Le Père Emmanuel : l’apôtre de la dévotion à Notre-Dame de la Sainte-Espérance

L'Homme Nouveau – n°1625 du 5 novembre 2016

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Le Père Emmanuel : l’apôtre de la dévotion à Notre-Dame de la Sainte-Espérance

Par un moine bénédictin

Ernest André naît le 17 octobre 1826, à Bagneux-la-Fosse, dans l’Aube. En 1839, Ernest entre au petit séminaire. Le sacrement de confirmation, reçu à la fin de la première année, le marque profondément ; plus tard, dans ses enseignements, il soulignera souvent le rôle de l’Esprit Saint dans la vie du chrétien.
Ordonné prêtre le 22 décembre 1849, l’abbé André est nommé, à 23 ans, curé de Mesnil-Saint-Loup, paroisse de trois cent cinquante âmes, à vingt kilomètres à l’ouest de Troyes. Le 24 décembre, le nouveau curé arrive à Mesnil. Il demeurera à Mesnil-Saint-Loup pendant cinquante-trois ans. Dans ce village où les gens vivent pauvrement, la pratique religieuse est habituelle, si l’on s’en tient du moins au nombre de personnes qui assistent à la messe et aux vêpres du dimanche. Mais le devoir de la communion pascale n’est guère rempli que par les femmes. L’abbé André, dans l’intensité de sa foi et l’ardeur de son zèle pastoral, ne saurait se contenter du minimum. Il veut plus et surtout mieux : des chrétiens fervents, désireux de s’abreuver à la source des sacrements, qui se nourrissent de la Parole de Dieu et donnent une vraie place à la prière dans leur vie quotidienne. Le jeune curé se met aussitôt à sa tâche : visites aux paroissiens, en particulier les malades, catéchismes, préparation des premières communions. Sa bonne humeur, son entrain, son rire franc et sonore réchauffent déjà les cœurs.

Sur la route de Rome

En juin 1852, l’abbé André entreprend un pèlerinage à Rome. En chemin, alors qu’il dit son chapelet, il est saisi intérieurement par une pensée qui l’emplit de joie et d’émotion : Marie est Mère de la Sainte-Espérance, suivant l’expression biblique (cf. Si 24, 18). Il reçoit en même temps la certitude qu’il lui faudra, une fois parvenu à Rome, demander au pape de donner le nom de « Notre-Dame de la Sainte-Espérance » à la statue de la Vierge de son église, et d’instituer une fête en son honneur. L’accord du pape, pense-t-il avec raison, sera le signe que cette inspiration lui est donnée du Ciel. Contre toute attente, il obtient sans délai de Pie IX la permission de célébrer une fête liturgique en l’honneur de Notre-Dame de la Sainte-Espérance, le quatrième dimanche d’octobre. Cette fête sera assortie, en 1854, d’une indulgence plénière.
De retour dans sa paroisse, le curé garde quelque temps secrètes les faveurs qu’il vient d’obtenir du Saint-Père, se réservant de les proclamer lors de la solennité de l’Assomption. Dans un sermon mémorable, laissant éclater sa joie et sa confiance filiale en Marie, l’abbé André adresse à la Vierge une série d’invocations, dont l’une touche plus que les autres ses paroissiens : « Notre-Dame de la Sainte-Espérance, convertissez-nous ! ».
Le dimanche 24 octobre 1852, la première fête de Notre-Dame de la Sainte-Espérance est célébrée très simplement, mais avec une grande allégresse. On n’avait pas l’habitude de communier un simple dimanche ; le curé insiste, les femmes se rendent sans trop de difficultés, mais les jeunes gens qu’il a groupés autour de lui auront-ils le courage de s’approcher publiquement des sacrements ? La plupart viennent se confesser à une heure assez tardive : le respect humain les tient encore. Mais le lendemain, ils communient à la grand-messe devant tout le monde. C’est la première victoire de Notre-Dame de la Sainte-Espérance. Dans les années 1852-1860, il ne se passe pas de fêtes pascales, de mois de mai, de fête de Notre-Dame de la Sainte-Espérance sans qu’il n’y ait de véritables conversions, qui ramènent des âmes à Dieu en les séparant radicalement de la vie mondaine. La fréquentation des sacrements augmente, et on voit des hommes se joindre aux femmes pour réciter le chapelet. En 1853, malgré l’opposition de certains paroissiens, on élève dans l’église un autel à Notre-Dame de la Sainte-Espérance. Cette même année, une confrérie pour la récitation de la petite prière est érigée. Le 25 mars 1877, commencera à paraître le Bulletin mensuel de Notre-Dame de la Sainte-Espérance.
Pourtant, il serait faux de penser que ce mouvement n’ait pas rencontré d’opposition. Certains, au sein du village, ne veulent pas de Notre-Dame de la Sainte-Espérance : de jeunes libertins créent une « deuxième paroisse » dans une écurie transformée en salle de danse, où ils parodient les cérémonies du culte. Notre Dame se venge à sa manière : un dimanche du mois de Marie de 1854, tandis que ces jeunes gens s’en vont à une partie de plaisir, le meneur s’arrête net et décide de rentrer. Les railleries de ses compagnons n’ont pas de prise sur lui. Il dira par la suite : « C’était comme si la médaille de la Sainte Vierge m’était tombée sur la tête. » Il se met à dire le chapelet, puis, au mois d’octobre, se confesse. Enfin, il se fait moine à l’abbaye de la Pierre-qui-Vire.

Une atmosphère de prière

Malgré ces signes, l’abbé André n’emportera pas, semble-t-il, l’adhésion unanime de ses paroissiens. Cependant, de tout le diocèse et de plus loin encore, les gens accourent, attirés par le renom de Notre-Dame de la Sainte-Espérance, par l’atmosphère de prière qui l’enveloppe, par la beauté de la célébration de sa fête. Progressivement, la fête du quatrième dimanche d’octobre devient l’objet d’un pèlerinage, et les inscriptions à la Prière perpétuelle affluent.
L’affluence des pèlerins et le mauvais état de l’église paroissiale conduisent à entreprendre la construction d’un nouveau sanctuaire. Le chantier s’étalera sur une dizaine d’années. La Sainte Vierge ne s’en tient pas là, elle va aussi combler les plus chers désirs de l’abbé André. Ce dernier avait toujours eu un attrait pour la vie monastique. En 1864, il parvient à fonder, au village même, un petit monastère, et prend alors le nom de Père Emmanuel. En 1886, le monastère se rattache à la Congrégation bénédictine italienne du Mont-Olivet. Déchargé à partir de 1899 du soin de sa paroisse, le Père Emmanuel assiste avec une profonde douleur, en 1901, à la dissolution de sa communauté, objet, comme tant d’autres, des rigueurs laïcistes. Quand il meurt, le 31 mars 1903, le monastère est soumis à la liquidation judiciaire. Une communauté s’y rassemblera à nouveau en 1920. En 1948, les moines partiront pour redonner vie à l’abbaye du Bec-Hellouin. Un groupe de moines reviendra à Mesnil en 1976. Si la vie du Père Emmanuel s’est achevée ainsi dans le dépouillement, la dévotion à Notre-Dame de la Sainte-Espérance, le pèlerinage et la paroisse demeurent bien vivants. En 1923, le diocèse de Troyes obtient de Rome que la fête de Notre-Dame de la Sainte-Espérance soit célébrée chaque année, dans tout le diocèse, le 23 octobre.