Jean Madiran : l'hommage de Jean Cochet

Il était la vie même !

Jean Madiran est mort… En ce mercredi soir 31 juillet , Samuel m’apprend la terrible et stupéfiante nouvelle. Stupéfiante, parce que Jean Madiran était la vie même. Un grand vivant parmi les vivants, bouillonnant d’idées, de projets, de passions, d’indignations et de certitudes, brandissant toujours très haut et en tout lieu son idéal chevaleresque de chrétienté et de patriotisme. Malgré les années, il conservait une sorte de jeunesse immarcescible. Trente ans de vie professionnelle, commencée ce premier avril 1982 où j’avais rejoint, à la demande de François Brigneau, l’équipe de Présent et rencontré Jean Madiran pour la première fois, semblent tout à coup s’évanouir autour de moi.

Dans le livre que lui avait consacré Danièle Masson (1), Jean Madiran disait de lui et de son maître Charles Maurras : « Nous n’avons pas empêché notre temps de se dégrader encore et davantage ; mais nous n’aurons pas cessé de porter, devant Dieu et devant les hommes, témoignage contre lui. Pour l’honneur de l’homme et pour l’honneur de Dieu. » De cette vaine tentative de faire barrage aux hérésies du vingtième siècle, « ce siècle d’enfer », demeurera une œuvre magistrale dans laquelle, comme Charles Maurras et Charles Péguy, Jean Madiran aura dénoncé avec précision les catastrophes qu’il prévoyait et annonçait. Prévisions que ses contemporains auront préféré ignorer, laissant à leurs successeurs le soin de puiser dans ces trésors d’intelligence et de clairvoyance et peut-être de s’en servir pour leur plus grand profit.

L’urgence des combats à mener aura conduit Jean Madiran, pour être dans l’immédiateté de l’actualité et du débat, à fonder une revue, Itinéraires et un quotidien, Présent, dont il aura été l’éditorialiste lumineux, mais aussi l’animateur et le guide, donnant à ce journal, tant qu’il en eut la force, son souffle et son aura.

Tant de souvenirs en ce 5, rue d’Amboise ! Surtout des souvenirs de travail matutinal. Jean Madiran, arrivé avant tout le monde, déjà installé à son bureau, en train d’écrire. Ou sa silhouette sportive montant avec une légèreté de jeune homme les escaliers de Présent (l’ascenseur est récent). Et, bien sûr, l’éclat de sa voix sonore lors des conseils de rédaction au cours desquels il dépiautait l’actualité avec acuité mais aussi, souvent, avec humour, suscitant des éclats de rire. Des réunions qu’il conduisait avec l’autorité d’un maître enseignant des disciples, toujours soucieux de transmettre son expérience, de guider, d’enseigner, de convaincre…

D’autres parleront mieux que moi, et avec plus de titres pour le faire, du grand défenseur de la religion catholique, de ses dogmes, de sa morale et de ses institutions que fut Jean Madiran. De l’inlassable propagandiste de la foi chrétienne qu’il n’a jamais cessé d’être. Personnellement, je garde avant tout de lui l’empreinte d’un maître à écrire, toujours à la recherche du mot juste et de la plus grande clarté d’expression. Et aussi, bien sûr, d’un maître à penser la politique, que ce soit hier dans la lutte contre le communisme ou aujourd’hui contre la présence massive de l’islam sur notre sol « en train d’évoluer en implantation institutionnelle ». Un maître à décrypter les impostures et les mystifications du monde moderne, tirant sans relâche le signal d’alarme devant le déclin de notre civilisation, de plus en plus menacée de déraillement.

« Il faudrait que le clergé d’aujourd’hui apprenne enfin que la politique est le monde clos du mensonge. Elle l’est devenue aux mains de la démocratie moderne, instrument idéologique de la ténébreuse alliance entre le socialisme apatride et la fortune anonyme et vagabonde : ténébreuse alliance qui réduit les peuples chrétiens en servitude, la servitude de l’argent roi. » En m’efforçant de suivre les aléas de la politique française, je m’aperçois chaque jour combien cette analyse est juste. Combien les princes qui nous gouvernent nous ont enfermés dans ce « monde clos du mensonge », dédales aux multiples lacis dans lequel nous nous enfonçons et nous nous égarons. Un labyrinthe en train de devenir la sépulture de notre civilisation. Pour Jean Madiran, une sortie pourtant existait, qu’il n’aura cessé d’indiquer à ses contemporains : « Ni la France, ni rien, ne sera jamais sauvé sans Jésus-Christ. » C’est tout auréolé de cette conviction, qu’il aura défendue avec tant de fougue tout au long de son œuvre et à travers de si nombreuses chroniques, que Jean Madiran, ce 31 juillet 2013, quittant les vanités de toutes les choses humaines, est entré dans la vérité de l’éternité.

Pour caractériser l’auteur de L’Hérésie du XXe siècle (2), son génie et sa complexité, beaucoup de mots viennent à l’esprit. Ce matin, pour ma part, je n’en retiendrai toutefois qu’un seul : celui de fidélité. Fidélité à l’Eglise catholique, à sa patrie, à ceux qui ont fait la France, l’ont glorifiée, honorée ou protégée, fidélité à ses idées, à ses engagements, à l’enseignement qu’il avait reçu et souhaité si ardemment à son tour inculquer… Fidélité à la France, à son histoire et à ses traditions.

JEAN COCHET

"Présent" n°7090 du samedi 3 août 2013

(1) Danièle Masson, Jean Madiran, 292 pages, Editions Difralivre.
(2) Jean Madiran, L’Hérésie du XXe siècle, 316 pages, Nouvelles éditions latines.