Katyn, l'un des pires massacres de Staline

Devoir de mémoire

Katyn

Un article du point.fr

(voir aussi notre billet précédent sur Katyn)


C'est pire qu'un massacre, c'est un abattoir, tant les gestes sont calculés, méthodiques, froids, précis, et surtout répétés en une procédure implacable, des dizaines et des dizaines de fois. Sans un tremblement, sans l'ombre d'une hésitation, sans une pause. Un homme à la fois, d'abord un noeud coulant passé autour du cou, puis les mains garrottées derrière le dos, trois pas à peine, le temps d'ébaucher une prière, il est saisi aux épaules par deux aides, une seule balle dans la tête tirée par un troisième. Le corps est déjà poussé sur un plan incliné et la flaque de son sang lavée d'un coup de seau.
4404 officiers polonais au moins sont morts ainsi, ou plus expéditivement encore, exécutés au bord de la fosse commune qui allait les ensevelir, en avril 1940, dans la forêt de Katyn, près de Smolensk, en Russie. À l'occasion de l'anniversaire de ce qui fut une tragédie pour la Pologne et pour le genre humain, Arte a eu la bonne idée de diffuser, le 14 avril, le sombre et magnifique film d'Andrzej Wajda, dont le père, capitaine au 72e régiment d'infanterie, fut parmi les victimes. Wajda, ardent patriote polonais, a toute sa vie voulu reconstituer l'histoire et, surtout, rétablir la vérité sur Katyn. Car à l'atrocité des faits s'est ajoutée la honte de leur négation pendant plus de 50 ans par les Soviétiques. Et leur travestissement pour accuser le coupable idéal, le Troisième Reich, responsable, il est vrai, de tant d'horreurs dans cette région d'Europe, et dans d'autres.

Épuration de classe

Lorsque les Allemands envahissent la Pologne, le 1er septembre 1939, ils sont suivis, quinze jours plus tard, par l'Armée rouge. En vertu de leur pacte d'août 1939, Hitler et Staline avaient décidé de se partager les dépouilles du pays. Tout de suite, les Soviétiques font prisonniers 250 000 soldats et officiers polonais. Les agents du NKVD, à qui Staline a demandé de s'occuper spécialement de ce dossier, libèrent une partie des soldats et livrent les autres aux Allemands. Mais ils gardent les officiers, pas seulement ceux de carrière, mais tous les réservistes, étudiants, médecins, ingénieurs, chefs d'entreprise, qui représentent l'élite de la Pologne. Afin de supprimer une menace potentielle pour le nouveau régime qu'il veut imposer à Varsovie, Staline décide de procéder à une véritable épuration de classe. Le 5 mars 1940, il donne l'ordre d'exécution des officiers polonais "nationalistes et contre-révolutionnaires". Le massacre de Katyn est acté.
Tout le monde l'ignorera, jusqu'à ce que l'armée allemande, qui s'est retournée contre l'URSS et a dénoncé le pacte germano-soviétique, envahisse la Russie occidentale et tombe sur les charniers. Dès avril 1941, des identifications sont faites, et de rares objets personnels rendus aux familles. Commence alors une monstrueuse polémique qui prend d'abord la forme, pendant toute la guerre, d'une campagne de propagande organisée par les nazis, accusant les officiers juifs de l'Armée rouge du forfait.

Des revolvers de marque allemande

À cette accusation répondra, pendant 50 ans, un déni total de responsabilité de la part de Moscou. Les communistes non seulement nient toute implication, mais appliquent leur tactique habituelle de l'amalgame, un terrorisme intellectuel très efficace, surtout à la fin de la guerre : ceux qui mettent en doute la thèse soviétique sont des pro-nazis. Au point qu'en 1944, Roosevelt refusera les conclusions d'une commission d'enquête défavorable aux Russes. Les Anglais feront de même après un rapport de leur ambassadeur auprès des Polonais qui aboutissait à la même conclusion. Même la Croix-Rouge refusera de rendre publique l'enquête qui lui a été remise par ses services précisant les responsabilités soviétiques du massacre. En dépit des protestations des Polonais libres - les autres sont devenus un satellite de l'URSS -, Katyn va être catalogué pendant toute la guerre froide comme "une tentative sans importance (sic) des Allemands pour retarder leur défaite".
Il faudra attendre Gorbatchev et la glasnost, vraie déstalinisation, pour qu'à la suite des travaux d'une historienne soviétique, l'URSS reconnaisse, en 1990, la responsabilité de sa police secrète dans la tuerie organisée par le chef du NKVD, Lavrenti Beria. Deux ans plus tard, Boris Eltsine, nouveau président russe, remet à Lech Walesa, président de la République polonaise, plusieurs documents émanant du comité central, dont l'ordre d'exécution des officiers polonais.
Dans ces archives, une note montre à elle seule le cynisme et la duplicité des communistes soviétiques : elle indique que les exécutions doivent être accomplies avec des revolvers Walther, de marque allemande, et des munitions allemandes, elles aussi, saisies en Estonie que l'URSS vient d'annexer. Dès 1940, alors qu'il était encore son allié, Staline avait donc monté une opération destinée à faire croire à la responsabilité de son compère Hitler dans les atrocités de Katyn.