La zizanie

Connaissez-vous Tullius Detritus?

Ce personnage fictif de l'époque romaine possède un pouvoir particulier. Un pouvoir redoutable. Dès qu'il arrive en un lieu... c'est le désordre. Disputes, contentions, discordes, divisions, guerres, injustices jaillissent sur son passage. Mis en prison, condamné aux bêtes fauves pour trouble public... il reste finalement en prison... Oui, les lions eux-mêmes se sont entre dévorés à son entrée dans l'arène! Ensuite, ses geôliers se divisent... Puis l'entourage de César qui l'a convoqué, puis l'équipage du bateau qui le conduit en Gaule... Et même un célèbre village gaulois manque de succomber à cet envahisseur... Bref,... il sème la zizanie.

Zizania, cela désigne l'ivraie, la mauvaise herbe.

La mauvaise herbe, c'est le mal.

Le champ, c'est l'Eglise, et plus largement encore le monde créé. Et aussi notre communauté paroissiale, nos familles, nos écoles, unités scoutes, etc...

Le bon grain, ce sont les dons de nature et de grâce dispensés largement par Dieu aux hommes.

Si vous êtes tenté de cynisme, d'amertume ou de découragement, je vous invite à relire le début et la fin de la parabole du bon grain et de l'ivraie. Si, au contraire vous êtes un « optimiste de 4 sous », comme le Pangloss de Voltaire, tenté d'illusions, d'irénisme, je vous invite à relire le milieu de la parabole.

« D'où vient l'ivraie ? » Pourquoi le mal ? D’où vient cette obscurité, ce bruit envahissant du mal ? Dans l’histoire de l’Eglise et de l’humanité, et jusque dans notre propre cœur, parfois ?

« C'est mon ennemi qui a fait cela ». Dieu répond, si toutefois on veut bien l’écouter. Notre époque a mis Dieu en procès au nom du mal.

Si le mal existe, alors pas de Dieu, ou bien un dieu impuissant à l'empêcher.

Si le mal existe, alors pas de Dieu, ou un dieu indifférent, voire mauvais.

Terrible accusation. Terrible tentation aussi qui peut traverser même le cœur de l'âme fidèle ; « j'ai dit ; est-ce donc en vain que j'ai gardé mon cœur dans la justice, et lavé mes mains parmi les innocents! Seigneur, jusqu'où souffriras-tu ce que tu vois? »

Or que veut Dieu ?

Que le mal arrive? Non.

Que le mal n'arrive pas? Non plus.

Dieu ne veut et ne cause le mal, ni directement, ni indirectement.

Il veut permettre que le mal arrive.

Il le permet en laissant exister et agir celui qui cause le mal ; le démon, et ceux qui le servent. La liberté créée est donnée en vue du bien. Pourtant, désormais, elle peut pencher des deux côtés. Les maux les plus durs qui ravagent le champ du Seigneur, son Eglise, mais aussi les familles, les communautés sont les péchés contre l'unité. En particulier l'unité de foi et de charité... hérésies, schismes, scandales.

« Laissez… » Dieu ne vous demande pas d’appeler le bien mal, et le mal bien. C'est la théorie proposée par le bouddhisme et le New Age. Dieu n'approuve pas le mal. Il n'approuve pas non plus la complicité au mal ; le silence coupable, le consentement, l'entrainement au mal. Jésus a même prié pour que vous en soyez préservés… Il nous a appris à demander humblement et fortement ; délivrez-nous du mal. Dieu demande parfois que l’on supporte le mal. Mais seulement si on ne peut empêcher sans causer le pire.

« Au temps de la moisson... » : C'est une vérité de notre foi. L'injustice peut durer un certain temps, mais elle n'entre pas dans l'éternité. Dieu ne laisse pas le péché impuni, mais il patiente envers le pécheur. Ses plus grands saints, parfois furent grands pécheurs. Saint Augustin sema bien de l’ivraie avant que de semer du bon grain.

Dieu permet le mal, mais aussi Il le limite et le contient. Il peut tirer d’un mal un bien meilleur et supérieur. La condamnation injuste d’un innocent a ainsi été occasion du salut de toute l’humanité. Une mise à mort atroce a été occasion de résurrection et de vie. De la mort d’un martyr vient la conversion d’un bourreau. Sur une vie d’égarement vient une conversion plus profonde, un amour plus ardent pour Dieu et le prochain. Sur l’hérésie, l’erreur, le relativisme et la confusion ambiante, Dieu peut susciter un goût plus sublime pour les vérités de foi dans les âmes. Un amour prononcé, éprouvé, pour la Vérité. Enfin ceux qui servent le mal demeurent pour éprouver les justes. Ils sont instruments de salut et de sanctification.

« Laissez croître ensemble… » C'est le résumé de toute l'histoire, cela. L'extension du mystère d'iniquité, de péché – mais aussi l'extension du mystère de bonté, de piété divine. Il faut se garder de l'un et servir l'autre. Alors lorsque le mal dure ou grandit, lorsque notre âme chavire, et bien reprenons les psaumes 35 à 37 ;

« Mon âme, n'envie pas le bonheur des méchants,

Ne jalouse pas ceux qui font l'injustice !

Mets ta confiance dans le Seigneur, fais le bien !

Reste en paix dans la terre du Seigneur,

Attache-toi à la justice, place ton bonheur en Dieu»

 

Abbé Alexis Garnier - 10 février 2019