Homélie pour le Dimanche de Laetare

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Sermon pour le 4ème dimanche de carême 2021

 

Mes frères,

Nous sommes encore, je le reconnais, bien loin de la Pentecôte, mais en ce dimanche joyeux de Laetare c’est du pèlerinage de Chartres dont je voudrais vous parler un instant ce matin. Hélas, l’année dernière ce pèlerinage, en raison de l’épidémie, n’avait pas eu tout le faste des années précédentes… et nous sommes à vrai dire pour cette année encore dans l’incertitude…

Mais une chose demeure pourtant certaine : ce pèlerinage est un moment important pour notre vie personnelle et pour la vie de l’Eglise. Pour beaucoup(et j’en suis d’ailleurs), il a été l’occasion de découvrir le monde de la tradition avec la beauté de ses rites, la solidité de sa doctrine ainsi que cet enthousiasmeconquérant des marcheurs et du clergé, lesquels sont des signes d’espérance et de renouveau. 

Alors pourquoi vous parler du pèlerinage de Chartres en ce jour ? Toutsimplement parce qu’il y a selon moi un lien assez clair entre la liturgie de ce dimanche et un moment particulier du pèlerinage que vous connaissez certainement, et qui est celui de l’arrivé au bivouac de Gas, le dimanche soir. 

Depuis la veille, depuis cette fraiche matinée passée en partie à traverser Paris, vous avez marché, chanté et prié ; d’abord avec joie et entrain et puis, en fin de journée, à force d’avoir enchaîné les kilomètres sous un soleil de plomb ou sous une pluie battante, vous avez commencé à sentir la fatigue et pour certains même l’usure. Le lendemain matin, à une heure où tous les coqs de toutes les fermes de France dorment encore, vous avez entendu retentir le Gloria de Vivaldi à travers les immenses enceintes de la sono, et vous avez entendu aussi cette voix anonyme -heureusement pour elle !-, prononçant gravement la phrase rituelle qui lance la journée, cette phrase que nous redoutons tous du fond de nos duvets : « Amis pèlerins, bonjour ! Il est cinq heures ; Je vois encore des tentes debout ! ».

Durant la journée du dimanche, vous avez marché avec courage, toujours en lutte contre les éléments, et tandis que les chapelets s’égrenaient et que votre pauvre corps accumulait les courbatures et les ampoules, vous avez eu degrandes joies spirituelles certes, mais aussi des déceptions et des déconvenues, surtout si vous avez cru naïvement les indications du service d’ordre : « La prochaine halte ? A peine à 200m, juste au bout du chemin ! ». 10 km plus tard,vous êtes enfin arrivés au bivouac de Gas, et vous avez ressenti une impression étrange, impression qui s’apparente peut-être, en tout cas je l’espère, à celle du dimanche de Laetare, ce dimanche en rose qui marque une halte bienfaisante dans notre carême.

Et d’abord, c’est cette ambiance de joie, la joie des retrouvailles après l’effort ; parfois même il vous arrive de rencontrer des personnes que vous n’avez pas vues depuis des années, et qui sont à peu près dans le même état que vous. 

Tout ce petit monde boîte, sourit et chante dans cette grande crevasse beauceronne qui se remplit peu à peu de pèlerins fourbus, le visage buriné par le soleil, et qui peuvent enfin se reposer et savourer une boîte de conserve et un sandwich écrasé lesquels, en cette soirée unique, sont  attendus comme un menu de chef étoilé…

Mais cette joie a aussi une autre dimension : en cette journée du dimanche, nous avons suivi la belle Messe de la Pentecôte, qui nous a rappelé la naissance de l’Eglise à laquelle nous sommes fiers d’appartenir. Et en fin d’après-midi, alors que nous étions tentés par le découragement face à la fatigue, nous avons entrevu furtivement les clochers de la cathédrale de Chartres au milieu des champs de blé, et nous avons alors douloureusement ployé le genou en chantant un Salve Regina. 

Le soir venu, dans le bivouac, notre joie est devenue plus apaisée et plus profonde : dans le silence de la nuit, nous avons adoré Jésus dans l’ostensoir, entouré de bougies et de bannières, alors que quelques ombres furtives sontenfin allées, après deux jours de lutte contre le diable, demander discrètement le pardon du Seigneur, afin d’être enfin purifiées de leurs fautes.

Certes, mes chers amis, toutes ces joies ne sont pas des joies définitives : Le bivouac de Gas n’est pas la cathédrale de Chartres, cette cathédrale qui nous accueillera le lendemain avec ses cloches retentissantes et ses merveilles de pierre et de verre. Et par conséquent le lundi matin, il faudra courageusement reprendre la route, après avoir à nouveau entendu le Gloria de Vivaldi à cinq heures ainsi que la voix du Stentor criant : « Amis pèlerins, Bonjour ! », puisque notre inconnu -on se sait trop comment !- a miraculeusement échappé au lynchage la veille…

Et pourtant, mes frères, c’est cette joie de l’étape qui va nous donner toute l’aide et toute la motivation nécessaires pour parvenir jusqu’au terme de notre route. Elle aura été, si je puis dire, le prélude de la joie totale au moment de l’arrivée.

Le dimanche de Laetare, c’est exactement cela ! Ce n’est pas la joie du but : l’alléluia n’est pas revenu dans notre liturgie, et la couleur blanche des ornements n’est pas encore à l’ordre du jour. Toutefois, c’est une joie bien réelle que l’Eglise nous offre à travers sa liturgie : les fleurs, en effet, sont réapparues sur l’autel, l’orgue peut à nouveau se faire entendre, et le violet s’est transformé en rose. 

Par ailleurs, notre joie repose aussi sur cette certitude que nous sommes lesenfants de Dieu, des enfants non pas élevés dans la crainte, comme autrefois le peuple d’Israël, mais élevés dans l’amour et par conséquent dans la liberté. Saint Paul vient d’avoir des mots merveilleux à ce sujet dans l’épitre qui vient d’être lue.

Tout cela, évidemment, nous annonce la joie et la libération de pâques, tout comme le bivouac de Gas nous donne un avant-goût de l’arrivée à Chartres le lendemain... mais n’oublions pas que Chartres est à la fois un but mais aussi une étape, de la même manière que la fête de Pâques est aussi chaque année un but et une étape. Le but ultime, nous le savons, c’est le ciel.

Aussi, mes chers amis, profitons bien de cette halte joyeuse et pleine de ferveur du dimanche de Laetare, mais surtout gardons bien à l’esprit qu’une halte sert à se reposer mais aussi à faire le point. Et tout d’abord, posons-nous cesquestions : où en suis-je dans mon carême ? Depuis le mercredi des Cendres, ai-je vraiment entrepris une réforme de ma vie chrétienne ? Ma prière est-elle plus fervente ? Mes défauts sont-ils combattus? Mes sacrifices sont-ils de vrais sacrifices ? 

Par ailleurs mes frères, vous avez remarqué que ce dimanche de joie est aussi un dimanche eucharistique, tant il est vrai que le trésor de l’eucharistie est, lui aussi, une joie temporaire qui prépare la joie définitive du ciel : certes, le jeudi saint, nous commémorerons l’institution de ce sacrement admirable, mais déjà en ce jour, nous le contemplons par anticipation avec le miracle de la multiplication des pains. Cette multiplication des pains, en effet, nous enseigne ce qu’est vraiment l’eucharistie : elle nous montre que ce sacrement est la manifestation la plus haute de la surabondance, du non-calcul et de la démesure de Dieu envers nous.

Aussi, mes chers amis, de la même façon que le bivouac de Gas, au pèlerinage de Chartres, est l’occasion de retrouver des forces, pensons aussi à l’importance du sacrement de l’eucharistie, cette nourriture céleste qui nous fortifie et qui nous aide à avancer au cours de notre pèlerinage sur la terre. 

Et surtout n’oublions pas que si l’Eucharistie est le ciment de notre vie chrétienne, elle est aussi le ciment de l’Eglise, cette Eglise catholique qui est préfigurée en particulier par la ville de Jérusalem. D’ailleurs, avez-vous remarqué à quel point Jérusalem est présente dans la liturgie de ce dimanche ? Jetez un œil sur votre missel : « Réjouis-toi, Jérusalem » ; « Il ne sera jamais ébranlé, celui qui habite dans Jérusalem » ; et surtout, dans l’antienne de Communion : « Jérusalem, qui est construite comme une cité, dont toutes les parties se tiennent ensemble ».  

Ainsi mes chers amis, c’est bien tout un peuple que Moïse conduit vers la terre promise ; c’est toute une foule que Jésus nourrit sur la montagne ; c’est toute une colonne de milliers de marcheurs qui s’avance chaque année dans la plaine de Beauce vers les flèches de Notre-Dame de Chartres. N’oublions jamais, mes frères, que le moindre de nos péchés nous abime mais qu’il abime aussi l’Eglise tout entière ; mais soyons bien certains que le moindre effort ou le moindre sacrifice nous grandit et donne à notre Eglise un surcroît de splendeur. Amen.

 

Abbé Philippe Jouachim, FSSP, Chapelain de l'Immaculée Conception à Versailles