« Désinhiber le christianisme en France »

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Figure d’Europe 1 et de CNews, Sonia Mabrouk publie Douce France. Où est (passé) ton bon sens ? (Plon).

Dans ce plaidoyer pour le retour au sens commun face aux absurdités de l’époque, la journaliste franco-tunisienne, de culture musulmane, se livre à une réflexion passionnante et abrasive qui témoigne de son attachement à la France et ses racines chrétiennes. Il est un concept clé qui apparaît en filigrane dans votre propos : celui de civilisation. Pourquoi ?

Sonia Mabrouk : L’enjeu civilisationnel est essentiel. C’est le point de convergence de toutes les menaces et de tous les défis de notre temps, que ce soit sur le plan social, économique ou identitaire. La civilisation et les valeurs qui lui sont attachées nous portent encore. C’est même la dernière chose qui nous lie. Elle s’appuie sur une spiritualité, sur le souffle de Dieu, cette chose difficile à décrire, qui fait que nous partageons en fait une même essence et un même horizon. La civilisation est le fondement d’un projet de société, mais le concept est devenu tabou. Pourtant, la quête civilisationnelle permet de trouver du sens face à des projets politiques, sociaux ou économiques qui en semblent dépourvus, comme ceux que nous propose malheureusement la démocratie contemporaine. 

On a voulu un homme nu et interchangeable dans un environnement privé de frontières et de garde-fous. Face à cette perspective, la civilisation peut constituer un projet. Encore faut-il avoir le courage de le porter.

Chaque individu possède en soi un désir de Dieu, dites-vous…

C’est une conviction très personnelle. Mais je suis très frappée par des personnes totalement athées, revendiquées comme telles, et qui pourtant sont traversées par ce fluide. Je pense par exemple à Michel Onfray qui s’était retiré à l’abbaye Notre-Dame de la Trappe à Soligny sur les pas de Rancé. De cette expérience, il a tiré un récit extraordinaire. Presque une forme de révélation, même s’il n’accepterait sans doute pas le terme que j’emploie. Je me suis dit qu’il ne pouvait pas ne pas être touché par ce qu’il voyait. Il y a parfois un paradoxe, presque une forme de schizophrénie chez certaines personnes athées : plus elles prennent leurs distances avec le spirituel, et plus cela peut dénoter une forme de questionnement métaphysique. 

Que placez-vous sous le concept de spiritualité, privilégié dans votre propos à celui de religion ?

Je suis le produit d’une éducation imprégnée par la religion et la culture musulmanes. On me demande souvent si je suis pratiquante, mais ce n’est pas cela l’important. Ce qui me lie à la civilisation occidentale, c’est la spiritualité. Il suffit que je rentre dans une église pour éprouver cette sensation. Comment expliquer cette admiration que suscite chez moi l’architecture sacrée, ou l’émotion que provoquent la beauté et l’histoire d’une chapelle ? La France, ce sont des paysages recouverts par un manteau d’églises. C’est quelque chose de très fort que j’ai du mal à expliquer. C’est un sentiment charnel très difficile à décrire. Mais qui est lié je pense à un besoin viscéral de civilisation. C’est tout ce qui reste dans une société d’affrontement, privée de projet politique digne de ce nom. La spiritualité me permet d’établir un lien entre ma culture musulmane et la civilisation occidentale. Bien plus que les « valeurs de la République » que l’on ne sait même pas définir.

 

Sans spiritualité, pas de civilisation ?

Le chemin c’est la spiritualité. Le point d’arrivée c’est la civilisation. J’ai été très frappée par l’exemple du colonel Arnaud Beltrame. Quand on observe tout son parcours, son sacrifice apparaît comme un aboutissement. Il était animé par une flamme spirituelle qui lui a permis d’opposer un véritable projet au projet terroriste. La spiritualité suppose un chemin de vie qui pourrait être un projet de société.

Votre propos tranche avec le discours ambiant. Ressentez-vous une forme d’exil intérieur ?

Nombreux sont en effet ceux qui veulent déconstruire tout cela. Je suis toujours étonnée de voir avec quel acharnement on déboulonne toutes nos dernières statues. Pourtant, le message religieux et spirituel structure nos sociétés. On ne réalise pas à quel point il est dangereux et contre-productif de le mettre à l’écart et de le ringardiser. Au micro d’Europe 1 ou de CNews, je tiens à recevoir des responsables de culte car leur parole est importante et structurante. Je ne veux pas moquer leur message : je veux au contraire le mettre en valeur. Libre à chacun ensuite de croire ou de ne pas croire. 

Vous dites que le projet de civilisation est porté par les racines chrétiennes du pays. Elles sont donc toujours vivantes malgré les efforts de déconstruction ?

Même si l’on ne cesse de dénigrer ces racines, de les reléguer dans le passé, je pense qu’elles subsistent dans une grande partie de la population. Il existe un besoin latent, souvent non exprimé, de reconnexion avec ces racines chrétiennes. Moi qui viens d’une autre culture, je le ressens fortement. Je ne crois pas à la fin des civilisations parce que je n’arrive pas à m’y résoudre, contrairement, par exemple, à Michel Onfray qui affirme qu’il faut observer le bateau couler pendant que l’orchestre joue. 

Comment préserver cette civilisation alors ?

En désinhibant le christianisme. Je ne comprends pas comment, dans un pays tel que la France – même si je connais le rôle structurant de la laïcité – la réaffirmation de ces racines chrétiennes est si difficile. J’ajoute que si l’on désinhibe le christianisme, si on renforce la civilisation occidentale et chrétienne, cela ne fera que rendre le plus grand service à l’islam. On prétend aujourd’hui que l’islam est conquérant, mais c’est faux. De plus en plus de musulmans s’attachent au communautarisme parce que leur islam est très faible. Si la chrétienté s’affirme, cela permettra de respiritualiser l’islam et de revenir vers celui que j’ai toujours connu, celui de mes grands-parents. 

Pensez-vous que l’islam radical prospère sur un terrain déserté par les chrétiens et asséché par une forme de laïcisme ?

Pourquoi l’islamisme s’implante-t-il davantage en France que dans le reste de l’Europe ? Parce que c’est le ventre mou du christianisme. Pourquoi ne peut-on plus affirmer tranquillement être catholique ? C’est devenu presque inavouable alors que se dire musulman ne pose aucun problème. Le rééquilibrage est essentiel. Mais cela, les responsables politiques ne le diront jamais. Ils savent que s’ils mettent un doigt dans le spirituel et le religieux, et a fortiori s’ils affirment la nécessité d’un rééquilibrage, ils courent les plus grands risques. Sans parler de l’ignorance abyssale qui prévaut aujourd’hui sur les questions religieuses.

 

La renaissance de la chrétienté, dites-vous enfin, passe par une réflexion sur… la liturgie.

Désinhiber le christianisme, cela passe aussi par un retour à son essence, à son origine. Et pour moi, c’est la liturgie : les mots, la musique et les symboles par lesquels il se vit et se transmet. Des mots sont désormais oubliés, sinon interdits. C’est ce qui choque le plus la journaliste que je suis : la proscription de mots essentiels comme l’âme, la foi, le salut, le péché… Je songe aussi à tous les mots en voie de disparition qui désignent la richesse folle de l’architecture et du patrimoine chrétiens. J’aimerais qu’ils puissent revenir dans le débat public. Mais c’est aux catholiques de prendre ce chantier à bras-le-corps ! 

Propos recueillis

par Guillaume Bonnet