la France ! Elle ne meurt pas la France ! » On ne lâche rien ! C’est de circonstance : — Que mon ennemi n’aille jamais dire : « J’ai eu sur lui le dernier mot. »

RÉMI FONTAINE
"Présent" n°7876 – Mercredi 19 juin 2013

(1) Document consultable sur le site de la C.E.F. http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/poursuivons-le-dialogue--16606.html (2) Charité politique dont Pie XI disait que son domaine, le plus vaste après celui de la religion, nécessite un devoir impérieux.