"Ne crains pas, je suis ton Dieu"

C'est un lieu commun de dire que notre époque est tourmentée. Mais, à la vérité, est-ce si nouveau ? A-t-il jamais existé une époque de l'histoire où l'homme n'ait eu la sensation de vivre une tourmente et la fin d'un monde ? Et comment s'étonner, du reste, qu'il n'en ait toujours été ainsi, puisque, depuis les origines, le péché ne cesse de déployer ses conséquences dans le coeur de l'homme et dans l'histoire collective de l'humanité ?

Ce qui est nouveau, par contre, c'est cet homme, cet Homme-Dieu qui marche sur la mer déchaînée, qui monte dans la barque et qui déclare : " Confiance, c'est Moi, n'ayez pas peur !". C'est vrai que, parfois, Il a l'air de dormir et que nous aurions envie de Lui dire : "Au secours, Seigneur, nous périssons !". Reprenons notre calme, pourtant ; laissons-Le faire "un grand calme" en nous et autour de nous. Si forte que soit la tempête, nous avons Jésus dans notre barque ; nous pouvons compter sur Lui, espérer en Lui : Il est solide !

"En Dieu seul repose-toi, mon âme.

De lui vient mon espoir ;

Lui seul mon Rocher, mon Salut,

Ma Citadelle, je ne bronche pas" (Ps 62, 6-8).

"Venez, crions de joie pour le Seigneur,

Acclamons le Rocher de notre salut !" (Ps 95, 1).

Par la vertu d'Espérance, nous prenons appui sur Dieu, notre Rocher. La vertu de Foi nous met en relation avec Dieu-Vérité ; la vertu de Charité en relation avec Dieu-Amour ; le propre de la vertu d'Espérance, c'est de nous mettre en relation avec Dieu Tout-Puissant, Dieu en tant que suprême Solidité. La vertu d'Espérance est par excellence une vertu d'appui.

 Vertu théologale, parce qu'elle fait escompter d'atteindre Dieu Lui-même, notre Souverain Bien et notre Béatitude éternelle, et que, pour l'obtention de ce Bien éternel et infini, elle nous porte à nous appuyer encore sur Dieu Lui-même, Dieu qui, seul, peut nous conduire à ce Bien qui est Lui-même. "L'Espérance atteint Dieu en s'appuyant sur son secours pour parvenir au bien espéré" (Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique, Ilallae, qu. 17, art. 2).

"L'Espérance fait que l'homme adhère à Dieu, principe de notre bien parfait ; par l'Espérance, en effet, nous nous appuyons au secours divin pour obtenir la béatitude éternelle" (ibid., art. 6).

Dans la tourmente actuelle, comme à d'autres périodes tourmentées de l'histoire, comme aux premiers siècles chrétiens, le terme de notre Espérance est toujours le même, d'ordre essentiellement surnaturel : Dieu, Béatitude éternelle promise non seulement à chacun de nous, mais à tous les hommes. Les raisons d'espérer, elles aussi, sont toujours les mêmes ; une seule raison : la toute-puissance, la toute-solidité de Dieu. Avec cela, nous savons où nous allons : à Dieu, et forts de Dieu.

A ce qui paraît bien être la fin d'une civilisation comme à la fin de la civilisation antique, le chrétien est toujours le même ; il est toujours l'homme de l'Espérance. Saint Cyprien de Carthage écrivait à un païen inquiet et désabusé sur son siècle en décadence : "Chez nous les chrétiens, on trouve la vigueur de l'espérance et la fermeté de la foi ; jusque parmi les ruines d'un siècle délabré, notre esprit reste debout, notre vertu immobile, et notre patience ne manque jamais de joie ; notre âme est toujours sûre de son Dieu (...) Le chrétien nie qu'un homme de Dieu, qu'un homme qui voue un culte à Dieu, appuyé qu'il est sur la certitude de l'espérance, établi qu'il est sur le fondement stable de la foi, puisse être ébranlé par les assauts furieux du monde et de son temps" (Lettre à Demetrianus, 20).

En tout état de cause, le chrétien connaît le fin mot de l'Histoire : il sait que, quoi que puissent faire les hommes, le Seigneur aura le dernier mot. "Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point" (Lc 21, 33). Il ne se nourrit pas, dès lors, d'apocalypses au rabais et il ne court pas après ceux qui annoncent à plaisir que la fin du monde est pour demain. Mais, docile au Magistère de l'Eglise et fort de la grâce reçue au Baptême, il apprend à discerner les signes des temps car le Seigneur Lui-même donne des signes.

Et de quoi s'agit-il ? De certaines réalités -choses, hommes, institutions- dans lesquelles se manifeste déjà cette Toute-Puissance de Dieu sur laquelle nous comptons et qui sont déjà porteuses du Royaume. Il s'agit essentiellement de l'Eglise, définie par le dernier Concile comme "signe et moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain" (Constitution dogmatique Lumen Gentium, chap. I, n. 1). L'Eglise, c'est-à-dire les "choses saintes", les sancta, les sacrements dans lesquels nous tenons déjà, quoique d'une façon obscure, l'objet de notre espérance, et parmi eux surtout l'Eucharistie à travers laquelle le Christ, notre Espérance, se donne à nous tout entier.

L'Eglise, c'est-à-dire aussi les Saints, les Sancti que Dieu suscite en notre temps comme à toutes les époques de l'histoire de l'Eglise et qui constituent pour nous un puissant motif d'espérance surnaturelle, non seulement parce qu'en eux resplendit déjà la création nouvelle, mais parce qu'intimement unis au Christ, ils sont pour nous des intercesseurs puissants.

Le Seigneur nous donne des signes d'espérance, non pas pour que nous "attendions tout le jour sans rien faire" (cf. Mt 20, 6), mais pour que nous nous mettions à la tâche, pour que nous nous fassions, avec sa Grâce, les fourriers d'une Oeuvre qui nous dépasse et dont nous ne devons pas revendiquer d'en voir ici-bas l'achèvement. "Travaillez jusqu'à ce que Je vienne !" (Lc 19,13).

Parmi tous les signes d'espérance et les secours efficaces que le Seigneur nous propose au milieu de notre vie -à tant d'égards militante-, une place éminente revient évidemment plus que jamais peut-être à la Vierge Marie, en laquelle la "petite fille Espérance", dont parle Péguy, a pris en quelque sorte un visage humain ; Celle que, dans les Litanies, nous appelons Auxilium Christianorum, "Secours des Chrétiens", et qu'au terme de nos pèlerinages terrestres, soulevés d'une force et d'une joie qui viennent d'en-haut, nous saluons ainsi : Vita, Dulcedo, et SPES NOSTRA, salve !

Abbaye Notre Dame de Randol