Le transhumanisme, aboutissement de la révolution anthropologique

Joël Hautebert a bien voulu donner une interview à Notre-Dame de Chrétienté à l’occasion de la sortie de son dernier livre, Le transhumanisme aboutissement de la révolution anthropologique.

Nous ne pouvons qu’engager les amis de Notre-Dame de Chrétienté à se procurer et lire ce livre passionnant, clair et précis sur un sujet fondamental de notre société. Nous devons faire l’effort intellectuel de comprendre les erreurs de la pensée post-moderne qui prennent leur source dans les philosophies des Lumières. Le transhumanisme est l’instrument du totalitarisme actuel visant à construire un homme nouveau, un homme parfait justifiant la suppression des plus faibles. Cet ouvrage permet ainsi de mieux comprendre les phases de la révolution anthropologique « en marche ».

Pourriez-vous nous dire un mot sur la genèse de ce livre ?

Ce livre est issu d’un travail collectif mené avec des étudiants de troisième année de l’Institut Albert le Grand, dans le cadre d’un séminaire de recherche en philosophie politique. Les principales idées directrices de cet ouvrage n’auraient pu être énoncées sans l’excellent travail des étudiants. Chaque année, les étudiants de fin de licence qui le souhaitent sont invités à réfléchir sur un thème précis dans le cadre de ce séminaire. Ces dernières années, d’autres sujets ont ainsi été explorés, comme la décadence, le consumérisme et cette année le populisme.

Quelle définition peut-on donner du Transhumanisme ?

Comme son nom l’indique, le transhumanisme suggère un dépassement de la nature humaine, jugée obsolète. Les limites qu’elle impose doivent être abolies, pour permettre enfin à l’être appelé « homme » de parvenir à la parfaite maîtrise de son destin. Le préfixe trans, plus souvent employé que post, indique quant à lui qu’il s’agit d’un mouvement, donc d’une étape dans un mouvement, sans aboutissement définitif précis. Les transhumanistes se présentent comme les héritiers du progressisme et de l’humanisme modernes. Cela peut paraître paradoxal, étant donné que l’homme disparaît. Mais à notre sens, la continuité est réelle dans la mesure où ils s’inscrivent dans la lignée intellectuelle de la prétention de l’homme de s’émanciper de tout ordre hétéronome, y compris aujourd’hui de sa nature biologique.

Quelle est l'origine du Transhumanisme ? 

Le terme a fait son apparition en 1957, sous la plume de l’eugéniste Julian Huxley, frère du célèbre écrivain auteur du Meilleur des mondes. La qualité de l’initiateur du néologisme nous dit beaucoup sur ses racines intellectuelles. Huxley y voyait un moyen de donner un nouveau souffle à l’eugénisme, camouflé sous le nom de transhumanisme. L’utopie de l’homme augmenté est le dernier rejeton de la volonté d’améliorer l’espèce, de créer un homme nouveau. Avec l’eugénisme, se profile tous les grands courants intellectuels qui ont dominé les siècles passés, comme l’évolutionnisme, dont le transhumanisme est aussi une réactualisation, et plus généralement le scientisme, dont la technologie prend le relai, sans oublier l’anthropologie matérialiste des Lumières qui en constitue le fondement.

 Pourquoi le Transhumanisme est-il autant d'actualité de nos jours? 

L’utopie d’un homme augmenté, c’est-à-dire d’un homme dépassant ses limites naturelles, artificiel et vainqueur de la mort, constitue la phase actuelle du projet émancipateur révolutionnaire. Il est d’actualité parce que les progrès techniques donnent le sentiment de rendre enfin possible le projet de maîtrise de la vie et de la nature. L’homme serait non seulement le maître de son environnement, mais surtout le maître de sa propre existence. Le rêve de l’homme-Dieu séduit toutes les composantes progressistes, puisqu’il donne un nouveau possible, une nouvelle espérance sécularisée, après les échecs des grandes idéologies antérieures (communisme…). L’hyper-individualisme contemporain et l’hédonisme constituent un terrain culturel de choix, facilitant l’acceptation de l’idée de dépassement de l’humanité. On ne peut isoler le transhumanisme d’un phénomène idéologique plus vaste. Il participe au processus de la révolution anthropologique et dans le même temps il le couronne en lui apportant une justification ultime.

Y a-t-il une prise de conscience chez les scientifiques, intellectuels, politiques des dangers du Transhumanisme ?

Dans les librairies, les ouvrages sur le transhumanisme sont souvent répartis entre les rayons philosophie et science, comme s’il existait différentes manières d’envisager la question. Or, s’il est exact que les approches scientifiques et techniques sont légitimes et même indispensables pour définir ce qui est réalisable ou non, la vraie question consiste à savoir s’il faut réaliser, ou chercher à réaliser, ce qui apparaît comme possible. Or, l’idée qu’il faut mettre en œuvre tout ce qui est faisable révèle déjà une option philosophique et éthique : le progrès, en l’occurrence technique, détermine la justification morale des actes, ce qui signifie qu’il n’existe aucune limite à la manipulation de l’homme. L’univers mental contemporain, sans repère anthropologique sérieux, facilite l’expansion de l’idéologie transhumaniste, sans que pour autant les agents en soient tous pleinement conscients. Il n’empêche que l’on observe un grand nombre de réactions méfiantes, voire franchement hostiles, mais les filiations intellectuelles et le caractère profondément idéologique sont rarement évoqués, ou alors insuffisamment compris et explicités. Ainsi, l’idée que le processus révolutionnaire est aujourd’hui avant tout anthropologique est encore mal perçue. Les liens étroits avec la théorie du genre, la technicisation de la procréation et bien d’autres grands sujets d’actualité sont également méconnus.

Le cas de Vincent Lambert présente-t-il des liens avec la question du Transhumanisme ?

L’affaire Vincent Lambert témoigne de l’importance des enjeux anthropologiques contemporains et possède de ce fait une relation évidente avec le transhumanisme. L’acharnement contre Vincent Lambert milite en faveur du caractère de plus en plus systémique d’une nouvelle politique de liquidation, idée défendue comme hypothèse très probable à la fin du livre. Comme l’indique le titre de l’ouvrage, le transhumanisme est l’aboutissement de la révolution anthropologique en cours. Comme toute révolution, cette dernière est meurtrière. L’utopie de l’homme augmenté va servir de justification à la liquidation, déjà entamée mais progressivement étendue, de tous les hommes jugés inaptes à vivre, parce que dépassés. La promotion d’un nouvel idéaltype de surhomme renvoie dans la catégorie des déchets jetables ceux qui ne pourront jamais être « augmentés ». La liste n’étant pas limitative, tout le monde pourra un jour y entrer au motif que le progrès l’exige. Toutes les digues juridiques sont en train de sauter. Et comme l’homme est considéré comme un simple amas de cellule, dénué de dimension spirituelle, la voie est ouverte pour une nouvelle forme de liquidation massive, au nom du progrès émancipateur, du « bonheur » et du plaisir d’un être qui ne se soucie que de lui-même et abdique son humanité. Le transhumanisme apporte la clef de voute nécessaire à la justification du système.

Pour aller plus loin :

Vous pouvez commander Le transhumanisme aboutissement de la révolution anthropologique, Joël Hautebert, L’Homme Nouveau, 2019, 19  sur le site de l'Homme Nouveau ou en librairie.