L'intelligence du réel comme injustice - Thibaud Collin ( L'Homme Nouveau n° 1737 du 5 Juin 2021)

La publication le 22 février dernier par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi d’une réponse négative à la question : L’Église dispose-t-elle du pouvoir de bénir des unions de personnes du même sexe ? a suscité de nombreuses réactions critiques de théologiens et d’évêques. Le 10 mai ont été organisées dans une centaine d’églises d’Allemagne de telles bénédictions (cf. HN n°1736), sans que les prêtres responsables n’aient été sanctionnés. Il convient de revenir sur ce que révèlent de tels événements ecclésiaux. Tout d’abord ils confirment le fait que « l’ouverture au monde » n’est pas synonyme d’évangélisation des personnes, voire même s’y oppose ; et s’y oppose en péchant paradoxalement par ce que l’on pourrait nommer du surnaturalisme.

En effet, c’est « au nom de l’amour » que ces prêtres homosexualistes désobéissent formellement. Puisque Dieu est Amour et que ces deux hommes ou ces deux femmes « s’aiment », il paraît évident pour eux que Dieu bénit leur relation. Le présupposé d’une telle approche est la négation de tout donné anthropologique mesurant le vrai bien humain. Or un tel donné est la manifestation de la Sagesse créatrice de Dieu et non pas une norme arbitraire formulée par une institution conservatrice gouvernée par des célibataires aigris. Le Catéchisme de l’Eglise catholique affirme: « S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présente comme des dépravations graves (cf. Gn 19, 1-29 ; Rm 1, 24-27 ; 1 Co 6, 10 ; 1 Tm 1, 10), la Tradition a toujours déclaré que " les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés " (CDF, décl. " Persona humana " 8). Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas[1] ». Il convient de distinguer les actes de la tendance foncière qui peut être involontaire mais que le CEC qualifie d’« objectivement désordonnée » (n°2258) et qui, à ce titre, constitue pour ceux qui la subissent « une épreuve » (idem). On comprend ici en quoi l’Eglise ne dispose pas du pouvoir de bénir de telles unions. Ce verbe est capital mais largement inaudible en ces temps de constructivisme sociologique et juridique. La loi, toute loi n’est-elle pas l’expression d’une volonté souveraine ? Dès lors, ce qu’une volonté a proclamé, une autre ne peut-elle l’abroger ? Si l’Eglise persévère dans son déni de reconnaître institutionnellement les unions homosexuelles n’est-ce pas par discrimination ? Le responsum de la CDF est à ce titre à lire attentivement. L’Eglise « refuse toute discrimination injuste », manière de dire qu’il y en a des justes. Rappelons que discriminer est l’acte par lequel la raison distingue les choses les unes des autres avec précision selon des critères définis. Aujourd’hui le terme discrimination est devenu synonyme d’injustice, ce qui est une déviation sémantique révélatrice de la confusion mentale régnant en postmodernité. En imposant ce nouveau sens, les minorités subversives introduisent un délit d’opinion dont l’objet n’est en réalité que l’activité même de la raison lisant le réel. La négation de toute intelligibilité du donné humain aboutit nécessairement à accuser d’injustice ceux qui continuent de reconnaître un ordre immanent au réel, en l’occurrence ici le fait que l’être humain est doué d’un corps sexué ordonné à transmettre la vie et exprimer le don de soi. Si l’Eglise ne dispose pas du pouvoir de bénir, c’est que l’Eglise n’est pas une démocratie libérale régie par une doctrine positiviste du droit. Elle n’est pas la mesure de son agir mais elle est l’instrument que Dieu utilise pour répandre sa grâce dans le cœur des hommes. Cette grâce théologale n’est pas à déconnecter du donné naturel.

Tous les pasteurs contestant l’enseignement de l’Eglise vivent dans un état de soumission mentale envers l’esprit de notre époque, esprit promouvant le tohu-bohu comme le disait Michel Foucault, philosophe français, figure phare du mouvement LGBT. Le tohu-bohu désigne dans la Genèse l’état de la Création avant que Dieu procède aux grandes distinctions ordonnatrices, expression de sa Sagesse et de son dessein d’amour. Les pasteurs promouvant de telles bénédictions révèlent par-là que pour eux la grâce rédemptrice est coupée de la création divine. Dieu est comme divisé d’avec lui-même, ou plutôt il convient d’abandonner un Dieu Créateur et Seigneur de l’Univers pour un Dieu Consolateur (résurgence de la vieille hérésie qu’est le marcionisme). Mais ce Dieu consolateur ne se réduit-il pas dans une perspective immanentiste à être un Dieu nounou à la mesure de nos attentes ? La grande tentation actuelle est de réduire l’ordre de la grâce à une version chrétienne du mouvement care, terme anglais désignant le vaste et complexe courant philosophique, psychologique et spirituel promouvant le soin de soi. Il est certes fort utile que l’Eglise s’empare d’une telle problématique du soin mais cela ne peut être fécond qu’au terme d’un long discernement théorique et pratique par lequel seront articulées la nature et la grâce. Seule une telle articulation permettra de répondre en vérité à la soif, souvent inconsciente, de nos contemporains. Le Verbe s’est fait chair pour nous sauver et non pas pour nous donner de vivre en bonne santé. 

Les récents événements de l’Eglise d’Allemagne révèlent enfin la logique inéluctable à laquelle obéit la pensée humaine. Une fois que l’on a validé certains principes, on ne peut pas sans se contredire en nier les conclusions nécessaires. Le principe de toute cette dérive pastorale et doctrinale est le refus de recevoir Humanae vitae, l’encyclique de saint Paul VI sur la régulation naturelle des naissances. Ce refus est fondé sur une incompréhension de la doctrine de la loi naturelle. Cette « hérésie du XXème siècle », pour reprendre le mot de Madiran, rend l’esprit de nombre de nos pasteurs perméable à la protestation victimaire actuelle. Au lieu de recevoir la lumière sur la nature de la sexualité humaine et sur le fondement de la morale que saint Jean- Paul II a transmise pour notre temps (dans ses catéchèses sur la théologie du corps et dans l’encyclique Veritatis splendor) beaucoup ont préféré se tourner vers les sciences humaines et sociales pour fonder une pastorale de « l’ouverture au monde ». Ainsi en s’ouvrant à l’esprit du monde, ils s’empêchent de transmettre le salut à ceux qui y habitent. Paradoxe tragique.                    

 

[1] n°2357