Quel est ce sel mystérieux qui nous donne le goût de la Sagesse divine et qui nous fraie la route de la vie éternelle ?
Au début du IXème siècle, un Archevêque de Sens, ami de Charlemagne, nous donne la clé de ce mystère du sel : "On reçoit du sel dans le sacrement du baptême. Ce sel nous fait percevoir le goût de cette nourriture qu'est la Sagesse. Il nous empêche de perdre le goût de la saveur du Christ. Car, si nous perdons ce goût, nous devenons à la fois insipides et sots. D'ailleurs, si par notre nature, nous sommes sots et niais, par la grâce du Christ nous avons de plus en plus de saveur en tout".
Les Grecs, comme les Latins, considèrent que l'homme sage est tout à la fois celui qui a du goût (il est savoureux et il aime les choses savoureuses) et qui est sensé. Pour eux, le sot est un fade. L'Evangile et Saint Paul pensent de même. Celui qui a le sel de la Sagesse est lui-même savoureux et il donne sa saveur aux autres : "Vous êtes le sel de la terre".
Mais, si le sel s'évente, s'il perd sa force et sa saveur, il n'a plus aucune utilité. Mesurons toute la portée de ces paroles du Seigneur. Le sel évanescent c'est l'image du chrétien qui, par degré, devient à la fois fade et sot - sot parce que fade. Il ne devient pas fou à proprement parler. Il y a eu des fous de génie qui ont eu quelque chose de sublime. Non, celui qui ne sait plus goûter le Christ, l'Eglise, les Saints devient fade et sot. La véritable traduction des phrases passionnées de saint Paul serait : "le langage de la Croix est ineptie et fadaise pour ceux qui vont à la perdition... N'est-il pas vrai que Dieu a frappé d'ineptie et de fadaise la sagesse du monde...Un Christ crucifié : ineptie et fadaise pour les païens".
Voilà les "malins", comme les appelait Bernanos à la suite de Péguy, qui ne voient, dans la folie d'amour de la Croix, qu'une religion inepte et sans saveur. Que faire pour échapper, nous aussi avec tous les Saints, à cette "Sagesse" du monde ? Ouvrir nos cœurs à la force du Saint-Esprit. Le Don de Sagesse est le Don le plus haut ; c'est celui de l'union forte, stable, permanente, joyeuse et heureuse à Dieu. Cette union est une union d'amour. On goûte Dieu grâce à l'amour répandu dans nos cœurs par son Saint-Esprit, et on le fait goûter aux autres.
Comme le connaisseur qui goûte les vins et dont l'expérience est telle qu'il distingue les moindres nuances de saveur, ainsi le Saint, uni à Dieu, goûte toute la saveur de Dieu et des œuvres de Dieu : la Création et la Rédemption. Quel saint plus savoureux, par exemple, que Saint François de Sales, et quelle saveur il a su donner à ses écrits ! D'où vient cette saveur ? De son immense charité, de l'onction du Saint Esprit..
Le Don de Sagesse a un autre effet, si important actuellement : il nous permet de juger tout, hommes et événements, à la lumière de Dieu, et d'adopter sur l'histoire humaine et sur l'histoire de l'Eglise le point de vue de Dieu. On connaît le titre d'un opuscule resté célèbre : "Pagaïe dans l'Eglise ou Mystère de la Croix". Les vitraux n'ont toute leur vérité et toute leur splendeur qu'à l'intérieur de l'église et par temps de grand soleil. Ainsi du Don de Sagesse : il nous mène au cœur de la vie de l'Eglise et il nous dit que l'Eglise c'est surtout "Jésus-Christ répandu et communiqué" ; il nous mène au cœur de l'histoire humaine, et il nous montre que la vie sociale n'est heureuse que si elle se met à l'école de l'Evangile et de l'Eglise.
Que tous puissent recevoir, grâce au Saint Esprit, le sel de la Sagesse de Dieu, le sel de la Sagesse de l'Eglise, le sel de la Sagesse des Saints. Trône de la Sagesse, O Notre-Dame, obtenez-nous d'être des sages selon Dieu.
Un moine Abbaye de Fontgombault