Motu proprio Traditionis custodes  Le père Augustin-Marie Aubry répond aux questions de Présent (entretien paru le 4 septembre 2021) 

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  • Avez-vous été surpris par le contenu du motu proprio Traditionis custodes ? 

 

Oui, mais au risque de vous surprendre, je vous dirais que je l’ai reçu dans la joie. Non dans la joie d’une bonne nouvelle, mais dans cette « joie parfaite » dont parle saint François d’Assise, quand vous sentez que tout s’écroule et que le cœur ne tient plus que par une grâce puissante du Saint-Esprit. J’ai médité sur le sort de Job, j’ai rendu grâces à Dieu de pouvoir connaître l’amertume de celui à qui on retire ce qui lui est le plus cher : le culte divin, la sainte liturgie. Et j’ai prêché en ce sens : souvenez-vous de la fin, gardez la paix du cœur, battez-vous dans l’honneur et la dignité pour transmettre ce que vous avez reçu. 

 

  • Reconnaissez-vous vos fidèles dans le portrait de catholiques méfiants, tournés uniquement vers le passé ? 

 

La réalité est souvent plus intéressante que la caricature (même si j’apprécie les dessins humoristiques, ceux de Chard par exemple). Quand je pense aux fidèles qui fréquentent notre couvent, je ne vois pas de membres d’une association de reconstitution historique, mais des hommes et des femmes, des jeunes et des anciens, qui veulent vivre avec sérieux et profondeur leur vie chrétienne. Sur ce chemin, le grand nombre a découvert la liturgie traditionnelle et y a trouvé la source rafraîchissante et toujours abondante pour pèleriner jusqu’au ciel. Un élément qui échappe à la discussion sur le motu proprio, c’est l’immense vertu apostolique de la liturgie traditionnelle : elle attire et convertit. 

 

  • La liturgie traditionnelle constitue-t-elle le cœur de votre vie religieuse ? 

 

Vous touchez un point important. La liturgie traditionnelle met en lumière, plus nettement que le nouvel ordo, la dimension sacrificielle de la messe. La vie religieuse, c’est-à-dire l’état de vie constitué par les vœux publics de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, est pour une grande part un renoncement, une offrande, un sacrifice. La messe, et l’office divin qui l’entoure comme un écrin enchâsse sa perle, ont donc une profonde affinité avec la finalité de notre vie. Nous nous sommes offerts à Dieu, pour son service, et cette offrande est incorporée à la grande offrande du Christ, « le grand-prêtre des biens à venir » (Hb 9, 11). Notre sacrifice d’hommes dans son sacrifice d’Homme-Dieu. Le royaume de Dieu, dit l’évangile (Mt 13, 46), c’est comme celui qui trouve une perle fine et qui vend tout ce qu’il possède pour l’acheter. Comme religieux, nous avons tout donné pour la messe.  

 

  • Avez-vous déjà la certitude de recevoir une visite apostolique disciplinaire, visant à mettre en œuvre les déclarations du motu proprio ? 

 

Dans cette affaire du motu proprio, qui a vu le jour le 16 juillet dernier, mais qui s’élaborait dans les officines et les coulisses depuis des années, nous n’avons aucune certitude. Le texte est tombé comme un aérolithe et n’est pas particulièrement le fruit d’un dialogue bilatéral.  

Qu’en sera-t-il des décrets d’application ? Il serait hélas ! dans la logique du texte de l’été de barrer tout ce qui peut permettre que vive et se développe la liturgie traditionnelle, il serait dans la logique du texte de stopper les entrées des candidats aux séminaires et noviciats, il serait dans la logique du texte de bloquer les ordinations. Cette logique de mort programmée est-elle la logique de l’évangile ? 

 

  • Quel peut être le rôle des laïcs dans les circonstances actuelles ? 

D’abord, vivre toujours plus profondément de la liturgie traditionnelle. Il faut faire mentir ceux qui estiment à tort qu’elle est un objet mort, une curiosité de musée. C’est en vivant de cette liturgie que l’on manifeste qu’elle est vivante, et qu’elle est la vie de nos vies. Donc, pas de paresse à la messe, mais adoration, louange, action de grâces et joie spirituelle de vivre les mystères du Christ. S’édifier de sa présence et de son sacrifice et le faire rayonner dans nos vies, notamment par les œuvres de miséricorde envers les plus démunis. 

Ensuite, adopter la juste attitude dans le combat qui commence : dignité et fermeté. Fermeté, car on défend un bien commun de toute l’Église ; dignité, car un noble combat ne souffre pas d’âmes viles. Il est capital en l’occurrence de fuir le zèle amer, de garder le respect des personnes et de cultiver le sensus Ecclesiæ. 

Enfin, manifester par tous les moyens compatibles avec la foi et les bonnes mœurs notre attachement aux « pédagogies traditionnelles ». Il sera important dans les prochains jours et semaines que les laïcs fédèrent leurs actions autour des associations et mouvements qui vont œuvrer pour que le trésor de la liturgie traditionnelle reste accessible à tous les fidèles. 

 

  • À tous les fidèles ? 

Oui, la messe pour tous. Les Instituts érigés depuis le motu proprio Ecclesia Dei, qui forment des prêtres pour le rite antique, doivent pouvoir continuer sans entrave leur mission, non pour une « réserve d’Indiens », mais pour le bien de tous, dans la paix de l’Église. C’est le sens du communiqué des Supérieurs daté du 31 août. À un niveau plus fondamental, la liturgie traditionnelle est un élément indisponible du patrimoine de l’Église. Sa légitimité, reconnue canoniquement en 1988 après une période de déni, et renforcée en 2007 par Summorum Pontificum, est d’abord un fait ecclésial et une donnée théologique. Personne n’a le pouvoir de la supprimer. En ce sens, il est conforme au sens catholique de prier pour l’abrogation de Traditionis custodes.  

Une note positive pour finir. Le drame du 16 juillet a été l’occasion d’une belle manifestation de charité ecclésiale. Une partie notable de l’épiscopat et du peuple chrétien a été stupéfaite de ce motu proprio. Une vague d’intérêt pour le rite traditionnel, et de solidarité pour les prêtres qui le célèbrent, s’est manifestée. Des fidèles pratiquants du rite de Paul VI ont rejoint les communautés où se célèbre la liturgie traditionnelle. Cela traduit, dans une société individualiste qui fait naufrage, l’étonnante vitalité du corps ecclésial.