Fiducia supplicans

logo-ndc-bleu-512px

Comme l’ont observé nos amis de l’Entente catholique de Bretagne il faut convenir que les humoristes de la curie romaine manient l’ironie avec une remarquable dextérité. Quand un texte s’attaque à la Tradition de l’Église ils l’intitulent Traditionis custodes, gardiens de la tradition, quand un autre document érode la confiance que l’on peut avoir en l’Église romaine et dans le magistère pontifical ils l’intitulent Fiducia, la confiance.

 

 

Ainsi donc le 18 décembre 2023 le Dicastère pour la Doctrine de la Foi a publié, sous la signature du cardinal Victor Manuel Fernandez, une déclaration, Fiducia supplicans, approuvée par le pape François. Ce document prévoit essentiellement que les couples homosexuels ou en situation irrégulière puissent bénéficier, dans certaines circonstances, d’une bénédiction « non ritualisée et spontanée ». Ce texte a déclenché de très nombreuses protestations de cardinaux, d’évêques, de conférences épiscopales. Citons le cardinal Müller, ancien préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi et à ce titre prédécesseur de Mgr Fernandez, qualifiant ce texte de « blasphème », NNSS Peta et Schneider de l’archidiocèse d’Astana au Kazakhstan affirmant, quant à eux, que « le pape François (…) ne marche pas droit selon la vérité de l’Évangile », de nombreuses conférences épiscopales en Afrique (Côte d’Ivoire, Cameroun, Zambie, Kenya, Malawi, etc.) et en Europe de l’Est (Pologne, Hongrie, Ukraine) notifiant qu’elles n’appliqueraient pas ce texte. En France la seule réaction connue à ce jour est celle de Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar, Oloron qui, dans un communiqué, a précisé qu’il interdisait les bénédictions de couples mais autorisait les bénédictions personnelles des personnes concernées. Il est rare dans l’histoire de l’Église qu’un texte approuvé par l’autorité suprême suscite une telle opposition. Le seul précédent est sans doute la bronca provoquée par la publication de l’encyclique Humanae Vitae (25 juillet 1968) de Paul VI sur la régulation des naissances. Le pape fut d’ailleurs à ce point traumatisé qu’après avoir publié sept encycliques en quatre années (1964-1968) il n’en publia plus une seule durant les dix années suivantes de son pontificat jusqu’à sa mort en 1978. Le pape François aura-t-il cette sagesse ? Rien n’est moins sûr car il apparaît que les qualités d’habile « politique » que chacun s’accordait à lui reconnaître ont été là totalement prises en défaut. L’ampleur et la vigueur des protestations sont très importantes en particulier dans l’épiscopat africain. Or l’Afrique est le continent qui porte la croissance numérique du nombre de catholiques dans le monde. On peut penser que lors du prochain conclave les papabili qui se recommanderont du pape François ou apparaîtront dans sa filiation intellectuelle et spirituelle partiront avec le handicap d’avoir contre eux les 19 cardinaux africains sur 132 électeurs. Ironie de l’histoire, le pape des « périphéries » risque de voir son héritage mis à mal par les représentants des « périphéries » en question.

 

 

Sur le fond, les objections à ce texte sont nombreuses et de nature diverse.

Notons tout d’abord que toute « nouveauté » dans l’Église doit, par nature, être accueillie avec une extrême circonspection. Il s’agit de l’Église du Christ et non celle de Pierre, Paul ou Jacques. La révélation se clôt à la mort du dernier apôtre et on a peine à croire que pendant 2 000 ans l’Église aurait méconnu des pratiques pastorales particulièrement fécondes et porteuses de grâces.

Ensuite, mettre sur le même plan des unions certes irrégulières mais conformes à la nature et des unions contre-nature est une incongruité doctrinale et pastorale.

Bénir des couples et non des personnes sans prétendre pourtant donner aucune légitimité à ces couples, c’est nous prendre pour des zozos. Cela rappelle les subtilités de la réunion d’Assise : ne pas confondre prier ensemble et être ensemble pour prier !

Quelle est la crédibilité d’une institution qui déclarait le 15 mars 2021, il y a un peu moins de trois ans, par la voix du cardinal Ladaria, prédécesseur du cardinal Fernandez : « Il n’est pas licite de donner une bénédiction aux unions de personnes du même sexe »,et qui professe aujourd’hui la position contraire ?

Enfin on peut s’interroger sur la nature du message envoyé aux personnes qui s’efforcent de vivre leurs tendances homosexuelles dans la chasteté ou de rester intégralement fidèles à leur unique conjoint dans le respect des saintes lois du mariage.

Quant aux personnes bénéficiant de cette bénédiction n’est-ce pas une tromperie d’une rare gravité que de ne pas les inciter, par cette bénédiction même, à sortir d’une situation qui objectivement met en péril leur salut éternel ? N’est-ce pas, d’ailleurs, l’acte le plus grave contre la charité que de ne pas rappeler au pécheur qu’il met ainsi, par sa pertinacité dans le péché, son âme en danger de mort éternelle ?

 

 

Comme toujours, conformément aux paroles de l’Écriture, il convient de juger l’arbre à ses fruits. Le pape François a fait le choix de négliger, voire mépriser ceux que Joseph Malègue qualifiait de « classes moyennes du salut ». C’est-à-dire les chrétiens médiocres que nous sommes qui s’efforcent, bon an mal an, de respecter les commandements de Dieu et de l’Église, tombent mais se relèvent sans prétendre au statut iconique de pécheurs publics portés par les courants dominants des valeurs du monde. Qui niera d’ailleurs qu’à l’heure du triomphe du polyamour et à celle de l’omnipotence du lobby LGBT ce texte pontifical semble bien en phase avec les valeurs fondatrices de la société moderne ? Les médias partisans de ce que Jean-Paul II appelait la culture de mort s’en sont d’ailleurs réjouis. Dis-moi qui te loue, je te dirai qui tu es ! Après dix années de pontificat il semble d’autre part légitime de s’interroger sur les résultats concrets de cette nouvelle orientation pastorale. Les fruits n’en apparaissent pas évidents.

Enfin nous livrerons au Saint-Père cette réflexion un peu désabusée de l’historien Alain Besançon, ancien membre du Parti Communiste français et revenu au catholicisme, décédé le 8 juillet dernier : « Il a pu paraître beau et même sublime de se proclamer « évêque des autres ». « Evêque des siens » pour être moins sublime et plus humble, est un éloge qui vaut la peine d’être recherché ».

Please select listing to show.